Culture

Comateens, groupe méconnu et indispensable des années 1980

À l'occasion de la réédition chez Tricatel des trois albums de cette étoile filante des années 1980, Bertrand Burgalat et Étienne Daho reviennent sur le génie créatif du groupe.

Leur son <em>«d'une simplicité géniale», </em>dixit le patron de Tricatel qui les réédite, leur écriture et leur orgue électronique se retrouvent dans les productions de Daho. | Capture d'écran via YouTube
Leur son «d'une simplicité géniale», dixit le patron de Tricatel qui les réédite, leur écriture et leur orgue électronique se retrouvent dans les productions de Daho. | Capture d'écran via YouTube

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«May learn how coma mom died!» C'est d'après ce titre macabre du New York Post –l'histoire d'une jeune femme enceinte qui tombe dans le coma puis décède– qu'un duo musical a décidé de se nommer Comateens. Mom est devenu rapidement teen à la faveur d'une private joke bien arrosée. Initialement incarnés par la guitariste Ramona Janquito et le bassiste Nicholas «Nick O. Teen» North (né Dembling), ils seront rejoints par la chanteuse Lyn Byrd (née Billman) qui fréquentait les mêmes clubs new-yorkais, et le frère de Nic, Oliver… West (humour). Ramona fera long feu. Lyn, en revanche, amène avec elle sa coupe mulet (elle est toujours aussi impeccablement brushée quarante ans après), un synthé et une boîte à rythmes.

Ces derniers éléments deviennent cruciaux dans ce que sera le son des Comateens, à savoir un mélange de mélodies gracieuses soutenues par un (quasi) orgue Bontempi, une beatbox minimale et des riffs de guitare funky, secs et efficaces. Moins radicaux que Suicide, plus fun et second degré que les nouveaux romantiques qui vont bientôt émerger, les Comateens créent des objets musicaux lo-fi non identifiés, à la croisée de la musique de film d'horreur à petit budget, du générique de dessin animé et de tubes pop à l'écriture classique et à l'habillage électronique.

Big in France

Leur fraîcheur et leur originalité ne tardent pas à faire des adeptes en Europe et plus particulièrement en France, où ils vont influencer un large spectre d'artistes pop, d'Indochine (qui joue en première partie des Comateens au Rose Bonbon) à Étienne Daho, qui les rencontre grâce à leur manager commun, Fabrice Nataf, et séjourne chez eux au début des années 1980. «J'avais adoré leur premier album. “Le Grand Sommeil” était sorti sur une compile aux États-Unis et je devais faire un showcase à la Danceteria à New York. Nous sommes devenus amis très vite. Une évidence. J'ai habité chez eux à Washington Heights. J'avais chopé un virus en Turquie où je faisais une télé et j'étais au bout de ma vie. Je ne me souviens pas d'avoir fait des chansons avec eux, mais d'avoir mis le feu à leur cuisine en tentant de leur préparer un repas français qui a fini à la poubelle. Lorsqu'ils sont venus en France en 1984, ils m'ont demandé d'être guest sur leur tournée. J'intervenais sur deux titres, “Get Off My Case” et “Cold Eyes”.»

«Tous les trois ont inventé un style assez unique.»
Étienne Daho, auteur-compositeur-interprète

La relation entre Daho et le duo (Oliver est décédé d'une overdose en 1987) ne s'est jamais étiolée. «Nick et moi avons écrit des chansons que j'adore comme “Retour à toi”, “Les Jalousies” sur l'album Réévolution, “Me Manquer” et surtout le magnifique “Soudain” sur Éden. Quel cadeau! Nous avions aussi enregistré un EP resté longtemps inédit, Comateens vs Daho, mais qui est enfin ressorti sur le coffret Éden DeluxeNick a écrit des chansons de Noël que j'enregistrerai bientôt. Lyn intervient sur plein de titres en guest star: “Me Manquer”, “Un serpent sans importance”, “Toi+moi”… Nick est un compositeur hors pair, un génie et les grandes chansons traversent le temps. Oliver était un incroyable guitariste rythmique. Et Lyn est un personnage excentrique et génial. Une star. Je suis le président du fan club de Lyn. Nos relations sont un peu hystériques, je communique avec elle par cris ou onomatopées. C'est comme ça depuis trente-cinq ans. Tous les trois ont inventé un style assez unique. Burgalat a eu une grande idée de ressortir enfin leurs albums.»

 

 

Au cœur de Tricatel

Tout comme Daho, Bertrand Burgalat est un fan de la première heure: «Je les connaissais via Best et Rock & Folk, et des copains de la scène musicale de l'époque. Le générique d'une émission d'une radio libre géniale, Radio Cité Future, reprenait le thème des “Monstres” (sur le premier album). Je les ai vus au Rose Bonbon et chaque fois que j'ai entendu leur musique, j'ai toujours été frappé par leur fraicheur, leur simplicité, la pureté de leurs harmonies vocales et de leur écriture. Pour moi, ce sont des Simon et Garfunkel de l'électronique.

«Par exemple, le pont de “Late Night City” est d'un grand raffinement. Ils ont un style d'écriture très classique, et c'est ce qui fait que ça vieillit bien. Ils ont été beaucoup copiés, de manière caricaturale, en faisant du simplisme alors qu'eux sont d'une simplicité géniale, mais rien n'est laissé au hasard. Et puis, tu peux passer “Don't Come Back” dans n'importe quelle soirée, tout le monde danse!»

 

C'est donc dans l'idée de rendre justice à un groupe essentiel et trop méconnu des années 1980 que cette réédition a été conçue, à partir des masters d'origine, que les Comateens avaient conservé. L'objet est agrémenté de documents et d'articles d'époque.

La discographie des Comateens

Après un premier vinyle en 1981, composé de quelques titres originaux et de pas mal de reprises encore plus originales, telles que le «TVC15» de Bowie –on ne peut plus sautillant– et le «Summer in the City» de Lovin' Spoonful, qui fait furieusement penser à une musique de jeu vidéo, le trio Comateens sort en 1983 un second album intitulé Pictures on a String. Il contient le tube dance «Get Off My Case», qu'Etienne Daho reprend parfois en leur compagnie sur scène, comme ce fut le cas le 11 novembre dernier à Paris («C'était dément de se retrouver sur scène à la Philharmonie au bout de tant d'années, à la fois irréel et si évident. Le public leur a fait un triomphe», dixit Daho himself).

Le style des douze titres reste très éclectique, avec des clins d'œil latinos à la Kid Creole, à la pop de Blondie ou des expérimentations orientalisantes. Le troisième album, Deal With it sort en 1984 et s'annonce nettement moins lo-fi, beaucoup plus produit et au songwriting plus abouti. Indéniablement, le matériel a monté en gamme, mais la fraîcheur des débuts est toujours là, avec un tube irrésistible: «Don't Come Back». Certains se souviendront de leur passage télé chez les Nuls, alors qu'ils tentaient de faire un «Saturday Night Live» à la française.


Le live nous gratifie en prime de l'indispensable solo de saxophone des années 1980.
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