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Ce 20 novembre 2019 marque les 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Un texte qui pose l'idée, et c'est encore assez révolutionnaire, que l'enfant est une personne dont on doit respecter l'intégrité physique et morale, une personne qui dispose de droits spécifiques en tant qu'enfant: droit à l'éducation, à la culture et aux loisirs, droit d'avoir une famille, droit pour l'enfant «temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu à une protection et une aide spéciales de l'État».
L'avocate Valérie Piau remarque à quel point la simple idée que l'enfant a des droits n'est pas encore totalement passée dans l'opinion alors que la naissance, c'est dans le Code civil, constitue le point de départ de la «personnalité juridique».
Si la CIDE est ratifiée par tous les pays du monde à l'exception notable des États-Unis, son respect est une autre histoire; même en France des enfants sont maltraités, des enfants ne sont pas scolarisés alors que leur famille le demande, des enfants n'ont pas accès aux soins médicaux –par exemple en raison du manque criant de médecins scolaires–, d'autres encore n'ont pas ou trop peu accès à la culture.
Quel est donc le sens d'un tel texte aux objectifs que la plupart des pays peinent à remplir et pour lesquels un pays comme la France n'avance pas? Quel message éducatif envoie donc l'idée suivante: on vous donne des droits bafoués par ceux-là mêmes qui sont censés les garantir?
Faire connaître leurs droits aux premiers concernés
À vrai dire, j'ai commencé à y réfléchir de nouveau quand on s'est posé la question avec mes enfants –mon propre fils pense que ses droits ne sont pas respectés: leur consommation d'écrans est limitée, ils ne choisissent souvent pas ce qu'ils mangent, se couchent beaucoup trop tôt à leur goût et se font régulièrement crier dessus.
Il faut commencer par lire la convention. Consulter le texte aide à sortir des fantasmes, ceux des enfants (du type «on ne peut pas m'obliger à manger des carottes râpées») et ceux des adultes (la crainte du sacre de l'enfant roi). Les rédacteurs avaient en tête l'idée que la seule existence de la convention était loin de suffire. Ainsi l'article 42 demande aux États de la faire connaître aux adultes comme aux enfants. Pour le dire autrement, le texte a été pensé comme un objet dont le principe même était d'être porté à la connaissance de tous et de toutes. L'enfant doit savoir que la loi le considère comme une personne et qu'il ou elle a des droits, quand bien même la réalité n'est pas à la hauteur de ces belles idées. Les concepteurs ont pensé que c'était précisément faire œuvre éducative.
Cette volonté a été portée par la presse et l'édition jeunesse. Un livret est ainsi actuellement largement distribué par Bayard presse en partenariat avec de nombreuses associations. Pour la rédactrice en chef d'Astrapi, Gwenaëlle Boulet, «de nombreux combats restent à mener et faire connaître leurs droits aux enfants est une première étape essentielle».
Après trente ans d'existence, quel bilan tirer de cette convention? Pour la juriste et chercheuse en droit suisse Marie-Françoise Lücker-Babel, autrice du très intéressant Dictionnaire des droits de l'enfant, le gain existe et va même au-delà des droits des enfants: «Malgré les constats négatifs qu'on peut faire sur les progrès effectifs à travers le monde, malgré les tragédies, les choses avancent. Et je note que si la conscience du respect dû à tous les êtres humains s'est améliorée, c'est aussi grâce aux droits de l'enfant. Si aujourd'hui on parle de droits pour les sans-papiers, les handicapés, les malades psychiatriques, c'était beaucoup moins évident il y a trente ans. La conscience du droit de l'enfant et des personnes vulnérables s'est améliorée.»
La grande nouveauté portée par la convention fut également, selon Marie-Françoise Lücker-Babel, de dire que l'enfant a le droit d'être entendu·e et de participer. À l'époque de sa rédaction, on a entendu des voix s'élever pour s'inquiéter de la prise de pouvoir des enfants.
Dans les faits, cette prise de pouvoir s'est principalement traduite par la mise en place de délégué·es des élèves dans les écoles, mais de manière assez irrégulière.
Un mauvais message éducatif
Le problème est que les adultes sont peu sensibilisés à l'éducation à la démocratie. C'est tout un travail (on peut se référer aux très intéressants travaux de Michel Tozzi sur la question) qui peut se révéler contre-productif s'il n'est pas mené jusqu'au bout: faire voter des élèves, les faire siéger dans des conseils pour finalement ne pas leur donner la parole (cela arrive) ou les écouter revient à inculquer l'idée que «démocratie» est un mot décoratif.
L'école n'est d'ailleurs pas l'espace privilégié de l'application du droit, comme le pointe régulièrement Valérie Piau, autrice du Guide Piau: des lycées refusent illégalement de réinscrire des élèves qui ont échoué au bac ou des écoles pratiquent les punitions collectives, pourtant illégales.
Les droits des élèves, les droits des enfants ne sont donc pas respectés par les institutions qui les éduquent, école et famille. Paradoxe insupportable? Oui et non car les adultes, rappelle Marie-Françoise Lücker-Babel, se trouvent parfois dans la même situation: «Nous ne sommes pas parfaits, le bon sens c'est aussi de rappeler à l'enfant qu'il a des devoirs (aller à l'école par exemple) et dédramatiser: tenir compte de la parole des enfants ne signifie pas obtempérer à leurs exigences.»
Il est aussi compliqué de pouvoir les faire respecter. Dans quelle mesure le droit peut-il pénétrer l'intimité des foyers? C'est la question que pose entre autres la loi sur les violences éducatives adoptée le 11 juillet 2019, un texte qui va bien au-delà de l'interdiction de la fessée et qui précise que «l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques». En théorie, le droit ne s'arrête pas à la porte des maisons, pourtant cette loi est ignorée par de très nombreuses familles. Comment, alors, garantir une éducation sans violence?
Les droits de l'enfant restent un sujet pour lequel les discours, l'indifférence ou les actions de façade constituent des réponses aussi insatisfaisantes qu'habituelles, comme l'illustrent les récentes recommandations du Défenseur des droits en matière de prévention des violences faites aux enfants: Jacques Toubon a souligné le sous-financement de certains services comme le 119, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger, qui ne peut répondre à la majorité des appels qu'il reçoit.
Enfin, il ne faudrait pas négliger le découragement suscité par le sentiment d'injustice, celui de ne pas être écouté. Cela s'illustre par les comportements électoraux, par exemple –les jeunes votent moins que le reste de la population. C'est pourquoi les 30 ans de la CIDE ne peuvent se limiter à une célébration. C'est le sens de l'appel «De la convention aux actes!», soutenu par un «collectif informel mais en colère car dans les faits, les droits des enfants sont très très insuffisamment appliqués», explique Élodie Estève, coordinatrice. «Nous sommes trente-cinq associations et collectifs. Cela va de la Croix-Rouge au scoutisme en passant par l'Unicef.»
«On interpelle mais sans accuser; en fait on n'interpelle pas spécifiquement le pouvoir actuel mais bien tous ceux qui gouvernent depuis trente ans pour leur dire “écoutez notre expertise, nous pouvons la mettre à votre disposition”. En France, devant la précarité et l'inégalité de l'accès à l'éducation des enfants les plus pauvres, des mineurs isolés et des enfants en situation de handicap, ce sujet nous semble encore et toujours prioritaire.»
Pour Élodie Estève, le fait que le droit des enfants soit peu respecté envoie un très mauvais message éducatif. Tous les parents le savent, en matière d'éducation, les promesses non tenues font toujours beaucoup de mal.
Un point d'appui
Il faut d'ailleurs interroger le sens profond de ces promesses mal ou peu tenues. Les psychologues s'accordent pour dire qu'il ne faut pas faire de promesses aux enfants si on n'est pas capable de les tenir. Et pire encore si on n'a pas l'intention d'essayer de les tenir. Quels sont les effets du non-respect de la convention sur la construction des représentations de l'autorité, des parents et du droit pour les enfants?
Pour Stéphane Weiler, psychologue et psychanalyste intervenant auprès de Médecins du monde, «la question est surtout celle de la loi et du statut de l'enfant. La loi fait tiers, donc est toujours de bon recours pour la construction psychique d'un enfant. Si la loi peut représenter une limite, elle ne peut pas constituer une norme. C'est là que cela peut donner un malentendu».
Car on ne peut attendre de cette convention qu'elle régule les liens parents-enfants, qu'elle pose des limites au sein des familles. «On ne peut pas non plus attendre qu'elle supplante des réalités économiques ou politiques, et surtout pas qu'elle vienne asseoir un statut de l'enfant advenu dans les sociétés occidentales et qui s'instaurerait comme un progrès affranchi de composantes historiques ou culturelles. Et pour aller au bout des choses, on ne peut pas attendre, hélas, qu'elle empêche la maltraitance ou les violences sexuelles.»
Pour le psychanalyste, les droits de l'enfant sont une invention, qui vient se heurter en tout lieu à la réalité de la place de l'enfant dans la singularité et la multiplicité de ses déterminismes. Plus complexe encore, «ils viennent aussi se heurter au mouvement naturel d'un enfant de protéger ses parents, de s'identifier à eux, de porter une culpabilité quant aux dysfonctionnements».
Mais cette convention internationale peut constituer une référence, potentiellement un point d'appui pour des parents, des enfants, des institutions, pour défendre les enfants. Stéphane Weiler donne un exemple précis: «J'ai récemment eu un enfant avec ses parents en consultation qui leur faisait valoir la récente interdiction de la gifle, pour se protéger et poser des limites à ses parents.»