France

Le Giec dans un climat d'hostilité politique

La controverse actuelle ne doit pas faire oublier l'essentiel, et sur lequel les scientifiques s'accordent: la question environnementale est essentielle.

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De plus en plus présents sur la scène médiatique, les «climato-sceptiques» contestent la version du réchauffement climatique d'origine anthropique soutenue, semblait-il, par l'ensemble de la communauté scientifique. Quant au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), auréolé d'un prix Nobel en 2007, il fait l'objet de critiques inédites et d'appel à la dissolution. Le 10 mars, l'ONU a annoncé la création d'une commission d'experts pour évaluer le travail du groupe. On brûle ce que l'on a adoré.

Depuis quelques mois, le Giec est accablé par des scandales à répétition. Quelques semaines avant Copenhague, le «climategate» a révélé, via une centaine de mails piratés, que des chercheurs de l'université britannique d'East Anglia auraient arrangé des données pour renforcer les prédictions du Giec. Puis, sont sorties les erreurs sur la fonte des glaciers de l'Himalaya et le coût du réchauffement climatique. Enfin, le président de l'organisation, l'Indien Rajendra K. Pachauri, a été récemment mis en cause pour ses liens, via sa fondation Teri (The Energy and Resources Institute), avec des industriels intéressés par les marchés du carbone. Ce qu'il a démenti.

Tout ce que nous a appris le Giec est-il donc à jeter?

Loin de là. Si les positions d'Hervé Le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et membre de l'Académie des sciences, qui a participé au rapport du Giec de 2007, et de Vincent Courtillot, directeur de l'institut de physique du globe, et farouche opposant du Giec, divergent fondamentalement, les deux scientifiques s'accordent sur un point. L'importance de la question environnementale, au sens large. «Le diagnostic est incomplet si l'on en reste à un diagnostic climatique. Cette idée n'a pas toujours été bien claire, souligne Hervé Le Treut. Le changement climatique n'est grave, dans beaucoup de cas, que parce qu'il se combine avec d'autres facteurs, des situations de pauvreté, de guerre, d'insuffisance des infrastructures sanitaires... La science a du mal à aborder ces questions transversales, même si la communauté scientifique s'y attelle depuis une dizaine d'années.»

De leur côté, Vincent Courtillot ou encore Claude Allègre, s'ils contestent l'importance de l'activité humaine sur le réchauffement climatique, prônent le passage à une économie sobre en carbone au nom du bon sens et des impacts de la pollution sur l'environnement, comme l'acidification des océans par exemple. Le problème environnemental ne se limite pas au Giec, ni au réchauffement climatique.

Alors, comment comprendre cet embrasement?

Le Giec ne sort pas de nulle part. Il a été créé en 1988 à la demande du G7, convaincu que la question climatique allait être un enjeu crucial. Cet organisme travaille sous l'égide du Programme Environnement des Nations Unies et de l'Organisation Météorologique Mondiale. Il est constitué d'un bureau permanent restreint et de scientifiques bénévoles, qui y consacrent quelques mois lors de la rédaction des rapports. Le Giec ne fait pas de science. Ses rapports, publiés tous les 5 à 6 ans, reflètent l'état des consensus ou désaccords sur le réchauffement climatique à un instant donné et sur la base d'articles publiés. «Le processus du Giec est unique au monde», souligne Hervé Le Treut. «Chaque ligne a fait l'objet d'un consensus entre les représentants de près de 200 pays participant à la validation des synthèses. Certains souhaitaient affaiblir le texte et disposaient donc d'un droit de veto pour le faire. Cela prouve bien que si le dossier scientifique avait été vide, vu la procédure choisie par le Giec, on aurait abouti à un texte très mou, avec presque rien.»

On voit clairement ici la nature politique du Giec. Les statuts de l'organisation affirment que le Giec se veut utile aux gouvernements mais non prescriptif. Néanmoins, la position est difficile à tenir, admet Hervé Le Treut. «A Copenhague, le Giec a parfois été mentionné comme un prescripteur, ce qui m'a ému. C'est une facilité pour les gouvernements, qui manquent de volonté politique, et c'est destructeur pour le Giec.»

D'où viennent alors les critiques? Quel en est le but?

Selon Hervé Le Treut, il n'y a pas de débat scientifique là-dedans. «Aucune des erreurs relevées ne vient modifier profondément les conclusions du Giec.» Il y voit plutôt l'effet d'attaques qui, de façon classique, viennent déstabiliser la science qui dérange, comme celle sur les effets du tabac, de l'amiante...

Vincent Courtillot avance de son côté une autre explication à l'affaire des mails piratés,  pour laquelle une enquête est en cours. «Dans ce climat de pression, je pense que c'est le travail des membres du laboratoire qui a agi comme un lanceur d'alerte.» Il dénonce la fermeture du monde scientifique, revues comme instituts, à toute interprétation du changement climatique différente de celle du Giec. «La science ne fonctionne jamais par consensus. Affirmer à propos d'une science aussi nouvelle que l'on est sûr à 90% du réchauffement d'origine anthropique, ça n'est pas sérieux», assène-t-il.

Dans la synthèse de 2007, le Giec affirme en effet «avec un degré de très haute confiance» que le réchauffement climatique est lié aux activités humaines (voir le résumé du groupe de travail à l'intention des décideurs en 2007). Dans cette optique, supprimer ou réformer le Giec permettrait le retour à un débat scientifique plus ouvert sur la question. Argument scientifique, donc. Mais, conteste Hervé Le Treut, le débat est déjà ouvert.

Toutes les affirmations du Giec sont, dans la rédaction des rapports initiaux, soumises à la critique et au commentaire. Les incertitudes sur l'ampleur du réchauffement à venir, le rôle du soleil et d'autres phénomènes météorologiques sont présents dans les rapports du Giec, mais ils ne reflètent pas la position de la majeure partie de la communauté scientifique et ne sont donc pas retenus dans les synthèses.

La controverse scientifique ne suffit pas à expliquer le débat actuel. Le panel climato-sceptique est large. Au débat scientifique se mêlent des considérations économiques, politiques et idéologiques qui n'ont rien à voir avec des problèmes de modélisation. Naomi Oreskes est professeur d'histoire des sciences à l'Université de San Diego. Connue pour son analyse des mouvements climato-sceptiques américains, elle décrit, dans un livre à paraître en mai, Merchants of Doubt, l'action d'un lobby conservateur très bien organisé:

J'ai étudié l'une de leurs principales organisations, le George Marshall Institute. Il s'agit d'un think tank influent, fondé par un éminent physicien, Frederick Seitz (décédé en mars 2008), qui avait présidé l'Académie des sciences américaine. Frederick Seitz a travaillé dans les années 1970 et 1980 pour la compagnie de tabac R.J. Reynolds en dirigeant un programme de recherche pour contester le lien entre la cigarette et le cancer du poumon. Il s'agissait de faire naître un "doute raisonnable" pour protéger les industriels. La méthode est reprise pour contester le réchauffement climatique. Il s'agit d'une prise de position idéologique, ultra-libérale. Agir contre le réchauffement climatique implique une régulation et un interventionnisme auxquels ils sont farouchement opposés.

On est ici très loin du débat scientifique.

Anne de Malleray

Photo: A Sant Feliu de Llobregat, près de Barcelone, le 8 mars 2010. REUTERS/Gustau Nacarino

À LIRE ÉGALEMENT: La chronique de Claude Allègre: Il faut supprimer le Giec

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