Santé / Sciences

«Il a un besoin énorme de tout contrôler»

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Marie, dont le conjoint aimerait pouvoir tout régenter au sein de leur couple, quitte à ne pas tenir compte de ce qu'elle désire.

<em>«Quand je lui propose un horaire pour se voir, il me trouve rigide.»</em> | Gauthier Delecroix <a href="http://www.flickr.com/photos/gauthierdelecroix/">via Flickr</a>
«Quand je lui propose un horaire pour se voir, il me trouve rigide.» | Gauthier Delecroix via Flickr

Temps de lecture: 5 minutes

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected].

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

Cela fait plus d'un an que je vis à l'étranger, maintenant. Ayant changé de pays, il se trouve que je n'ai pas vraiment encore créé de cercle amical, mais cela commence petit à petit. Ce qui m'a pris beaucoup de temps ces derniers six mois, c'est un charmant local avec qui on est rapidement passés du stade de «partenaires linguistiques» à celui de partenaires amoureux. Ça n'a pas été simple pour moi. J'ai rompu une relation de dix ans avant de partir à l'étranger. Une relation un peu (beaucoup) malsaine, qui s'est mal terminée.

Lui et moi, ça file mais ça n'est pas si simple. On ne se dispute pas, mais on a des opinions radicalement différentes. Ça me plaît, d'avoir rencontré ce type qui s'affirme! On ne parvient jamais à un consensus, mais ça ne nous semble pas important.

On ne vit pas très loin l'un de l'autre, vingt minutes en voiture ou une heure en transport. Lui, chez ses parents. Moi, en colocation. Je n'ai pas de voiture. Lui, si. On parvient à se voir une à deux fois par semaine. Parfois c'est compliqué, et il ne veut pas venir me voir car il est fatigué de faire la route. Et moi, je ne peux pas vraiment me pointer chez ses parents, que je ne connais pas. Mais bon, on s'organise des week-ends, qui se passent toujours très bien.

Nous avons tous les deux de fortes personnalités. Parfois, son comportement m'échappe: il a un besoin énorme de tout contrôler. Parfois, quand je lui propose un horaire pour se voir, il me trouve rigide. J'essaie de composer avec nos différences.

Vivre chez ses parents n'est pas vraiment un choix de sa part, c'est plutôt une nécessité passagère. En effet, il revient de cinq ans à l'étranger, où il a, par ailleurs, vécu une belle histoire d'amour (avec une Française...). Ils se sont séparés uniquement car elle n'a pas voulu le suivre (d'après ses dires).

Il lui vient depuis quelques temps l'envie de prendre à nouveau son indépendance. Et il m'a proposé il y a peu qu'on emménage ensemble. J'ai freiné des quatre fers au départ, puis j'ai réfléchi: de fait, vivre ensemble permettrait de voir si on est vraiment «fait l'un pour l'autre», ou si ça ne sert à rien de s'accrocher. Bref, j'ai fini par accepter, et avec joie. J'adore me projeter dans un futur avec lui et je rêve (à nouveau) de construire des projets de vie. Une condition de son côté: ne pas vivre dans la capitale, mais en périphérie. Ça me coûte, mais j'accepte, à la condition d'être proche d'un moyen de transport proche, pour éviter d'avoir trop d'heures quotidiennes de transport et pour pouvoir aller en ville quand je le souhaite. Il est d'accord, mais me dit que ça dépend de ce que l'on trouvera. Soit.

J'ai trouvé à partir de là que son comportement était étrange: il a commencé à chercher un appartement seul, de son côté, sans m'en parler. Il a pris des rendez-vous pour visiter, sans moi. Quand je lui exprime mon envie de participer, il me dit que c'est compliqué. Je lui envoie des annonces, mais elles ne l'enchantent pas. Et un jour, c'est le pompon. De lui-même, il me parle d'une super location, pas chère. Quand je lui demande dans quelle zone, il me dit que c'est justement l'immeuble de son frère et de ses parents. Je connais un peu, ça ne m'enchante pas. Je lui en fais part: c'est à trente minutes à pied des transports en commun...

Nous venons de passer toute la soirée à en discuter sur WhatsApp, je me sens terriblement mal. Il me dit que mon argument n'est pas valable, puisqu'il pourrait très bien m'y conduire, à la station. Que sinon, je peux acheter une trottinette. Qu'il y a toujours le bus. Bref, il me cherche des solutions mais je n'arrive pas à les accepter. Je pense à moi, mais aussi à mes visiteurs, comme ma famille, qui ne pourra pas se permettre d'être aussi loin du centre pour en profiter un peu.

Je suis triste car j'ai l'impression qu'il ne prend pas en considération mes besoins, et il est déçu car je me plains constamment. C'est terrible, je ne sais pas comment sortir de ce conflit, qui n'allait pas manquer d'exploser tôt ou tard. J'ai fini par lui dire qu'il pouvait prendre cet appartement, mais que ce serait sans moi. Il a dit qu'il n'attendait pas mon accord pour faire les choses...

Comment se sortir de cette situation? J'ai l'impression d'être dans une impasse. Je suis prête à faire des concessions, mais il semble que de son côté ce ne soit pas le cas. Je pense que l'on va droit dans le mur. Je crois que j'ai juste besoin qu'on me le dise. Vos réponses sont franches et sans détour, ça m'aiderait pas mal d'avoir votre retour. Je me sens tellement seule…

Marie

Chère Marie,

Je veux déjà vous dire bravo d'écouter votre instinct, d'envisager autre chose que la voie tracée. Oui, vous avez raison, quelque chose n'est pas clair. Votre relation n'est pas équilibrée du fait que votre compagnon ne respecte pas vos besoins et votre avis. Choisir un domicile où cohabiter doit se faire à deux ou en tout cas dans le respect des impératifs énoncés par les deux parties. Si concessions il doit y avoir, elles doivent se faire également à l'issue d'une discussion où les partenaires ont une voie égale au chapitre.

Il est normal que votre compagnon soit déçu de votre réaction. Comment comprendrait-il ce qu'il se passe dans votre tête? Il s'occupe de tout! Et puis, de son côté, il n'y a que des raisons de se réjouir. Quelle aubaine! Pourquoi ne seriez-vous pas heureuse, s'il est heureux? Dans cette optique, avec un tel problème de communication et de positionnement, impossible de trouver une solution.

Mais vous pouvez lui expliquer que ce projet n'est pas le vôtre. Que c'est une idée importante pour vous. Vous avez besoin de partager avec lui, pas de vous voir imposer des choses. Quelque part, vous pariez plus sur votre futur qu'il ne le fait. Vous êtes dans une logique de construction, alors qu'il ne pense qu'à l'organisationnel.

Il faut commencer par une discussion. On ne s'engage pas dans un projet de vie commune sans, justement, mettre en commun les éléments que l'on estime indispensables. Proposez de coucher sur le papier les conditions qui ne souffriront pas d'argumentation pour vous. Voulez-vous que l'appartement soit à moins de quinze minutes des transports en commun? Écrivez-le. Certains quartiers sont inenvisageables pour vous? Exprimez-le. Qu'il en fasse de même pour ses propres conditions. Prenez en compte si l'activité ne lui convient pas ou qu'il n'en voit pas l'intérêt.

Imaginez la suite des événements avec cette même logique: «Chérie, on va se marier, mais ce sera à la campagne et avec 250 invités. J'ai déjà commandé le traiteur et les ballons et ma mère s'occupe des arrangements floraux.» Ou encore: «Chérie, cette année on fait un bébé, ce sera un garçon et il s'appellera Gaëtan. J'ai déjà choisi le parrain et la marraine et j'ai peint sa chambre en vert.»

On peut imaginer que c'est confortable d'avoir un conjoint qui prend les choses en main. Et j'entend déjà les opposants au féminisme crier: «Vous n'êtes pas contentes quand les hommes ne font rien! Vous râlez quand ils font tout! Vous n'êtes jamais satisfaites!» En réalité, un couple équilibré est un couple où chacun voit son identité propre respectée, où les décisions sont prises à deux ou partagées en fonction des affinités et de la disponibilité de chacun. C'est dire à l'autre: «Es-tu d'accord?», et accepter qu'en face on nous oppose un refus qui ouvre alors la discussion. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc, je fais tout ou il fait tout. On peut faire ensemble, rêver son futur ensemble, construire ensemble. Imposer, quoique l'on impose, c'est déséquilibrer la balance. C'est prendre plus de place que l'autre. Et, quelque part, c'est donner plus de place à soi qu'à son amour.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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