Égalités / Société

Paroles d'auteurs de violences conjugales en repentance

Des associations et organismes divers proposent des groupes de parole et programmes pour permettre à ces hommes de prendre la mesure de leurs actes.

Une fois par mois, lorsque tous les travailleurs sont rentrés à Auviv, un groupe d'expression est organisé. | Dylan Gillis <a href="https://unsplash.com/photos/KdeqA3aTnBY">via Unsplash</a>
Une fois par mois, lorsque tous les travailleurs sont rentrés à Auviv, un groupe d'expression est organisé. | Dylan Gillis via Unsplash

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Il est 10 heures du matin et Fabrice* est déjà au travail. Il nettoie la cuisine et tient dans sa main un bout de papier sur lequel quelques mots et un numéro sont inscrits. Il paraît pressé d'en parler: le numéro appartient à l'assistante sociale qui va l'aider à reprendre sa vie en main. Arrivé il y a seulement deux jours à Auviv (Auteurs et victimes de violences), une structure socio-judiciaire basée à Frotey-lès-Vesoul, dans l'est de la France, Fabrice est déterminé à changer.

Sur deux étages, douze chambres d'un peu plus de dix mètres carrés chacune sont prévues pour accueillir les résidents. Fabrice propose une courte visite. «C'est sûr, je suis mieux ici qu'en prison», lance-t-il d'un ton pragmatique. Arrêté une première fois pour violences sur sa compagne, Fabrice avait fait l'objet d'un rappel à loi puis avait été relâché. Quelques mois plus tard, une fois encore sous l'emprise de l'alcool, de nouvelles violences envers sa femme, à qui il est marié depuis vingt ans, obligent cette dernière à appeler les gendarmes. Ils procèdent donc, de manière musclée, à la seconde arrestation de Fabrice.

«Ils sont venus le matin très tôt. On aurait dit que j'étais un terroriste, ils étaient dix autour de ma maison», se souvient-il. Ses enfants, présents lors de l'arrestation, ont été interrogés par les gendarmes. Le père de famille raconte que, sans doute sous le choc, ils «ne savaient pas ce qu'ils disaient» et qu'à cet effet, ils auraient «amplifié ce qu'ils ont vu ce jour-là».

En prison pendant deux semaines, Fabrice a pu réfléchir à ses actes, leurs conséquences sur sa vie de famille, son travail. C'est là que sa volonté de changer s'est forgée. «Quand je vois ma femme, elle me dit toujours qu'elle est désolée d'avoir appelé les gendarmes, que c'est de sa faute si j'en suis là, explique-t-il. Mais je la remercie. Ça ne pouvait plus continuer.» Aujourd'hui sous traitement, notamment pour réguler ses humeurs et soigner son addiction à l'alcool, Fabrice souhaite transformer ces passages en prison et à Auviv en leçon de vie. «J'ai perdu beaucoup. Avant d'aller en prison, j'avais un super travail, j'étais bien payé. Mais quand je sortirai d'ici, on ne voudra plus de moi avec mon casier judiciaire.»

Tourneur-fraiseur dans une centrale nucléaire près de Vesoul pendant plusieurs années, Fabrice se retrouve au chômage. Conscient de ses erreurs, il est plus motivé que jamais à «entreprendre les démarches nécessaires pour reprendre [sa] vie en main». Fabrice entend par là ses consultations avec le psychologue d'Auviv, ses rendez-vous à Pôle emploi pour retrouver un travail et sa volonté de guérir. «Ici, j'apprends de mes erreurs sans faire de mal à ma famille. En prison, je n'aurais peut-être pas tant pris conscience du traumatisme que j'ai causé chez la femme de ma vie», admet-il.

Tout n'est plus permis

Auviv a pris ses quartiers à quelques kilomètres de Vesoul il y a dix ans, pour «attaquer le mal à la racine», comme l'explique Bruno Marboutie, éducateur dans la structure depuis mars 2018. L'idée est de guider les personnes violentes, déjà condamnées ou non, à comprendre leurs actes et entamer une prise de conscience. Aujourd'hui en France, les établissements comme Auviv sont au nombre de trente-trois et tous reliés à la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales et familiales (Fnacav).

«Ils sont perturbés parce qu'ils quittent le foyer conjugal où ils étaient maîtres et se retrouvent ici, devant l'autre, où tout n'est pas permis.»
Bruno Marboutie, éducateur à Auviv

Rugbyman à ses heures perdues, Bruno Marboutie en impose. Poignée de main ferme, carrure athlétique et crâne presque chauve, aucun doute, il sait se faire respecter. Il est l'interlocuteur principal des auteurs de violences en résidence, mais également des victimes. Il est la première personne avec qui ces dernières discutent après le départ de leurs conjoints. Bien souvent, l'admission de leur compagnon à Auviv permet à la victime de rester au domicile conjugal. Et cela conformément aux lois successives de décembre 2005, avril 2006 et mars 2007, relatives au traitement de la plainte, facilitant l'éviction du domicile de l'auteur de violences à tous les stades de la procédure pénale.

Souvent régies par un certain nombre de règles, les structures comme Auviv interdisent très souvent aux résidents d'entrer en contact avec leurs compagnes. Cet éloignement, ponctuel ou permanent, permet peu à peu d'atténuer les rapports de force et de domination installés au sein du couple. Auviv chamboule leurs habitudes, selon l'éducateur. «Ils sont perturbés parce qu'ils quittent le foyer conjugal où ils étaient maîtres et se retrouvent ici, devant l'autre, où tout n'est pas permis.»

S'autonomiser et se reconstruire

Ce séjour en communauté, encadré par un psychologue et un travailleur social est censé permettre à ces hommes, aux profils et âges variés, de se reconstruire et s'autonomiser. «Certains hommes arrivent ici sans savoir faire des courses, se faire à manger, ni même quelle taille de vêtements ils font», raconte Bruno Marboutie. Chez ces hommes, la cohabitation avec d'autres personnes amorce un réel changement de comportement.

Paul*, 52 ans, un Italien de naissance aux traits marqués et au teint hâlé, réside à Auviv depuis dix mois. Une période beaucoup plus longue que ce qui est normalement préconisé en post-sentenciel, c'est-à-dire après avoir été jugé. Alcoolique et gérant mal la frustration à son arrivée, Paul a tout de suite été placé sous traitement. Bénéficiant de la possibilité de rentrer au foyer conjugal du jeudi au mardi, il a récemment été établi qu'il était temps de le laisser rentrer chez lui de manière permanente.

«Je ne me rendais pas compte du mal que je faisais à ma femme, à ma famille. Être séparé d'eux a été comme un électrochoc pour moi.»
Franck, thanatopracteur

Si Paul a énormément gagné en autonomie au cours de ces mois en résidence, il n'est pas certain que ses mauvaises habitudes ne ressurgissent pas une fois rentré pour de bon. Bien qu'il ait été suivi par un psychologue pendant de longs mois, Paul n'a jamais vraiment admis la raison pour laquelle il avait fini à Auviv. Exerçant, en plus d'évidentes violences physiques, une forte pression psychologique sur sa compagne, Paul a lui aussi été présenté à un juge à la suite d'un appel de sa femme aux gendarmes. Dénigrement constant, refus de toute activité qui pourrait faire plaisir à sa femme et améliorer leur communication... Paul semble, contrairement aux autres résidents, hermétique aux reproches qu'on peut, preuves à l'appui, lui adresser.

Susciter le débat pour communiquer

Un soir par mois, lorsque tous les travailleurs sont rentrés à Auviv, un groupe d'expression est organisé. Ce soir-là, c'est la représentation de la femme dans les publicités qui est abordée. Avec un diaporama, on redécouvre alors les campagnes pour Moulinex, où la femme n'est bonne qu'à cuisiner et contenter son mari quand il rentre du travail. Et peu à peu, les langues se délient. «C'est sidérant de voir ça», dit Franck, rentré de son travail de thanatopracteur une heure plus tôt. Père de deux filles âgées d'une vingtaine d'années, Franck tient à son rôle au sein de la maison. En aparté, il admet volontiers avoir «dérapé» avec sa compagne, qu'il a frappée de nombreuses fois avant d'être admis à Auviv. «Je ne me rendais pas compte du mal que je faisais à ma femme, à ma famille. Être séparé d'eux a été comme un électrochoc pour moi. J'ai ouvert les yeux. Aujourd'hui je veux juste réparer mes erreurs», se repent-il.

Les publicités plus contemporaines, où seul le corps de la femme est mis en avant, provoquent aussi de vives réactions. Steve*, arrivé il y a six mois à Auviv, après quelques semaines passées en prison et en maison d'arrêt, a son mot à dire. «Quand on voit ça, il ne faut pas s'étonner de voir des jeunes filles dans la rue qui portent des jupes ras la salle de jeux pour aller au collège, décrit-il l'air outré. Pour certains hommes, c'est comme une incitation au viol.» Il poursuit, une comparaison douteuse en tête. «Un soir en boîte de nuit, mon oncle avait laissé sa voiture garée devant, oubliant les clés à l'intérieur. Il se l'est fait voler, mais ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, débite-t-il. Les voleurs ne sont pas entrés par effraction, les clés étaient sur le contact. Comme une incitation au vol, vous voyez?» Bien que très déroutante, cette réflexion n'interpelle que l'éducateur, qui le reprend.

Steve a 35 ans et est loin d'être bavard au quotidien. Il n'a aujourd'hui plus le droit d'approcher sa femme, avec qui il a un enfant. Concernant les violences exercées sur sa compagne, personne n'ose rien dire. Les autres résidents parlent juste «de choses très graves». Steve ne formule clairement aucun regret, mais sa situation le torture visiblement. «J'ai perdu un fils quelques jours après sa naissance, le 26 décembre 2013, lâche-t-il péniblement. J'étais en détention quelques années plus tard et j'ai voulu aller fleurir sa tombe à la date anniversaire. On ne m'y a pas autorisé parce que le cimetière est à côté du logement de mon ex.»

Les propos tenus lors de ces séances d'expression mensuelles y restent. Mais cet exercice permet toutefois à Bruno Marboutie de constater, par le biais de sujets transversaux, où en sont les résidents dans leur manière de communiquer avec les autres.

Si Auviv est une alternative efficace, aux résultats souvent plus probants que l'emprisonnement, il n'est jamais garanti que les auteurs de violences qui y séjournent en ressortent métamorphosés. Il arrive que certains hommes n'avouent jamais leurs torts et que la relation nocive qu'ils entretiennent avec leurs compagnes perdure. Bénéfique à la seule condition d'un engagement et d'une sincère volonté de changer de la personne violente, cette alternative sociale gagne du terrain en France et apparaît de plus en plus comme une issue de secours.

* Le prénom a été changé.

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