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Les fils Bolsonaro, plus inquiétants encore que leur père

Au premier plan depuis l'ascension de l'extrême droite, les trois fils politiciens du président brésilien ne font pas dans la dentelle.

Eduardo Bolsonaro, troisième fils du président brésilien, regarde son père, Jair Bolsonaro. | Sergio Lima /AFP
Eduardo Bolsonaro, troisième fils du président brésilien, regarde son père, Jair Bolsonaro. | Sergio Lima /AFP

Temps de lecture: 6 minutes

Dans le numéro 11 de la revue America, on peut lire l'interview que la romancière, novelliste, dramaturge et essayiste américaine Joyce Carol Oates accorde au journaliste François Busnel. En évoquant la politique de son pays, l'écrivaine affirme que l'Amérique a toujours été divisée.

Mais, souligne-t-elle, «l'élection de Trump a fracturé le pays comme jamais, car Trump est, lui-même, un personnage extrême. Trump insulte quiconque n'est pas d'accord avec lui. Vous avez tous lu ses propos sur les femmes, les noirs, les latinos, les homosexuels, les transgenres, les marginaux, les migrants et, d'une manière générale, sur tous ceux qui ne le portent pas aux nues: l'insulte est son mode d'expression préféré. Il est grossier et démagogue. Trump a décomplexé les gens en utilisant l'injure en permanence et en flattant leurs instincts les plus vils.»

Joyce Carol Oates emploie à l'endroit du président américain des adjectifs qui auraient pu être utilisés, mot pour mot, pour décrire le modus operandi de l'actuel président du Brésil. Les dernières élections présidentielles qui ont eu lieu aux États-Unis puis au Brésil sont un tournant dans l'histoire des deux pays. Brésiliens et Américains ont cela en commun: des leaders qui semblent partager la même vision du monde et aiment défrayer régulièrement la chronique.

Zéro un, Zéro deux et Zéro trois

Dans l'actuel panorama politique brésilien, il est désormais impossible d'ignorer trois personnages hauts en couleur: les enfants du président Bolsonaro.

Ses trois fils politiciens –plus inquiétants que leur père, ils sont une sorte de cerbère– sont adeptes d'une droite dure et désinhibée (ils ont une grande attirance pour les idéologues d'extrême droite) qui défend, entre autres, la peine de mort et le travail forcé des détenu·es. Ils partagent une haine profonde du communisme, le mépris des minorités et sont des fervents défenseurs de l'industrie agroalimentaire. Autre point commun, peut-être le plus important à signaler: le goût du pouvoir et de la provocation.

La presse brésilienne les surnomme Zéro un, Zéro deux et Zéro trois.
 

Flávio Bolsonaro et Carlos Bolsonaro. | Evaristo Sa/AFP

Zéro un, l'aîné de la fratrie s'appelle Flávio Bolsonaro. À 38 ans, il est sénateur de la ville de Rio de Janeiro. Ancien conseiller municipal, ancien député, il est accusé d'avoir eu des liens indirects avec la milice de Rio.

Le fils Zéro deux s'appelle Carlos Bolsonaro, aka pitbull, ce qui en dit long sur le caractère du jeune homme. À 36 ans, il est conseiller à la chambre municipale de la ville de Rio de Janeiro depuis près de vingt ans, et un grand nostalgique de la dictature militaire, tout comme daddy. Il adore partager sur Twitter ses réflexions quotidiennes sur la marche du monde. En septembre dernier il a ainsi affirmé: «Par la voie démocratique, la transformation voulue par le Brésil n'aura pas lieu à la vitesse que nous souhaitons.»

Mais parmi les trois rejetons du président brésilien, le plus populaire est sans aucun doute Zéro trois. Eduardo Bolsonaro, 35 ans, député de la ville de São Paulo (élu avec plus de 1,8 million de votes, un record au Brésil), apparaît de plus en plus comme le successeur du président. Si son père porte le surnom de «Mythe», le fils est tout naturellement appelé «Petit mythe» par ses électeurs.
 


Eduardo Bolsonaro. | Mandel Ngan / AFP

Eduardo Bolsonaro vénère les armes à feu, il affirme d'ailleurs avoir toujours un pistolet sur lui, y compris quand il rend visite à son père à l'hôpital. Il les aime tellement qu'il a adopté un chien et l'a baptisé Beretta (en hommage à la fabrique d'armes italiennes). Le chiot a un compte sur Instagram et –surréaliste mais vrai!– il est suivi par 40.000 abonné·es.

Diplômé de droit, Zéro trois est profondément habité par l'idée d'unir les forces contre ce qu'il analyse comme la domination culturelle gauchiste marxiste. Il admire l'idéologue américain Steve Bannon, ainsi que Matteo Salvini, et travaille à unir les forces populistes du monde entier. Le jeune député était pressenti pour être ambassadeur du Brésil aux États-Unis (Donald Trump le qualifie d'ailleurs de «personne remarquable»). Mais le 23 octobre dernier il a dû renoncer au poste: «C'est une décision à laquelle je réfléchis depuis longtemps. J'ai écouté les conseils de beaucoup de gens et je dois penser à mon électorat. J'avoue que je n'avais pas le soutien de la majorité.»

Il faut dire que le Sénat brésilien n'a pas vraiment apprécié l'idée et n'a pas démontré la moindre intention de valider ladite candidature. Et puisque Zéro trois ne partira plus aux États-Unis, son père a décidé qu'il devra jouer un rôle majeur au sein du parti, celui de pacificateur. En effet, le Parti social-libéral (celui de Bolsonaro) vit une crise provoquée par un scandale de candidatures fictives lors des élections de 2018. Un dirigeant du PSL, Marcelo Álvaro Antônio, alors député dans le Minas Gerais, aurait notamment détourné des fonds de campagne alloués à plusieurs candidats fantômes. Zéro trois est prié de calmer les nerfs au sein de son parti et de réunifier les bolsonaristes.

Réunion conservatrice

Le jeune député a été aussi désigné comme l'un des représentants (en Amérique du Sud) de The Movement, une organisation créée par Steve Bannon (l'ancien gourou de Trump), pour approcher et réunir les droites dans le monde ou, pour le dire plus joliment, «dans le but de promouvoir une vision nationaliste et souverainiste contre le globalisme».

Et il faut croire que Zéro trois est très impliqué dans son rôle de représentant de l'ultra droite puisqu'il a importé des États-Unis le CPAC (Conservative political action conference), une réunion politique organisée par les conservateurs américains qui a lieu chaque année et rassemble jusqu'à 10.000 participant·es. La version brésilienne a eu lieu à São Paulo, les 11 et 12 octobre dernier. Sur le site internet consacré à l'évènement on peut lire: «Après des décennies d'obscurité, un nouveau faisceau de lumière frappe les terres brésiliennes. Dans cette nouvelle ère, la société se fait entendre et se mobilise contre la terreur du communisme.» Tout est dit.

Parmi les sujets traités lors de cette première édition brésilienne: le conservatisme au Brésil, les intérêts qui se cachent derrière la crise de l'Amazonie, les droits humains face à criminalité au Brésil, l'importance de la famille et du mariage traditionnel, la défense des valeurs chrétiennes et du gouvernement Bolsonaro, la lutte contre l'avortement.

Entre drapeaux brésiliens, casquettes «Make America Great Again», pin's à l'effigie de Jésus et Marie, enthousiastes de la droite, influenceur·ses et une poigné de membres du gouvernement, Zéro trois a été reçu comme le messie. Chez les bolsonaristes, on pense déjà à 2022. Eduardo Bolsonaro et son chiot Beretta seront-ils un jour à la tête du plus grand pays de l'Amérique du sud? Prévoir l'avenir politique au Brésil n'a jamais été une mince affaire, car l'histoire nous a déjà prouvé que tout peut changer d'une minute à l'autre...

Les pieds dans le plat: la méthode Zéro trois

Lors d'un entretien accordé le jeudi 31 octobre à une chaîne YouTube, Zéro Trois a pensé qu'il était judicieux d'évoquer l'Acte institutionnel numéro 5 (AI-5) –par lequel le régime militaire a fermé le Congrès en 1968 et suspendu les libertés constitutionnelles.

«Il arrivera un moment où la situation sera la même qu'à la fin des années 1960 au Brésil, quand ils [les mouvements de gauche radicalisés, ndlr] détournaient des avions, exécutaient, séquestraient de hautes autorités comme des consuls, des ambassadeurs, des policiers, des militaires», a dit Eduardo Bolsonaro. «Si la gauche se radicalise à ce point, il nous faudra y répondre. Cette réponse peut être un nouvel AI-5, ça peut être une législation approuvée par référendum.»
 

Il est vrai que pour les Bolsonaro, la gauche incarne ce qu'il y a de pire et naturellement tout est de sa faute. Le président brésilien, qui a l'habitude de minimiser les bêtises prononcées par sa descendance a simplement répondu sur la chaîne de télévision Band: «On regrette cette information, en partie fallacieuse, mais mon fils est prêt à présenter ses excuses, sachant que ses déclarations ont été mal interprétées.»

Mais évoquer l'Acte institutionnel numéro 5 a fait frémir certains parlementaires, dont le président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia de centre droit. Il a qualifié les déclarations d'Eduardo Bolsonaro de «répugnantes» et indiqué que «l'apologie réitérée des instruments de la dictature est passible de sanctions».

En effet, le conseil d'éthique de la Chambre des députés réfléchit à une punition, voire une demande de suppression de son mandat de député. Zéro trois a, de son côté, fait marche arrière: «Je présente mes excuses à quiconque a pu comprendre que j'envisage le retour du AI-5 ou que le gouvernement étudie une mesure en ce sens. Cette possibilité est une interprétation fallacieuse de ce que j'ai dit. J'ai seulement fait mention du AI-5, je n'ai pas dit qu'il serait remis en vigueur.» Ou comment dire tout et son contraire.

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