Culture

Au Forum des images, trois cinéastes brésiliens face à la réalité politique de leur pays

Pour sa 11ème édition, c’est un cinéma à la croisée des chemins, entre effervescence créative et tourmente politique, que le Festival Un état du monde du Forum des images (15-24 novembre) met à l’honneur.

De gauche à droite: Kleber Mendonca Filho (© Ph. Lebruman), Karim Ainouz (© Henrique Kardozo), Gabriel Mascaro (© Bruna Valença).
De gauche à droite: Kleber Mendonca Filho (© Ph. Lebruman), Karim Ainouz (© Henrique Kardozo), Gabriel Mascaro (© Bruna Valença).

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L’émergence ces dernières années de nouveaux cinéastes, auteurs de véritables succès publics et critiques, ne saurait masquer la crise que vit le cinéma brésilien depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, le 1er janvier 2019.

Résolu à bannir ce qu’il appelle «le marxisme culturel» du Brésil, le leader d’extrême-droite a dissout le ministère de la Culture, le transformant en obscure division du ministère de la Citoyenneté. Il a aussi gelé l’agence du cinéma dont la mission est comparable à celle du CNC français. Résultat: un climat où l’incertitude le dispute à l’hostilité.

Lors de la 11ème édition du Festival Un état du monde du Forum des images, une table ronde réunira, le dimanche 17 novembre à 17h30, trois réalisateurs brésiliens de tout premier plan -  Kleber Mendonça Filho, prix du jury au dernier Festival de Cannes pour Bacurau (en salles), Karim Aïnouz et Gabriel Mascaro - autour de cette question: que peut le cinéma face à la machine d’Etat?

 

 

«Ce qui est particulièrement dur, c’est que cette crise est artificielle, elle a été totalement fabriquée par le gouvernement», nous explique au téléphone, avant sa venue à Paris, Kleber Mendonça Filho, dont on pourra découvrir au Forum des images les courts-métrages ou revoir le remarquable Aquarius  (2016). «Bolsonaro dit vouloir un cinéma qui célèbre ce qu’il appelle les vrais héros du Brésil, la question est de savoir quelle part de création, de liberté, peut rester dans ces conditions», nous explique pour sa part Gabriel Mascaro, plasticien et cinéaste.

Aquarius ©  SBS Distribution

Une jeune génération déboussolée

Depuis Berlin où il vit désormais, le troisième invité, Karim Aïnouz, a l’impression de «vivre un mauvais flashback: j’ai vécu ça dans les années 1990 et pour reconstruire un système de financement efficace, qui aide la création, ça a pris dix ans». «J’ai l’impression que le cinéma n’est pas détruit mais qu’on le laisse se vider de son sang, petit à petit», poursuit l’auteur de Madame Satã (2001).

Les trois cinéastes évoquent des collègues inquiets, sans travail et une jeune génération déboussolée, «certains réagissent par la dépression, la tristesse», remarque Kleber Mendonça Filho. «Dans le Nord-Est, c’est un peu différent, précise Gabriel Mascaro depuis Recife, Gilberto Gil, qui était ministre de la Culture du gouvernement Lula, avait décentralisé les mécanismes de financement qui jusque-là étaient exclusivement à Rio et São Paulo. Notre région en a particulièrement profité et a même conquis une réputation d’audace artistique. Pour l’instant, c’est encore vrai».

Et puis, il y a l’aspiration à créer, d’autant plus forte que les circonstances sont hostiles. «Il n’a jamais été plus facile de fabriquer des films, sur le plan technique, et il n’y a jamais eu autant d’étudiants dans les écoles de cinéma», remarque Gabriel Mascaro. Et Karim Aïnouz de déplorer: «comment vivre en étant cinéaste dans le Brésil d’aujourd’hui? Il y avait un vrai élan, beaucoup de projets qui se montaient, et tout est arrêté… En même temps, il y a un essor des cinéastes afro-brésiliens, et beaucoup de vitalité. Autant de raisons d’espérer».

Une plongée dans l’émotion

Autre conséquence de cette situation: les films prennent, presque malgré eux, une couleur politique. «J’ai conçu mon dernier film, Divino Amor (présenté en avant-première au Forum), avant Bolsonaro, explique Gabriel Mascaro, c’est un film sur le programme religieux conservateur que beaucoup de forces politiques cherchent à imposer aujourd’hui. La première projection, au Festival de Sundance, a eu lieu la semaine de l’investiture de Bolsonaro. Et depuis, chaque semaine, chaque tweet, chaque décision de Bolsonaro est en résonance avec le propos du film!»

 

Divino Amor copyright Desvia-Victor_Juca_13

Au bout du compte, ce qui frappe les cinéastes, c’est l’amour du public pour le cinéma brésilien, la portée émotionnelle des films pour eux. «Aquarius a fait un million d’entrées, rappelle Kleber Mendonça Filho, et j’ai à nouveau constaté avec le prix de Bacurau au Festival de Cannes que les Brésiliens sont fiers des films qui s’exportent, qui ont un prestige international».

Karim Aïnouz a récemment projeté son dernier film – La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (en avant-première au Forum des images), prix Un Certain Regard à Cannes – dans une banlieue de São Paulo. «J’ai senti une chaleur incroyable, les gens s’impliquaient complètement dans l’histoire des personnages, raconte-t-il. Quand je montre mes films ailleurs, je sens une curiosité légitime par rapport au Brésil, mais les Brésiliens plongent directement dans l’émotion». Une plongée que le spectateur parisien est invité à oser, le temps du Festival Un état du monde.

Lisa Frémont

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