Culture

«Watchmen» et «Mrs. Fletcher», brillants passages du papier à l'écran

La première s'écarte sciemment de l'œuvre d'origine, l'autre est créée par le romancier lui-même, mais les deux séries nous redonnent foi en l'exercice de l'adaptation.

Tim Blake Nelson dans <em>Watchmen</em> et Kathryn Hahn dans <em>Mrs. Fletcher</em>. | Captures d'écran via YouTube
Tim Blake Nelson dans Watchmen et Kathryn Hahn dans Mrs. Fletcher. | Captures d'écran via YouTube

Temps de lecture: 7 minutes

Il y a tellement de séries qu'on n'a presque plus le temps de lire des livres. Ça tombe bien, puisque toutes les sorties du moment sont en fait des adaptations littéraires. Watchmen, À la croisée des mondes, Mrs. Fletcher, La Guerre des mondes, Daybreak, Looking for Alaska... cette semaine, plus de la moitié des séries évoquées dans la newsletter sont tirées d'un livre ou d'un comic.

Après l'énorme succès de Game of Thrones, il semblerait que les producteurs cherchent tous à reproduire le phénomène, d'où une course effrénée à l'adaptation. C'est pourquoi on a décidé de se pencher sur la question dans le troisième épisode de notre podcast: un bon livre fait-il une bonne série?

L'adaptation de livres en série télé semble devenue le Graal des scénaristes. Alors qu'elles se multiplient, Watchmen et À la croisée des mondes prenant le sillon tracé par Game of Thrones et The Handmaid's Tale, faut-il se jeter sur les nouvelles séries tirées d'œuvres littéraires ou dessinées? Quels sont leurs points communs, leurs qualités, les écueils qu'elles doivent éviter? On vous dit tout dans l'épisode trois de Peak TV, le podcast.


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Certaines de nos séries préférées ont été adaptées de livres: The Leftovers, True Blood, The Wire… Après tout, ça paraît logique: comme les livres, les séries disposent d'une narration longue et étendue, dans laquelle elles ont libre cours pour développer des personnages complexes et créer un lien avec nous sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

Et si la fin décevante de Game of Thrones, la cata The Handmaid's Tale et la saison 2 inutile de Big Little Lies nous avaient un peu vaccinées contre les adaptations, on retrouve cette semaine espoir avec deux très bons crus: une adaptation qui s'éloigne volontairement de l'œuvre d'origine et une autre adaptée par le romancier lui-même.

Le gros plan: «Watchmen» (OCS)

On l'a vu, adapter un livre a son lot d'obstacles, mais l'exercice est d'autant plus périlleux lorsqu'il s'agit d'une œuvre cultissime et réputée inadaptable, comme c'est le cas avec Watchmen.

Un film s'y était risqué en reprenant le comic d'Alan Moore et Dave Gibbons presque plan pour plan et avait récolté des réactions très mitigées. Damon Lindelof (The Leftovers) a adopté une approche différente, en situant l'intrigue de son adaptation pour HBO dans l'univers de Watchmen mais trente ans après les événements du livre.

Si l'on retrouve quelques acteurs majeurs de l'histoire originelle, la majorité des personnages de la série sont inédits, tout comme l'intrigue. L'avantage? On évite la déception des fans quant au casting et à la transposition de certaines de leurs scènes préférées à l'écran. L'inconvénient? La suite se doit d'être à la hauteur de l'original tout en apportant un regard nouveau sur l'univers.

Lindelof relève le défi avec brio et livre une œuvre profondément pertinente en situant son action dans une Amérique déchirée par les tensions raciales. Là où la menace de la guerre froide et de l'Union soviétique pesait sur le livre, ici, c'est celle des suprémacistes blancs et d'une autre guerre civile.

Dans un revirement audacieux, la police fait désormais figure de dernier rempart face à la menace raciste. Ce sont les policiers qui sont menacés et doivent rester masqués pour leur propre protection, et ce sont eux qui risquent d'être tués lors d'un simple contrôle de la route. À travers cette Amérique alternative, Lindelof offre un commentaire sur le passé mais aussi le présent raciste et violent de son pays.

Ajoutez à ça une réalisation sans faute, une bande-son addictive (même si on a parfois l'impression qu'ils sont allés pêcher tous leurs morceaux classiques dans la playlist Best of de Spotify) et un casting impeccable (Regina King, toujours fabuleuse, et Jeremy Irons, qui s'éclate dans une intrigue parallèle un peu loufoque), et vous obtenez la série coup de poing de l'automne.

 

L'autre gros plan: «Mrs. Fletcher» (OCS)

Les séries ont mené une telle révolution ces dernières années sur la représentation de la vie intérieure des femmes qu'on se demande ce qu'elles peuvent encore avoir de novateur à dire sur le sujet. Mrs. Fletcher prouve qu'il existe encore un riche terrain à explorer, avec l'histoire d'une quadra qui redécouvre son plaisir et ses fantasmes après le départ de son fils à l'université.

Ce qui empêche la série de tomber dans un territoire trop familier, c'est la finesse de son écriture et la richesse des personnages secondaires. La série est créée par Tom Perrotta, le romancier et producteur derrière The Leftovers, Election et Little Children, et c'est surtout à ces deux dernières œuvres qu'on pense dans leur représentation de l'ennui banlieusard américain et leur envie d'exploser les tabous.

Mais si Kathryn Hahn est, comme à son habitude, excellente dans le rôle principal, c'est l'histoire de son fils qui nous a le plus surprises –sans doute parce que Brendan est un énorme connard dont la voie de futur misogyne semble être toute tracée et qu'on aurait préféré s'enfoncer des aiguilles rouillées sous la rétine plutôt que de voir une série qui s'intéresse à lui.

Et pourtant: en nous plongeant dans son quotidien à la fac, les scénaristes font l'effort de s'interroger sur ce qui pousse le jeune homme à avoir un tel comportement toxique. Chercher à le comprendre sans jamais l'excuser est un numéro d'équilibriste impressionnant et salutaire: on a rarement vu une série qui décortique avec autant d'intelligence la masculinité.

On regarde aussi...

À la croisée des mondes (OCS) – On vous en reparlera plus tard, mais on le range déjà dans la case «bonnes adaptations». ET ON VEUT UN DÆMON.

Looking for Alaska (Hulu) – Une sorte de sous-Newport Beach dans les bois plutôt sympa, sauf que la jolie fille meurt dans un accident de voiture –oh, wait.

Daybreak (Netflix) – Cette série, c'est un peu un smoothie de tous les pires défauts (série à concept, blagues méta, cynisme…) de l'ère de la Peak TV.

Evil (CBS) – Un sous-X-Files, mais sans les aliens et avec un prêtre sexy.

The Walking Dead (OCS) – Vous vous demandez pourquoi on regarde encore cette série? Nous aussi.

BoJack Horseman (Netflix) – Les animaux parlants les plus déprimants sont de retour, et on est déjà en plein gouffre existentiel au bout de deux épisodes.

La Guerre des mondes (Canal+) – Enfin une série pas déprimante! Non, on déconne. Mais c'est très bien.

L'épisode culte: «The Bent-Neck Lady» («The Haunting of Hill House», S1E5)

Halloween oblige, on a eu envie de vous reparler de cette super série Netflix, l'un de nos premiers «gros plans», à laquelle on repense très souvent.

La série raconte l'histoire d'une famille qui s'installe dans une maison hantée et des conséquences que ce séjour traumatisant a eu sur leurs vies respectives, vingt ans plus tard. Car les frères et sœurs de la famille Crane, désormais adultes, ont tous et toutes gardé des séquelles de cet été-là. À commencer par Nell et son jumeau Luke, les plus jeunes et les plus fragiles de la fratrie: Luke a sombré dans l'addiction, tandis que Nell continue d'avoir des apparitions, que les médecins mettent sur le compte d'une paralysie du sommeil.

«The Bent-Neck Lady» s'intéresse principalement au sort de Nell, décédée au tout début de la série: l'épisode retrace les événements qui ont mené à sa mort et est un concentré de tout ce que Hill House fait de mieux. S'il contient certains des moments les plus horrifiques de toute la série, ces derniers sont rendus encore plus puissants par le contexte émotionnel des personnages.

Alors qu'on voyait Nell danser seule au milieu de la maison abandonnée lors de la séquence d'ouverture, la série nous fend le cœur en révélant la perspective de la jeune femme, qui pensait danser avec son mari sous les yeux de sa famille réunie.

Mais le pire, c'est le twist bouleversant qui conclut l'épisode et dévoile l'origine de la bent-neck lady, le fantôme au cou brisé que Nell voit depuis qu'elle est toute petite. Dans l'un de ces moments aussi terrifiants que déchirants, on découvre ainsi que la jeune femme a été hantée toute sa vie par sa propre mort.

Le crush: Jovan Adepo (Danny dans «Sorry for Your Loss»)

Le petit jeune de The Leftovers a bien grandi, et ça ne nous pose AUCUN problème.

Peak de chaleur: Quand (spoileeeeeeeeer) il avoue ses sentiments à Leigh.

Le courrier des séries

«Quelles sont les séries qui n'ont pas “jump the shark” et ont eu une fin correcte?»
– Amaury


«Jumping the shark» («sauter le requin» en français), ça vient d'une scène de Happy Days où Fonzy saute au-dessus d'un requin en ski nautique. L'expression désigne désormais le moment où une série se perd et tombe définitivement dans le ridicule et l'obsolescence.

Certaines séries ne sautent pas un requin mais une bonne dizaine (petite pensée pour Lost), quand d'autres en font carrément leur marque de fabrique: Riverdale a sauté son premier requin dès le milieu de sa première saison et va toujours plus loin dans le loufoque depuis.

Mais les séries qui incarnent le mieux cette expression sont celles qui ont bien commencé avant de se perdre en route ou de ne pas savoir quand s'arrêter: The Handmaid's Tale après sa première saison et son énième monologue pseudo-féministe ou The Office (US) après le départ de Michael, mais surtout avec la romance malvenue entre Pam et le caméraman.

Un cas intéressant est celui de Buffy (of course), qui aurait pu se conclure avec le sacrifice de son héroïne à la fin de la saison 5 mais s'est poursuivie, après le rachat de la série par une autre chaîne, pour deux saisons supplémentaires. Ces deux chapitres, qui souffrent d'une mauvaise réputation auprès des fans, méritent d'être revisités aujourd'hui, pour le trio de méchants misogynes comme pour la fin féministe plus que jamais d'actualité.

Tout ça pour dire que les séries qui ont maintenu leur qualité jusqu'au bout et nous ont offert une fin parfaite sont très très rares, même parmi les plus cultes. Il y a The Americans d'abord, avec son final doux-amer sans faute venant clôturer l'une des meilleures séries de la décennie, Veep, drôle et brillante jusqu'à la dernière minute, ou encore The Leftovers et Halt and Catch Fire, avec leurs sublimes derniers épisodes. Et puis il ne faut pas oublier Six Feet Under, dont la conclusion bouleversante est entrée dans les annales de la télé.

Ces textes sont parus dans la newsletter bimensuelle Peak TV.

 
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