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Al-Baghdadi est mort, ce n'est pas encore le cas de Daech

Si la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi est un coup dur pour l'organisation État islamique, il faut désormais trouver comment neutraliser les prochains leaders de l'organisation terroriste.

Abou Bakr al-Baghdadi, tué lors d'une opération américaine dimanche 27 octobre, a joué un rôle essentiel dans le développement de Daech en Syrie. | AFP/Al-Furqan media
Abou Bakr al-Baghdadi, tué lors d'une opération américaine dimanche 27 octobre, a joué un rôle essentiel dans le développement de Daech en Syrie. | AFP/Al-Furqan media

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«Un homme très mauvais» a été tué, et «le monde est désormais plus sûr». Difficile de reprocher à Donald Trump le sentiment exprimé pour annoncer la mort du chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi.

C'était sans aucun doute un homme très mauvais. Durant les dix années où il a dirigé l'organisation terroriste, des dizaines de milliers de gens ont atrocement souffert, ou trouvé la mort, au Moyen-Orient et dans le monde entier.

Il serait aussi effectivement logique de penser que le monde est plus sûr, à présent qu'al-Baghdadi est mort. Malheureusement, rien ne prouve que ce sera bien le cas.

La «guerre contre le terrorisme», c'est-à-dire la campagne militaire internationale qui a commencé après les attentats du 11 septembre 2001 pour éradiquer la menace posée par Al-Qaïda, puis par Daech, a été presque intégralement réactive et tactique. Jamais elle n'a eu de but stratégique cohérent, que ce soit en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Somalie, aux Philippines, ou ailleurs.

Les plus grandes coalitions militaires de tous les temps ont combattu les plus puissants réseaux terroristes que le monde ait connus. Cette guerre a tué, directement ou indirectement, des centaines de milliers de personnes. Des centaines de milliards de dollars ont été dépensés, sans grand résultat.

Les opérations des forces spéciales qui visaient al-Baghdadi à Idleb et son bras droit, Abul-Hasan al-Muhajir (le porte-parole de Daech), à Alep ont néanmoins été couronnées de succès, assurant aux Américains une victoire tactique aux conséquences remarquables.

C'est un choc énorme pour Daech. Mais nul ne sait combien de temps ses effets se feront sentir. Si l'on en croit les leçons de ces vingt dernières années, il ne sera vraisemblablement pas fatal au mouvement. Avant ces attaques, l'insurrection islamique retrouvait de l'élan en Irak, en Syrie et ailleurs, et il faudra plus que la perte de ses deux principaux dirigeants pour l'arrêter.

Solitaire, violent et intégriste

Al-Baghdadi n'est peut-être pas irremplaçable mais, pour Daech, il était à bien des égards l'homme qui est arrivé au bon moment. Il a supervisé la reconstruction de l'organisation, qui était au plus mal il y a dix ans. Il a joué un rôle essentiel dans son déploiement en Syrie, gonflé les rangs des dirigeants terroristes, mené une guerre éclair dans le nord de l'Irak, conquis Mossoul et instauré un «califat». Aux yeux de ses partisans, sa crédibilité en tant qu'érudit et chef religieux islamiste n'est pas près d'être égalée.

Ce solitaire violent et intégriste n'était pas un chef des plus charismatiques, ni une véritable source d'inspiration. Mais il a su assumer ses fonctions, soutenu par d'anciens dirigeants militaires et agents de renseignements irakiens opérant le plus souvent dans l'ombre et formant le cœur de la hiérarchie de Daech. Pour le «califat», il était vraiment l'homme de la situation. Et en ce sens, il était unique.

Une organisation hybride

Quinze ans après le déploiement d'Al-Qaïda en Irak, sous le commandement d'Abou Moussab al-Zarqaoui, et presque dix ans après qu'al-Baghdadi a pris la tête de Daech, il est incroyable de penser qu'on sait encore si peu de choses sur la hiérarchie de cette organisation.

Ce qui est clair, c'est que l'insurrection a largement profité de la politique de «débaasification», qui visait à évincer l'idéologie nationaliste arabe suite à l'invasion de l'Irak en 2003 et à renverser le régime de Saddam Hussein. Le renvoi de milliers de technocrates et de chefs militaires en grande majorité sunnites a été une véritable aubaine pour la rébellion naissante.

Donald Trump annonçant la mort du leader de Daech. | Jim Watson/AFP

Daech a toujours été une organisation hybride. Publiquement, elle se présente comme un mouvement religieux, animé par des convictions religieuses. Mais, en coulisse, des agents de renseignements baassistes expérimentés ont détourné cette image religieuse pour établir un État policier, se servant de la terreur religieuse pour exalter, intimider et contrôler.

Cela n'enlève rien aux initiatives d'al-Zarqaoui et al-Baghdadi. Bien au contraire, ils ont réussi à mobiliser un sentiment religieux, d'abord au Moyen-Orient, puis un peu partout dans le monde. Plus de 40.000 personnes ont fait le voyage pour rejoindre les rangs de Daech, inspirés par l'idéal utopiste d'une révolution religieuse. Al-Baghdadi a été exemplaire dans son rôle de calife et de chef religieux.

Les optimistes estiment que la mort d'al-Baghdadi mettra Daech au placard pour plusieurs mois, voire plusieurs années. L'organisation peinera à retrouver l'élan qu'il a su lui insuffler. De manière plus réaliste, les répercussions de cet événement dépendront fortement de la capacité des autorités à appréhender les leaders du mouvement et à les mettre hors d'état de nuire avant qu'ils aient une chance de s'établir.

Et maintenant?

Il semblerait que Daech envisage de se reconstruire dans les territoires non contestés au nord de la Syrie, à Idleb et Alep, hors du contrôle du régime de Bachar el-Assad à Damas, des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, et du gouvernement irakien de Bagdad.

En restant optimiste, il y a un mince espoir que le succès des opérations conduites dimanche, marquées par une étroite collaboration entre l'armée américaine et les FDS, persuadent Donald Trump de revenir sur sa décision de mettre fin au partenariat avec les FDS en retirant ses forces spéciales et aériennes déployées sur place.

Le fait qu'al-Baghdadi et al-Muhajir aient tous deux été retrouvés à moins de cinq kilomètres de la frontière turque laisse penser que le contrôle turc du nord de la Syrie est loin d'être suffisant pour appréhender les leaders islamiques émergents. Refonder le modèle du partenariat établi ces cinq dernières années avec les FDS à prédominance kurde dans le nord-est de la Syrie pourrait se révéler critique pour limiter l'émergence de nouveaux chefs de Daech. Il semble que l'implantation géographique des quelques successeurs d'al-Baghdadi les plus susceptibles de s'établir en Syrie du Nord soit déjà connue.

Même dans le meilleur des cas, on ne peut en réalité qu'espérer ralentir la reconstruction de l'insurrection islamiste, ce qui permettra de gagner du temps pour réinstaurer une stabilité politique et sociale au nord de la Syrie et de l'Irak.

Traduit de l'anglais par Typhaine Lecoq-Thual pour Fast ForWord.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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