Politique / Société

Le mouvement néofasciste Bastion social renaît de ses cendres

Des structures locales aux méthodes très similaires à celles du groupe, officiellement dissous en avril, sont en train d'émerger dans ses anciens bastions.

Des membres de Bastion social attendent devant leur local à Marseille, en mars 2018. | Bertrand Langlois / AFP
Des membres de Bastion social attendent devant leur local à Marseille, en mars 2018. | Bertrand Langlois / AFP

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Dissous il y a quelques mois seulement par décision du Conseil des ministres, le Bastion social, fer de lance néofasciste réputé pour sa violence et sa radicalité, est déjà en train de se reconstituer. Une renaissance théorisée et assumée (au moins dans un certain entre-soi) qui passe par la création d'une galaxie de petites structures militantes décentralisées, comme un leader de l'ex-Bastion social vient de l'annoncer à la tribune d'un colloque d'extrême droite.

Il n'y aura donc désormais pas un nouveau groupe mais une galaxie de groupes pour, selon le même responsable, «rompre avec le classique schéma de mouvement à échelle nationale fortement hiérarchisé». Le but est évidemment de diluer les responsabilités et les risques de condamnation pour «reconstitution de ligue dissoute», mais pourrait aussi être de tester la réaction des autorités.

La violence pour recréer le chaos

Sous son verni pseudo social, le Bastion, créé en 2017 pour succéder au Groupe union défense (GUD), est profondément radical. Son slogan, «Les nôtres avant les autres», résume bien son idéologie fascisante mêlant racisme (tendance ethno-différencialiste), homophobie, islamophobie, antisémitisme, masculinisme mais aussi anticapitalisme (perçu comme l'outil d'uniformisation des peuples par la «finance internationale»). Un tercérisme –pour «troisième voie»– qui est également d'essence nationaliste-révolutionnaire: le Bastion social se voit comme l'avant-garde préparant la «révolution nationaliste» théorisée par François Duprat, ex-numéro 2 du FN et principal maître à penser des néogudards. La violence, enfin, est dans l'ADN du groupe, dont les membres cumulent les condamnations pour des agressions régulièrement teintées de racisme, et leurs victimes les jours d'ITT.

Mediapart a révélé que c'est ce dernier point qui a décidé Emmanuel Macron à dissoudre le groupe qui aurait, selon les Renseignements, incité à la constitution d'un groupe armé. C'était lors du fameux «Acte 3» du 1er décembre 2018 des «gilets jaunes», celui de la mise à sac de l'Arc de Triomphe: les troupes du Bastion social ont formé un véritable commando d'une trentaine de membres venus de la région strasbourgeoise pour «recréer le chaos» à Paris à l'initiative du leader du groupe, Valentin Linder, un hooligan proche des ultranationalistes du Strasbourg offender.

Sur place, ils ont rejoint les membres locaux de la mouvance (notamment les Zouaves Paris, groupe qui a attaqué le NPA quelques «actes» plus tard, fin janvier 2019) qui ont organisé la mobilisation et ensemble se sont déchaînés contre les forces de l'ordre. Six d'entre eux seront condamnés pour ces violences mais leur seul regret est de ne pas avoir «réussi à rendre le caractère insurrectionnel de la situation irréversible».

«Engagement tenu», s'enorgueillissait, à raison, Christophe Castaner le 24 avril dernier sur Twitter en annonçant la dissolution du Bastion social, deux ans à peine après sa création. «Contre les discriminations, face à toutes les haines, restons vigilants, unis et mobilisés», ajoutait le ministre de l'Intérieur, comme s'il anticipait déjà la résurgence du groupe.

Audace Lyon et Vent d'Est: les enfants du Bastion

En rallumant la flamme, les militant.es du désormais ex-Bastion social perpétuent une longue tradition de l'extrême droite néofasciste française. Née dans l'immédiat après-guerre avec Jeune nation en 1949, elle s'est ensuite successivement rassemblée autour de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN), Occident, Ordre nouveau (à l'origine du FN, devenu RN), le Parti des forces nouvelles (PFN), ou encore Troisième voie, et enfin, donc, le GUD –qui a marqué les esprits par sa violence– et le Bastion social.

Désormais, le flambeau est repris par les groupes Audace Lyon et Vent d'Est. Des mouvements qui ont vu le jour publiquement avec l'ouverture de pages à leur nom sur les réseaux sociaux, mi-septembre pour le premier, qui semble être la tête de pont, le second environ deux semaines plus tard. Prudents, leurs administrateurs prennent soin de ne revendiquer aucune filiation, mais une multitude d'indices indiquent néanmoins une résurgence du Bastion social.

Les méthodes tout d'abord, avec un activisme militant en faveur des Français «de souche» et anti-immigration revendiqué, dans la droite ligne du Bastion social. Le logo d'Audace Lyon ensuite, dont la charte graphique autant que la forme générale ressemblent à un clin d'œil au groupe dissous. Si le choix du coq est un classique chez les nationalistes, la position de l'animal (pas des plus courantes) lui donne une allure similaire au phare dressé du Bastion, tandis que le graphisme de la crête, du bec et du barbillon peut en rappeler les flèches.

Les logos du Bastion social et d'Audace Lyon. | Capture d'écran Facebook

Surtout, la mouvance dans laquelle s'inscrivent les deux nouveaux groupes est clairement estampillée Bastion social: on y retrouve nombre de militant.es commun·es et les mêmes amitiés y sont affichées. Par exemple avec l'Alvarium, groupuscule nationaliste-révolutionnaire d'Angers que dirige Jean-Eudes Gannat, fils d'un ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen.

L'Alvarium était très proche du Bastion, avec lequel il a par exemple co-signé cette année un appel à participer à la manifestation du C9M (pour Comité du 9-Mai), rendez-vous annuel de la mouvance néofasciste française. Les comptes Instagram d'Audace Lyon et Vent d'Est ont, eux, simplement été renommés: ils renvoyaient auparavant à des sections locales (lyonnaises et alsaciennes) du GUD puis du Bastion social...

Audace Lyon affiche sa proximité avec l'Alvarium, tandis que Vent d'Est met en avant son activisme militant contre «l'actuel chaos cosmopolite». | Captures d'écran Facebook

Enfin, la cartographie des nouvelles structures colle avec l'implantation historique du Bastion social. Lyon, l'Alsace, et désormais Aix-en-Provence où une troisième structure, Tenesoun, a inauguré un local ce samedi 26 octobre. Une information relayée par Audace Lyon, bien sûr.

Autant d'éléments qui prouvent la filiation avec le groupe dissous par les autorités. C'était tellement évident que le mouvement vient même de le reconnaître semi-publiquement, dans l'entre-soi nationaliste radical, samedi 12 octobre, à la tribune du «Grand rendez-vous bleu blanc rouge» organisé par le site «nationaliste et identitaire» Synthèse nationale.

«Nous avons créé Audace et nos camarades alsaciens Vent d'Est», a ainsi confirmé, entre deux saillies xénophobes et antisémites, le jeune Tristan Conchon (de son vrai nom Rochelle), ancien leader de la section lyonnaise du Bastion social. Une déclaration sans équivoque de la part d'un cadre militant de l'ex-Bastion social, qui prenait la parole en tant que tel.

Tristan Conchon, ex-leader du Bastion social lyonnais, à la tribune d'un événement nationaliste, le samedi 12 octobre à Paris. | Capture d'écran YouTube

Tristan Conchon a également expliqué ce choix de procéder par une «multitude de micro-structures locales» et non en groupe traditionnel par le risque «d'une nouvelle dissolution à effet quasi-immédiat» dudit groupe, reconnaissant au passage craindre des «poursuites pour reconstitution de ligue dissoute».

La nouvelle stratégie des orphelins du Bastion social n'est toutefois pas inédite: elle s'inscrit même dans la tendance actuelle adoptée par la mouvance néofasciste, consistant à se rassembler localement en mouvements groupusculaires, parfois très éthérés. Dans la capitale, les Zouaves Paris sont parmi les premiers à avoir testé cette stratégie, faisant parler d'eux dès 2017.

L'idée s'est également essaimée en province, avec l'Alvarium à Angers mais aussi les Tolosates à Toulouse, Des Tours et des lys à Tours, ou Edelweiss en Savoie (ce dernier groupuscule avait un temps été mis en sommeil au profit d'une section locale du Bastion social).

D'autre tests ont été menés cet hiver à Lyon, où des nationalistes radicaux se sont rassemblés sous la bannière «Guignol squad» pour affronter la police et les «gauchistes» dans les cortèges de «gilets jaunes». S'y retrouvaient des militant·es venu·es de toute la région, et même de la Suisse voisine, et issu·es de nombreuses mouvances de l'extrême droite radicale, allant des identitaires aux néonazis.

Et si cette initiative en particulier n'a rien donné au-delà de ces actions, elle a permis à ces ultra-radicaux de se rassembler et d'agir violemment sans mettre en péril les organisations officielles auxquelles certains pouvaient appartenir. Une nouvelle forme d'action qui fait donc florès, et est très compliquée à surveiller pour les autorités.

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