Société

Je hais les anniversaires, surtout le mien

[BLOG You Will Never Hate Alone] Quel intérêt à célébrer un événement qui nous rapproche un peu plus de notre mort?

Il faudrait passer ce jour dans l'anonymat le plus absolu | Marina Aguiar <a href="https://www.flickr.com/photos/12725519@N07/5540115799/">via Flickr</a>
Il faudrait passer ce jour dans l'anonymat le plus absolu | Marina Aguiar via Flickr

Temps de lecture: 3 minutes

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. J'ai l'âge que j'ai. Je n'en dirai pas plus, mais à moins de finir centenaire –Dieu m'en préserve–, je ne vivrai pas autant que j'ai déjà vécu. Ou autrement dit, je suis plus près de la fin que du début, et tandis que le berceau de ma naissance disparaît peu à peu, le tombeau de ma disparition lui se rapproche de plus en plus. C'est dire mon allégresse de me voir en ce jour fêté comme si je venais de traverser la Manche en marchant sur ses eaux.

À dire vrai, je n'ai jamais compris ce ravissement à considérer le jour de sa naissance comme un événement à révérer. Si on m'avait demandé mon avis, si mes parents avaient eu la bonne idée de m'apostropher en me disant: «Mon enfant chéri, entre être et ne pas être, que préfères-tu donc?», je n'aurais pas hésité un instant et à ce jour, je serais encore à roupiller dans les couloirs du néant. Mais non, il a fallu absolument que je vive et que j'apprenne à cohabiter avec ce grand couillon, cet ahuri absolu qui porte mon nom.

Tu parles d'une célébration.

Depuis que je suis né, ma vie a été une suite de catastrophes plus lamentables les unes que les autres. Tout d'abord, j'ai eu la jaunisse alors que je me remettais à peine de l'épreuve de l'accouchement; j'ai enchaîné avec une enfance maladive; mon adolescence a été un long chemin de croix et ma vie adulte une morne déclinaison de jours où la plupart du temps, je me suis demandé ce que j'étais venu faire sur cette terre. Rajoutez à cela une calvitie précoce, une clavicule brisée et un sentiment d'étrangeté qui ne m'a jamais quitté, et vous avez le portrait d'un homme aussi doué pour la vie qu'un violoniste pour des travaux de plomberie.

Et on voudrait qu'en ce jour mille fois maudit, je sois heureux et guilleret alors que je vomis le jour même de ma naissance? Qu'est-ce donc cette mascarade qui consiste à célébrer l'alourdissement de la vie d'une année supplémentaire alors qu'en définitive, nous célébrons juste l'arrivée prochaine et certaine de sa propre mort, laquelle –paradoxe cruel quand on sait mon appétit à vivre– me plonge dans des abîmes de perplexité, quand je n'en suis pas à claquer des dents d'effroi.

Car une fois qu'on a été, admettre qu'on ne sera plus est une perspective un brin désespérante qui ne mérite rien d'autre que de cesser d'y penser. Pourtant, chaque année, aussi vrai que le Soleil se lève puis se couche, il se trouve toujours des personnes mal intentionnées qui prennent un malin plaisir à me souhaiter un bon anniversaire. Mais un bon anniversaire de quoi au juste? D'avoir vieilli d'une année supplémentaire? De m'être rapproché encore un peu plus de l'entrée du cimetière? De constater les ravages du temps et l'impossibilité de ne jamais rajeunir? D'être encore un peu plus mortel, un peu plus faible, un peu plus débile, un peu plus moribond? De devoir dire à adieu à ce monde et de rentrer bientôt dans l'humidité froide et glacée de l'éternité?

Et non seulement il nous faut endurer sans broncher cette humiliation, mais voilà que la société tout entière exige de votre part qu'en cette circonstance particulière, vous affichiez le sourire niais du benêt de service à qui on vient d'annoncer sa future promotion.

On vous fait des papouilles; de lointains cousins vous envoient des cartes postales virtuelles qui vous donnent des envies de strangulation; votre belle-mère, hypocrite comme jamais, y va de son suave couplet avec la gourmandise du croque-mort quand on vient lui annoncer le décès de son voisin de palier; votre femme vous sort dans l'un de ces restaurants chics qui puent l'opulence et le bonheur surfait; des âmes charitables vous offrent des présents qui sont autant d'insultes à votre intelligence, et comme si cela ne suffisait pas, arrive le moment tant attendu où sur un gâteau gros comme le Ritz plastronnent des bougies plantées là comme des drapeaux funéraires, dont il vous faut éteindre les mèches de peur de foutre le feu à tout l'appartement.

De qui se moque-t-on?!

En ce jour sinistre, il faudrait se préserver de toute commémoration, aller dans la vie comme si de rien n'était, enjamber les heures sans se soucier de rien, ni du temps qui a passé, ni de celui qui reste à vivre; ne rien fêter, ne rien souffler, ne rien changer, vaquer à ses occupations habituelles sans toucher à leur routine; recevoir ni fleurs, ni couronne, ni cadeaux d'aucune sorte; se coucher dans l'anonymat d'une journée ordinaire et se lever le lendemain avec l'entrain habituel de celui pour qui la vie est tout autant un fardeau qu'une bénédiction...

Bref, vivement demain!

Pour suivre l'actualité de ce blog, c'est par ici: Facebook-Un Juif en cavale

cover
-
/
cover

Liste de lecture