Culture

Les Scream Queens, un cri qui se tait

Comment la vedette des films d'horreur des années 30 à 70 est devenue une simple potiche, produit en série d'un érotisme mercantile sans fond.

Temps de lecture: 4 minutes

Dans tout film d'horreur qui se respecte, il y une minette en détresse (et en tenue légère de préférence), poursuivie par un psychopathe, résurgence de la dame retenue dans son donjon par un sanguinaire dragon. Elle a peur, donc elle crie. CQFD! Sauf qu'à y regarder de plus près, toutes les «Scream Queens» ne se valent pas. Entre l'actrice et la potiche, deux mondes et deux époques.

Il était une fois un singe...

La première Scream Queen identifiée se nomme Fay Wray. En 1933, cette charmante blonde devient célèbre, grâce à son rôle de fiancée de King Kong. Tenues légères, promiscuité et sous entendus d'une sexualité latente entre la belle et la bête, King Kong impose d'emblée la jeune actrice dans le panthéon des «Scream Queens», victimes consentantes et fantasmes sexuels sur pattes. Fay Wray incarne ainsi la proie (et la victime) des désirs masculins (ceux des matelots et du metteur en scène), mais plus encore ceux de Kong. La bestialité de la domination virile, animalisée à l'extrême dans ce film, fait écho à la place des femmes dans la société des années 30: «Sois belle et tais-toi», «obéis et soumets-toi». Tels sont les mots d'ordre assénés à la gent féminine, soumise aux desiderata et pulsions des phallocrates. Fay, réifiée telle une poupée de chiffon entre les mains du primate, en est le symbole le plus troublant.

Chambre avec douche

En 1960, la reine qui va marquer son époque est la crieuse poignardée du Psychose d'Alfred Hitchcock, Janet Leigh. Nue derrière son rideau de douche, admirablement filmée par le maître britannique de l'horreur, Janet entre dans la légende des Scream Queens. Marion Crane (Janet Leigh) s'enfuit, après un vol, au volant de sa voiture. Femme tentant de se libérer du joug masculin (particulièrement la soumission économique qui ferre encore les femmes au foyer dans les années 60), sa route croise celle de Norman Bates. Sa mise à mort sonne comme un avertissement à celles qui voudraient s'affranchir. Point de salut pour une femme qui cherche à s'émanciper.

Super Jamie

En 1978, la trinité des «Scream Queen» est bouclée, grâce à la prestation de Jamie Lee Curtis dans Halloween de John Carpenter. La fille de Janet «Psycho» Leigh (comme quoi l'hérédité n'est peut-être pas un vain mot) se montre digne de sa maman dans ce monument d'horreur des seventies. Elle hurle, se débat et parvient à ne pas succomber aux assauts mortels de Myers. Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) incarne la puissance féminine, son insubordination à la violence des diktats masculins. Sa survie cinématographique, métaphore des possibilités enfin offertes aux femmes de s'épanouir loin de la violence des hommes, modifie les codes du genre (la Scream Queen doit se faire trucider, si possible en sous-vêtements, et avec cruauté). Mais si le rôle de Jamie Lee augure de la libération des femmes, il intronise par la même une nouvelle représentation filmique, nettement moins subtile.

Jamie a sonné le glas des «Scream Queens». Rien ne sera plus comme avant. Hormis en 1981, où Brian de Palma, dans le prologue de Blow Out, rend un hommage parodique (un film dans le film) à ces femmes poumonnées qui s'égosillent sous leur douche. On assiste, ému, au chant du cygne des poupées sacrifiées.

Blow out de Brian de Palma (1981)

«Je crie donc j'existe»

Les ingrédients pour créer la hurleuse parfaite ne sont guère originaux (nudité, crime sanglant et cris capables de percer le cœur et les tympans), mais leur utilisation a longtemps incarné un sommet d'innocence pervertie. Car le destin tragique de la femme, dans les films de genre, est intrinsèquement lié à sa virginité et sa pureté. Véritable protection contre le Mal, l'hymen agit tel un bouclier. Seule une fille dépucelée peut être assassinée. Si la sexualité masculine se vit comme une libération, la sexualité des femmes va de pair avec le châtiment. A l'image d'Eve bannie du paradis, les Scream Queens qui ont consommé le fruit défendu doivent souffrir puis périr. Malheureusement si l'archétype a survécu dans le cinéma contemporain, la symbolique a perdu de son lustre.

Une reine déchue...

Les années 80/90, chic et fric, ont eu raison de cette mythologie en n'en gardant que la superficialité, la coquille vidée de sa substance. Alors que l'horreur cinématographique devient industrielle, les Scream Queens sont lentement reléguées au rang de potiches décérébrées, de poitrines interchangeables, de ravissantes idiotes attendant la curée. Figure expiatoire de la violence virile dans une société ouvertement machiste voire misogyne, la Scream Queen, au fil de la libération féministe, n'a plus pour enjeu narratif que de réveiller la libido larvaire d'adolescents prépubères. Si l'émancipation des femmes a progressé dans les années 60 et 70 (les grandes heures des "Reines" et du féminisme), la vulgarisation à laquelle on assiste dans les salles obscures, coïncide étrangement avec un ralentissement de ce mouvement libérateur.

Plus l'image de la femme évolue, plus elle affirme son rôle social dans la réalité, plus ses représentations cinématographiques sombrent dans la caricature. La démythification absolue des crieuses est toutefois représentative d'un monde où les symboliques sont piétinées au profit d'un spectacle facilement ingérable, sans fond, ni réflexivité sur ses codes. La pornographie soft, la vulgarité remplacent les allégories morales et sociétales qui irriguaient ces figures féminines. Jusqu'à nous fourguer Paris Hilton dans La Maison de cire.

La maison de cire de Jaume Collet-Serra (2005)

Aujourd'hui, fi de la sexualisation morbide et du double fond métaphorique. Alors que la «Scream Queen» a longtemps incarné la vierge qui se sexualise à travers la souffrance et tente d'exister hors du giron mâle quitte à en faire les frais, les réalisateurs ne l'utilisent plus que comme tête de gondole à forte poitrine, produit en série d'un érotisme mercantile sans fond. Mettre des filles à poil qui hurlent est devenu un passage obligé qui oublie le caractère cathartique et symbolique de leur présence. La marchandisation du corps féminin a remplacé la subversion du cri primaire, les Reines sont devenues des Catins du pauvre, des miss de seconde zone, héroïnes d'un jeu de massacre dont elles ne sont plus l'enjeu mais le faire-valoir. Pauvres reines!

Ursula Michel

Image de une: Janet Leigh, dans «Psychose». DR

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