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Interro surprise: vous êtes président des États-Unis et vous devez dissuader l'allié turc d'envahir le Kurdistan

Vous avez deux heures.

Donald Trump à la Maison-Blanche, le 16 octobre 2019. | Brendan Smialowski / AFP
Donald Trump à la Maison-Blanche, le 16 octobre 2019. | Brendan Smialowski / AFP

Temps de lecture: 2 minutes

Sujet: Vous êtes le président des États-Unis et vous devez dissuader la Turquie d'envahir une région frontalière, de massacrer une minorité ethnique et de provoquer une alliance entre vos anciens alliés kurdes, que vous avez trahis après qu'ils vous ont débarrassé de Daech, et la Russie, le tout en faveur d'un dictateur syrien qui fait la guerre à son peuple depuis huit ans.

(Des points supplémentaires sont accordés si vous vous rendez compte qu'en obligeant les Kurdes à venir se battre contre les forces turques, vous les empêchez de surveiller les djihadistes de Daech qu'ils gardaient dans des camps de prisonniers.)

(Attention, si à cause de votre lettre, le président turc se fâche et relâche tous les réfugiés syriens qu'il gardait dans des conditions indignes depuis des années à la frontière turco-syrienne à la demande de l'Union européenne, et que ceux-ci se précipitent en Europe, provoquant de nouvelles crispations sociales et propulsant l'extrême droite au pouvoir à la prochaine présidentielle française, vous serez interdit d'examen pour les cinq prochaines années).

L'usage de la calculatrice et du mot «great» est interdit.

La Maison-Blanche
Washington
9 octobre 2019

À son excellence
Recep Tayyip Erdoğan
Président de la République de Turquie
Ankara

Cher Monsieur le président,

Allez, concluons un bon accord! Vous ne voulez pas être responsable du massacre de milliers de personnes, et je ne veux pas être responsable de la destruction de l'économie turque –et je le ferai. Je vous ai déjà donné un avant-goût en ce qui concerne le pasteur Brunson.

J'ai travaillé dur pour résoudre certains de vos problèmes. Ne laissez pas tomber le monde. Vous êtes capable de faire un super accord. Le général Mazloum est prêt à négocier avec vous, et il est prêt à faire des concessions qu'ils n'auraient jamais faites dans le passé. Je joins de manière confidentielle une copie de la lettre qu'il m'a adressée, qui vient d'arriver.

L'histoire vous regardera favorablement si vous faites ça bien et humainement. Elle vous considèrera comme le diable pour toujours si de bonnes choses ne se produisent pas. Ne jouez pas au dur. Ne soyez pas débile!

Je vous appelle plus tard.

Cordialement,

(signature illisible).

Correction:

Aucune faute d'orthographe, bravo! En revanche, je ne peux pas vous mettre la moyenne, vous n'avez apparemment pas compris le but de l'exercice –et pourtant, vous voilà déjà en troisième année de stage! Votre orientation risque de poser problème en 2021 si vous ne faites pas un effort pour suivre les consignes. En outre, je relève une occurrence du mot «great»: dommage, vous y étiez presque.

On ne s'adresse pas à un chef d'État, aussi autoritaire soit-il, comme à un copain de cour de récré. Vous n'avez pas gardé les moutons ensemble, et même si vous avez très envie d'être amis (que ce soit par pure admiration pour un despote ou simplement parce que vous avez tout intérêt à ce que vos Trump Towers à Istanbul continuent d'accueillir le gratin turc), il faut respecter les formules.

Si vous aviez appris vos cours, vous vous seriez souvenu de la conversation téléphonique que vous avez eue avec le président turc quelques jours AVANT la rédaction de cette lettre, qui perd donc tout son sens. Vous lui donnez le feu vert oralement, puis lui écrivez que vous n'êtes pas trop d'accord? Il y a là un manque de cohérence troublant.

Vous n'avez clairement pas pris la mesure de l'enjeu de ce devoir: il ne s'agit pas d'un concours de tweet mais de géopolitique internationale. Vous êtes supposé être le leader du monde libre, et à ce titre, il est nécessaire que l'on vous prenne au sérieux. Or votre lettre semble rédigée par-dessus la jambe (pourvu que ce soit la vôtre, d'ailleurs. La CPE m'a prévenue que vous aviez des comportements déplacés aux vestiaires avec certaines de vos camarades, mais ce n'est pas le sujet).

Je ne peux que vous mettre en garde contre le manque de sérieux que vous mettez à la tâche: si vous étiez vraiment le président de la première force occidentale, ce genre de lettre vous décrédibiliserait complètement.

Retrouvez l'actualité de la campagne présidentielle américaine chaque mercredi soir dans Trump 2020, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'Ifri et TTSO.

 

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