Politique

Portraits de collabos

Un livre dresse les portraits de treize hommes et femmes qui ont choisi Vichy et l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.

La poignée de main entre Philippe Pétain et Adolf Hitler le 24 octobre 1940 à Montoire. À l'arrière-plan, le Dr Schmidt, interprète de Hitler et sur la droite, von Ribbentrop, ministre allemand des Affaires étrangères. | German Federal Archives <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_183-H25217,_Henry_Philippe_Petain_und_Adolf_Hitler.jpg">via Wikimedia</a>
La poignée de main entre Philippe Pétain et Adolf Hitler le 24 octobre 1940 à Montoire. À l'arrière-plan, le Dr Schmidt, interprète de Hitler et sur la droite, von Ribbentrop, ministre allemand des Affaires étrangères. | German Federal Archives via Wikimedia

Temps de lecture: 4 minutes

Les Collabos, récemment édité en poche (publication originale en 2011), propose au lectorat de plonger dans les bas-fonds de Vichy, afin de découvrir celles et ceux qui ont, entre 1940 et 1945, fait le choix volontaire de collaborer avec l'Allemagne. Laurent Joly, spécialiste de l'extrême droite et de la politique antijuive de Vichy, s'attache ici à retracer le destin de ces treize hommes et femmes, soutiens de premier plan de la politique du Maréchal.

Derrière les Laval, Doriot, Déat et autres Darnand, il y avait de nombreux hommes et femmes qui, par conviction politique ou par goût du pouvoir, ont choisi de se ranger derrière la politique collaborationniste de Pétain et de soutenir ouvertement la victoire de l'Allemagne nazie. Ce sont ces «illustres inconnus», dont le nom a aujourd'hui été oublié par la mémoire collective, que présente Laurent Joly. Une galerie de portraits très noirs: ce ne sont pas des âmes grises, mais des collaborationnistes convaincu·es, dont la plupart est restée dans le dernier carré du régime et a fui jusqu'à Sigmaringen.

Plongée en extrême droite française

Toutes les personnes présentées par Laurent Joly sont issues de l'extrême droite, ou tout du moins en partagent les idées. Elles ont toutes en commun un antisémitisme certain, mais surtout un anticommunisme ardent. Ce sont toutes des seconds couteaux du régime, des âmes damnées de personnalités de premier plan comme Jean Le Can, bras droit de Doriot au sein du Parti populaire français (PPF) ou Paul Guiraud, le théoricien du Francisme, parti de Marcel Bucard. Le Francisme est le troisième grand parti collaborationniste derrière le PPF de Doriot et le Rassemblement national populaire (RNP) de Déat. C'est surtout celui qui imite le plus le parti fasciste italien ou le NSDAP allemand car il dispose d'organisations de jeunesse.

Que ce soit Le Can ou Guiraud, ils ont tous deux œuvré dans l'ombre pour le triomphe de leurs idées et encore davantage pour la gloire de leur chef. Les collabos en France, comme le montre bien Laurent Joly, ne sont pas uni·es derrière une idée commune, voire un parti unique. Avec Doriot, Déat, Bucard et consorts, c'est une lutte permanente pour s'attirer les bonnes grâces de Vichy et de l'occupant. Otto Abetz, représentant du Führer en France, a su jouer de ces dissensions entre ces diadoques de l'extrême droite française pour favoriser les intérêts des nazis dans l'Hexagone.

Même sans former un parti unique, ces collabos ont avant tout en commun une révulsion sévère du communisme qui les a poussé·es à se placer derrière la politique du Maréchal et à s'engager sciemment avec les nazis, comme le fit Doriot au sein de la LVF (Légion des volontaires français). C'est également au nom de cet anticommunisme que le cardinal Baudrillart s'engagea aux côtés de Vichy et de l'Allemagne.

Il ne faut pas négliger la puissance de ce sentiment anti-rouge dans la droite conservatrice ou l'extrême droite de l'époque. Echaudés par le Front populaire, tous ces gens se rangent rapidement derrière Vichy par conviction et aussi par peur d'une révolution communiste mondiale. Beaucoup de Vichystes sont des tenants de la droite conservatrice, parfois monarchiste, et sont la plupart du temps antisémites.

C'est ce sentiment, dont l'acmé en France remonte à l'Affaire Dreyfus, qui retrouve une certaine vigueur dans les années 1930 avec l'Action française (sur laquelle avait déjà travaillé l'auteur) et les Camelots du roi, tendance ici incarnée par Xavier de Magallon dont le portrait est brossé par Laurent Joly. Son âge avancé ne l'empêche pas d'incarner l'une des figures de proue de l'antisémitisme en France occupée.

Vichy, tremplin social et politique

Une partie non négligeable des personnalités qui ont choisi de collaborer pendant la Seconde Guerre mondiale le font par arrivisme, même s'il ne faut jamais négliger chez les collabos leur tendance politique conservatrice ou d'extrême droite.

C'est le cas de Robert Peyronnet, l'une des voix les plus connues de Radio-Paris, dont Joly brosse un portrait sans concession, montrant que Peyronnet n'avait rien d'un grand homme, mais qu'il avait su tirer profit de la guerre et du soutien sans ambages à l'Allemagne pour devenir l'une des figures de proue de la collaboration hexagonale. Son émission bi-hebdomadaire, «La Rose des vents», où les courriers nauséabonds remplis de délations sont lus à l'antenne, est le reflet de la plus franche collaboration avec Hitler.

L'arrivisme, Juliette Goublet n'en manque pas non plus. Avocate brillante dans l'entre-deux-guerres, elle se range rapidement dans le camp de Vichy après la débâcle de mai-juin 1940. Par goût de l'aventure et pour soigner un effet d'annonce destiné à la sphère collaborationniste, elle décide d'aller travailler dans une usine en Allemagne.

Joly nous plonge avec cet ouvrage dans le cercle des collabos les plus acharné·es dont Octave Bellet reste sans doute l'un des spécimens les plus représentatifs. Cet antisémite fanatique profite de la présence nazie sur le territoire français pour mettre en avant ses idées directement inspirées de la politique du NDSAP en Allemagne et il s'engage dans l'Institut des questions juives, où il exerce les fonctions de secrétaire adjoint. Loin de se contenter de produire des documents à charge contre la population juive, il devient aussi l'une des chevilles ouvrières de la spoliation des biens juifs en France.

Ces seconds couteaux de la collaboration ont subi l'épuration, mais sans le payer de leur vie.

Que ce soit par idéal politique ou simplement par arrivisme, nombre de Français·es ont cru, entre 1940 et 1945, que l'heure d'exercer le pouvoir avait sonné. Derrière la politique collaborationniste de Pétain après Montoire, beaucoup d'hommes et de femmes ont cru que le moment de voir triompher leur idéal politique conservateur, voire antisémite, était arrivé, même si cela signifiait qu'il fallait soutenir le triomphe de l'ennemi héréditaire germanique. D'autres ne se sont pas posé de questions et ont, par arrivisme, fait le choix de la collaboration, pensant que c'était là un moyen rapide de devenir quelqu'un.

À partir de 1944, beaucoup ont eu affaire à l'épuration, comme l'ont récemment étudié Fabrice Virgili et François Rouquet ou Marc Bergère. Vichy a été un moment particulier de l'histoire de France, une sorte d'appel d'air pour toutes les personnes antisémites et arrivistes qui ont vu l'occasion de prendre le pouvoir.

Laurent Joly, à travers cette série de portraits, montre bien cette volonté de voir triompher les idées conservatrices et antisémites. Il montre également que ces seconds couteaux de la collaboration ont subi l'épuration, mais sans le payer de leur vie, continuant parfois leur œuvre après la guerre. La collaboration et Vichy demeurent des thèmes sensibles, preuve qu'Henry Rousso avait raison quand il disait que Vichy était un «passé qui ne passe pas».

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