Société / Économie

La mode passe au vert

Difficile à envisager il y a encore cinq ans, l'industrie textile développe des matières durables dans le but de préserver l'environnement.

Le salon Première Vision s'adresse aux professionnel·les du monde de la mode. Cette année, on pouvait y trouver les dernières innovations en matière de tissus respectueux pour la planète. | Timothy A. Clary / AFP
Le salon Première Vision s'adresse aux professionnel·les du monde de la mode. Cette année, on pouvait y trouver les dernières innovations en matière de tissus respectueux pour la planète. | Timothy A. Clary / AFP

Temps de lecture: 10 minutes

Épinglée de tous côtés pour le mauvais impact environnemental dont elle est en partie responsable, la mode dans sa globalité prend désormais conscience de différents problèmes.

Si l'éclairage donné par le «Fashion Pact» présenté lors du G7 en est un signe très visible, il est loin d'être le seul. Les effets d'annonce des entreprises visant à se présenter sous un jour plus vertueux se multiplient.

 

 

Stratégie de communication ou changement profond? De la fabrication des textiles à leur exposition lors des défilés jusqu'à la vente en boutique et la gestion des surplus, toute la filière semble vouloir agir, sans doute en partie pour s'adapter à une sourde pression des personnes qui achètent ses produits.

Un «Fashion Pact» au G7

À la demande d'Emmanuel Macron en mai, François-Henri Pinault s'est attelé à mobiliser l'industrie de la mode pour signer un «Fashion Pact» visant à rendre la mode plus vertueuse. Il fallait réunir au moins 20% du secteur pour que la démarche ait un sens. Quasiment 30% des acteurs ont signé, soit 32 entreprises et 147 marques. Y figurent Kering (YSL, Gucci) et d'autres grands noms du luxe tels que Armani, Burberry, Chanel, Hermès ou Prada, le sport (Adidas, Nike, Puma) et des enseignes grand public comme Gap, H&M, La Redoute, etc. Ce pacte, basé sur le volontariat, peut se résumer en trois points.

 

  • Enrayer le changement climatique: objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 afin de maintenir le changement climatique sous le seuil de 1,5°C d'ici à 2100;
  • Restaurer la biodiversité: mise en œuvre d'objectifs fondés sur des critères scientifiques afin de restaurer les écosystèmes naturels et protéger les espèces;
  • Protéger les océans: réduction de l'impact négatif du secteur de la mode sur les océans au travers d'initiatives concrètes, telles que la suppression progressive des plastiques à usage unique.

Des intentions louables en attendant sans doute des mesures plus concrètes de la part des différents participants. La mode est tenue pour responsable de 20% du rejet des eaux usées et de 10% d'émission de C02, auxquels s'ajoutent des conditions de fabrication parfois déplorables (le souvenir de l'accident dramatique du Rana Plaza en 2013 demeure dans les mémoires), la pollution des cultures, l'utilisation de l'eau, des métaux, etc.

Le 24 avril 2013 à Dacca (Bangladesh), un immeuble qui abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales de vêtements s'est effondré le matin, peu après l'heure de début du travail, causant plus de 1.000 morts. | Rijans via Wikimedia

Louables, les annonces du «Fashion Pact» dénotent une prise de conscience nécessaire. Reste que modifier les habitudes de fabrication et de production nécessitera du temps, beaucoup de temps. Dans les intentions figurent des dates comme 2050, qui semble un horizon lointain au regard des urgences (liées au climat, notamment) annoncées.

LVMH redore son blason

Grand absent du «Fashion Pact», LVMH n'est pas en reste. Son site affiche ses engagements en la matière. Le programme Life (LVMH Initiatives For the Environment) vise à renforcer la performance environnementale du groupe.

À l'horizon 2020 quatre objectifs communs aux maisons.

 

  • Objectif produits: améliorer la performance environnementale en tenant compte de l'intégralité du cycle de vie;
  • Objectif filières: traçabilité et conformité tout en préservant les ressources naturelles;
  • Objectif CO2: réduire les émissions de CO2 de 25% d'ici à 2020;
  • Objectif sites: réduire de 10% au moins l'un des indicateurs tels que la consommation d'eau, d'énergie et la production de déchets. Et améliorer de 15% l'efficacité énergétique.

Du côté de la beauté, le groupe n'est pas en reste avec notamment Guerlain, pour qui le développement durable est une priorité majeure, et qui a formalisé une charte depuis 2007.

Le choix pour LVMH de devenir partenaire de Stella McCartney, fervente militante, est aussi un signe envoyé par le groupe.

En amont, on tient salon

Tout commence avec la création des textiles et leur fabrication. Mecque de toute la filière, le salon Première Vision propose aux professionnel·les toutes les nouveautés en la matière (fils, tissus, cuirs, dessins, accessoires et confection). Depuis 2015, un espace baptisé Smart (désormais Smart Creation) rassemble les fabricants les plus vertueux.

Cette année, il réunissait cinquante exposants sur 1.200 mètres carré et il s'est doté d'une communication transparente sur différents points expliqués par des pictogrammes. Figurent les mentions organique (matière biologique), biopolymères, matière recyclée, ennoblissement responsable, waterless, traçabilité, procédés de fin de vie (notion de biodégradable, compostable ou recyclable), exempte de métaux.

Pour Pascaline Wilhelm, directrice mode, veille et tendances de Première Vison, cette nouvelle édition est une vraie saison de bascule du point de vue de l'offre: «Auparavant le sport et le denim apportaient des réponses, désormais tous les secteurs sont présents, avec des valeurs écoresponsables.» Elle souligne l'apparition de nouvelles performances en matière de tissus recyclés et remarque l'émergence d'une véritable conscience de la traçabilité. Cette spécialiste explique l'essor des biopolymères, ces matériaux qui ne sont pas issus du pétrole, mais de plantes, telle que le lin, l'ortie ou le chanvre, des matières renouvelables qui ne polluent pas.

Parmi les autres innovations, l'amélioration des teintures et, pour le cuir, l'utilisation de tannage végétal. Parmi les marques, ID Factory, avec un QR Code, donne la traçabilité du produit dans son ensemble. Cuir marin de France fabrique du «cuir» à partir de peaux de saumon utilisées dans l'alimentaire.

Des salons aux défilés

Le salon Who's Next, lui, met en contact les marques avec les boutiques dans son espace Impact («Act now for positiv fashion») dédié aux marques écoresponsables. Une centaine de partenaires (avec des valeurs de transparence, recyclage ou upcycling) présents dans ce salon B to B de 1.400 exposants. Ont été organisées des tables rondes sur le sujet (second-hand, matériaux responsables, upcycling, mode circulaire), des événements ludiques ainsi que des ateliers (tissage, macramé, récup, entre autres). Les visiteurs y trouvent aussi des expositions telles que «Ceci n'est pas un déchet». Crush ON et My Troc organisent des Swap Party, version contemporaine de la bourse d'échange de vêtements.

La présentation des collections avec les défilés semble aussi un peu bouger, la Suède ayant annulé sa Fashion Week et Londres ayant maille à partir avec le groupe d'activistes Extinction Rebellion, qui a organisé des manifestations afin de perturber le bon déroulement de la Fashion Week.

 

«Près de 100 mères de famille avec leurs enfants bloquent les bureaux de @google offices en organisant un allaitement en masse.»

La question du gaspillage ringardise les grands shows spectaculaires, dont on peut penser qu'ils vont devenir de moins en moins prisés.

Création et engagement

Du côté des créateurs, la question environnementale n'avait jamais été vraiment à l'ordre du jour, à l'exception notable de Stella McCartney et de certains de ses collègues. Sur le site de la créatrice figure une rubrique développement durable. La maison s'engage à travailler avec la nature plutôt que contre elle en choisissant ses matériaux, afin d'eliminer le gaspillage (pour mémoire, seul 1% des vêtements sont recyclés). Concrètement, la maison a pour objectif d'arrêter d'utiliser du nylon neuf pour passer à l'Econyl, un nylon régénéré.

Marque végétarienne comme sa créatrice, elle a éliminé la fourrure et le cuir, remplacé par un cuir végétal. Même pour la soie, Stella McCartney utilise le Peace Silk, une méthode où les vers peuvent sortir de leurs cocons. «L'un des plus grands compliments que l'on puisse faire à la marque est que certaines personnes, en achetant un sac Falabella ou des chaussures, ignorent que ce n'est pas du vrai cuir. C'est là où cela devient sexy.»

Le talentueux Bruno Pieters, créateur belge, lauréat de l'Andam, designer pour Hugo Boss et à la tête d'une marque éponyme, a eu le courage de tout changer et de lancer en 2012 une marque baptisée Honest By. À la suite d'un voyage en Inde, il a pris conscience de tout ce qu'impliquait la fabrication d'un vêtement. Il a alors choisi de proposer la transparence, d'expliquer où et comment le vêtement était fait et dans quelles conditions.

 

Il fit le choix du végan et l'utilisation de matériaux organiques avec des tissus certifiés par le Global Organic Textile Standard (Gots), dont tous les éléments sont traçables. Un pourcentage des ventes était aussi reversé à des œuvres caritatives. Son entreprise était sans doute trop en avance par rapport à la demande d'une clientèle encore figée dans un schéma classique et sans véritable conscience des enjeux environnementaux.

En octobre 2018, Bruno Pieters a pris la décision d'arrêter l'aventure et de demeurer consultant pour la mode. Optimiste malgré tout, il écrivit sur la page Facebook de sa marque: «Les sept dernières années ont été une lutte pour moi personnellement mais je pense que la mode a fait des progrès en ce qui concerne la transparence. Ce fut un honneur de participer à cette cause, reconnaissait-il. Je suis plus confiant que jamais dans la capacité de l'industrie de la mode à bouger dans la bonne direction.»

Multiples initiatives

Selon Clare Farrell, designeuse et cofondatrice d'Extinction Rebellion, la consommation globale a doublé au cours des quinze dernières années alors que l'utilisation (le nombre de fois qu'un vêtement est porté) a diminué de 36%. La fast fashion est désormais remise en question et de nombreuses marques brandissent dorénavant l'étendard d'une nouvelle vertu.

Moncler vient d'annoncer qu'elle intégrait l'indice Dow Jones Sustainability (DJSI) qui recensait 317 sociétés en 2018, des entreprises remarquables pour leurs engagements en matière de développement durable. En Italie, Moncler uitilise des sources d'énergie renouvelables et la maison s'est fixé l'objectif zéro carbone d'ici à l'horizon 2021. Les recherches se poursuivent en vue de concevoir des formes de fabrication moins dommageables pour l'environnement et de recycler les matériaux.

Les communiqués des maisons portant sur le secteur des produits dérivés des animaux se multiplient. Furla s'est engagée à ne plus utiliser de fourrure animale et à adhérer au programme Fur Free Alliance («Fur is not green»), réseau des principales organisations de protection des animaux et à éliminer certains types de laine (mohair, angora).

Il faudrait sans doute orchestrer une labellisation claire au lieu de la cacophonie qui règne actuellement.

Depuis 2018, Go for Good des Galeries La Fayette rassemble des marques écoresponsables au sein d'un label interne déterminant des critères de durabilité et de responsabilité sociale et locale. L'enseigne sélectionne des marques utilisant des tissus labellisés Oeko-Tex (Öko-Tex créé en Allemagne en 1992 pour mesurer l'impact humano-écologique des textiles).

Pour la traçabilité, de nouveaux outils apparaissent afin de guider la clientèle qui voudrait connaître les dessous de l'histoire de son vêtement. Qui, où, comment? Cela relève pour le moment d'initiatives des différentes maisons. Chez Décathlon, des pictogrammes fournissant des informations sur l'impact environnemental. Il faudrait sans doute orchestrer une labellisation claire pour tout le monde en lieu et place de la cacophonie dûe à la surenchère des étiquettes qui règne actuellement.

Production et destruction

Pour éliminer les excédents de stocks, les invendus, la politique des maisons était parfois de détruire, le plus souvent discrètement. Pour différentes raisons: ne pas déprécier l'image de marque et aussi parce que, concrètement, cela peut être parfois plus cher de gérer une braderie plutôt qu'une élimination.

En 2017 H&M fut accusé d'avoir brûlé 12 tonnes de vêtements. Une émission de télévision danoise a mené une enquête qui conclut que le géant suédois en éliminait des tonnes chaque année depuis 2013. L'entreprise a dit avoir recours à ces pratiques mais dans le cadre de défauts de fabrication, de produits impropres à la consommation.

Une étude évalue à 600 millions d'euros les produits non alimentaires neufs jetés ou détruits chaque année.

En 2018, dans son apport annuel, Burberry annonce la destruction de produits d'une valeur de 31 millions d'euros dont un tiers de références beauté. En guise d'explications: pour protéger la propriété intellectuelle et empêcher la contrefaçon. Burberry a aussi expliqué que cela c'était passé dans des conditions «environmentally friendly». Des pratiques qui désormais scandalisent quand elles arrivent aux oreilles des consommateurs.

L'idéal serait une production à la demande, mais c'est irréaliste, à cause des coûts. En 2023, la France deviendra le premier pays à interdire la destruction de vêtements, une mesure présentée par Édouard Philippe et qui imposera le don ou le recyclage. Cette nouvelle législation intervient en réponse à une étude de Matignon qui évalue à 600 millions d'euros les produits non alimentaires neufs jetés ou détruits chaque année.

Une marketplace en or

Barbara Coignet, à l'origine du salon 1,618 (qui correspond au nombre d'or) qui depuis dix ans rassemble des marques créatives concernées par le développement durable, estime que l'évolution du luxe au XXIe siècle sera basée sur des valeurs ou ne sera pas. Elle analyse cet éclairage dont bénéficient désormais les initiatives du secteur: «Ce côté soudain est un peu étrange, alors que les marques sont avisées depuis longtemps. Leur volonté d'agir vient de la pression des consommateurs.»

Au regard des effets d'annonces, elle trouve les mesures un peu légères et les projets pas assez exigeants. Du point de vue de l'urgence climatique, l'horizon 2050, c'est loin.

«Les marques qui s'engagent, c'est nouveau, sont désormais perçues comme désirables et innovantes.»
Barbara Coignet, créatrice du salon 1,618

Les propositions lui semblent réalistes, car les projets annoncés ne sont pas très contraignants. Le «Fashion Pact» lui a fait bonne impression, puisqu'il amène tout un pan de l'industrie à réfléchir au sujet qui la conduit à agir.

Barbara Coignet salue aussi le fait que des entreprises diverses et concurrentes ont réussi à s'allier, ce qu'elle considère comme une bonne chose pour la France, laquelle doit rattraper son retard vis-à-vis d'autres pays. Elle souligne: «Il y a cinq ans, cela n'aurait pas été possible, mais les marches pour le climat et l'évolution des mentalités ont fait bouger les lignes. Les marques qui s'engagent, c'est nouveau, sont désormais perçues comme désirables et innovantes.»

Homo consumens

Si l'industrie doit bouger, c'est du côté des consommateurs que le levier pourra amplifier et accélérer les mesures. Une étude IFM (Institut français de la mode) et Première Vision publiée en septembre analyse la situation actuelle.

En 2018, 45,8% des Français·es ont acheté au moins un produit de mode responsable, mais il y a un sérieux manque d'informations sur le sujet. Seulement 22,8% des Français·es sont capables de citer une marque commercialisant des produits durables. Si une partie de la population en France se sent concernée, 50% pensent que la mode ne pollue pas plus que d'autres secteurs.

Ce sont les consommateurs qui pourront améliorer la situation en regardant plus attentivement ce qu'ils achètent et en privilégiant les entreprises vertueuses. Si les marques suivent, s'effectuera alors le passage de l'intention à la réalisation.

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