Politique / Santé

Le plan antidrogue du gouvernement n'est que de l'entêtement idéologique

Le choix de continuer plus loin dans la voie répressive malgré son échec patent en France apparaît comme d'autant plus absurde et irrationnel que nombre de nos voisins passent à autre chose.

Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, le procureur de Marseille Xavier Tarabeux et la garde des Sceaux Nicole Belloubet annoncent la création de l'office antistupéfiants Ofast, le 17 septembre 2019 à Marseille. | Clément Mahoudeau / AFP
Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, le procureur de Marseille Xavier Tarabeux et la garde des Sceaux Nicole Belloubet annoncent la création de l'office antistupéfiants Ofast, le 17 septembre 2019 à Marseille. | Clément Mahoudeau / AFP

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Le 17 septembre dernier, Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, a annoncé en grande pompe depuis Marseille un nouveau plan antidrogue contenant pas moins de cinquante-cinq mesures. «Avec ce plan, nous passons encore à la vitesse supérieure. Nous voulons taper fort», assène-t-il alors en dévoilant le nouvel arsenal répressif à l'encontre des drogues.

Parmi les mesures phares, la création de l'Ofast, l'office antistupéfiants, chargé de superviser et mener à bien la prohibition moderne des drogues sur l'ensemble du territoire. Regroupant 150 enquêteurs et enquêtrices, des forces de l'ordre et des magistrat·es, le nouvel organisme aura aussi pour objectif de favoriser la collaboration entre les services de police, gendarmerie et douanes.

La création de cette nouvelle entité apparaît pour le moins opportune dans un contexte où l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis) était secoué par le scandale autour de la personne de François Thierry, anciennement à sa tête, soupçonné d'avoir importé de grandes quantités de drogues alors qu'il était en poste. Que les citoyen·nes français·es se rassurent, le nouvel Ofast saura éviter et faire oublier les aspects les plus honteux de l'Ocrtis qu'il remplace fièrement.

En outre, parmi les mesures présentées, on retrouve aussi une plateforme d'appel anonyme qui permettra de signaler les points de vente de drogue. «Pour moi c'est vraiment une catastrophe. Sur un plan démocratique, c'est vraiment instaurer la délation», dénonce Dominique Duprez, sociologue et directeur de recherche émérite au CESDIP/CNRS. Pourra-t-on signaler les points de vente de drogue que constituent les bars, supermarchés, pharmacies et autres marchands de tabac? On ne peut que l'espérer dans un souci de cohérence.

Un marché noir prospère et violent

Ces annonces interviennent alors que les derniers chiffres concernant l'état du trafic de stupéfiants en France ont récemment été publiés, et qu'ils peignent une image peu glorieuse de l'efficacité de l'approche répressive française dont ce nouveau plan dévoilé n'est qu'une énième déclinaison. Le marché noir des drogues prospère, avec un chiffre d'affaires total estimé à près de 3,5 milliards d'euros en 2018 qui continue de grassement financer le crime organisé. Dans une récente enquête du Monde, on découvre avec effroi que des mineurs de 12 ou 13 ans sont recrutés pour les trafics en qualité de guetteurs ou «charbonneurs».

Côté consommation, 45% des adultes français·es ont déjà essayé le cannabis alors que cette proportion n'était que de 24% en 2000, tandis que 11% en ont consommé dans l'année en 2017. Avec une consommation annuelle estimée entre 370 et 580 tonnes par an, ces chiffres permettent à la France de caracoler en tête des pays de l'Union européenne dans ce domaine. Le paradoxe est toujours aussi frappant: la France continue d'être à la fois un des pays les plus répressifs et le premier consommateur d'Europe de cannabis.

Les violences associées aux trafics illicites perdurent, avec 77 règlements de compte enregistrés en 2018, qui ont fait 106 victimes dont 54 décès. Le chiffre est stable par rapport à 2017. «Dans 80% des cas, ils sont liés au trafic de stupéfiants», résume Frédéric Doidy, chef de l'Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO).

Toujours plus de répression policière et judiciaire

Nous célébrerons en 2020 les 50 ans de l'approche prohibitionniste très répressive de l'État français moderne, issue de la loi du 31 décembre 1970. Rien ne permet de montrer plus clairement à quel point ce nouveau plan antidrogue s'inscrit dans la continuité du tout-répressif en vigueur depuis près d'un demi-siècle que le quatuor présent lors de sa présentation: le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, son secrétaire d'État Laurent Nuñez, la garde des Sceaux Nicole Belloubet et le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, dont dépendent les Douanes.

Jusqu'où ira cette surenchère de répression devant l'incapacité à endiguer les trafics? Souhaite-t-on arriver un jour aussi loin que les Philippines de Rodrigo Duterte où ce dernier a mis en place une terrible politique d'exécutions extrajudiciaires faisant des milliers de morts dans cette course sans fin de guerre contre la drogue? Rien n'indique pourtant que ces violations massives de droits humains aient apporté le moindre bénéfice en matière de réduction des trafics ou de protection de la population.

Ce choix de continuer toujours plus loin dans la voie répressive malgré son échec patent en France apparaît comme d'autant plus absurde et irrationnel que nombre de nos voisins reconnaissent l'évidence de cet échec et ses terribles conséquences sur la sécurité et la santé publique, et passent à autre chose. Les exemples d'États toujours plus nombreux aux États-Unis et du Canada qui sont passés à un modèle de légalisation du cannabis sont désormais bien connus et les bénéfices associés sont bien documentés, tant en ce qui concerne la protection des droits civiques que la lutte contre la criminalité ou la promotion de la santé publique.

Chez nos voisins plus proches aussi, les choses changent dans le sens de plus de respect des libertés, tel le Luxembourg qui en août dernier a fait savoir sa volonté de légaliser le cannabis d'ici deux ans, ou encore les Pays-Bas qui ont annoncé début septembre le lancement d'une expérimentation de production légale de cannabis afin de lutter efficacement contre la production illicite.

En 2018, la Global Commission on Drug Policy a publié un rapport extrêmement important rappelant les raisons pour lesquelles la prohibition doit être abolie et la manière détaillée dont une légalisation contrôlée des drogues peut et doit être mise en place. Elle appelle à cesser de poursuivre cette vision irréelle d'éradication des drogues, et à plutôt consacrer l'ensemble des moyens aux différentes manières basées sur des preuves afin de protéger les consommateurs, réduire les risques et soigner les personnes malades.

Il semble aujourd'hui acté que la légalisation du cannabis ne pourra arriver sous ce gouvernement, qui avec ce nouveau plan a démontré qu'il ne valait pas mieux que l'entêtement idéologique des précédents. Gageons qu'un des prochains gouvernements saura enfin faire preuve de rationalité et que face aux désastres titanesques de la prohibition, il saura répondre en l'abolissant fermement plutôt qu'en créant un énième organisme au nom obscur chargé de la faire perdurer envers et contre tout.

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