Société

Les catholiques peinent à se positionner dans les mouvements anti-PMA

Indépendamment de leurs motivations ou de leurs arguments, c'est ce qu'ils et elles sont qui risque d'être critiqué et dévalué à l'occasion de la manifestation du 6 octobre.

Manifestation organisée à l'initiative de la Manif pour tous le 16 octobre 2016 à Paris. | Christophe Archambault / AFP
Manifestation organisée à l'initiative de la Manif pour tous le 16 octobre 2016 à Paris. | Christophe Archambault / AFP

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Contre l'actuelle loi bioéthique, le collectif Marchons Enfants appelle à marcher «contre la PMA sans père et la GPA». Ce mouvement qui regroupe différentes associations –chrétiennes ou non– vient pallier une certaine usure de la Manif pour tous qui se fond dans ce collectif.

Les militant·es catholiques se sont déjà beaucoup mobilisé·es pour faire entendre leur voix dans le cadre des états généraux de la bioéthique organisés par le Comité consultatif national d'éthique. Pourtant, le projet de loi présenté par le gouvernement n'en a pas tenu compte. Une manifestation peut-elle renverser le rapport de force? Son enjeu n'est-il pas plutôt de manifester une objection de conscience? À quel prix pour l'image des catholiques?

Le catholicisme en mal d'amour

La Manif pour tous n'a pas mobilisé que des catholiques et elle n'a pas non plus mobilisé tous les catholiques. Même pour ses militant·es catholiques, les manifestations n'ont rien d'évident parce qu'elles sont une épreuve symbolique.

Ils anticipent qu'indépendamment de leurs motivations ou de leurs arguments, c'est ce qu'ils sont qui risque d'être critiqué et dévalué. En Europe, la culture dominante se dissocie toujours plus de la religion qui a pu en constituer une matrice.

En France, le catholicisme se trouve ainsi en voie d'«exculturation». Les catholiques en ont progressivement pris conscience à l'occasion des révisions du cadre législatif instituant les frontières légitimes de l'éthique ou de la famille.

Ces évolutions ont imposé aux militant·es catholiques de redéployer leur action pour contrer leur marginalisation.

Une mobilisation de l'entre-soi

Ainsi en réaction à la première loi Bioéthique votée en 1994, Christine Boutin fonde l'Alliance pour les droits de la vie (devenue depuis Alliance Vita) afin de produire une contre-expertise sur les questions d'éthique médicale.

En 1996, Jean‑Marie Le Méné crée la Fondation Jérôme Lejeune sur un créneau proche. En 1999, en opposition au PACS, Tugdual Derville et Christine Boutin organisent une manifestation sous le label «Génération anti-pacs».

Ils tentent de profiter du coup de jeune que les Journées mondiales de la jeunesse de Paris (1997) ont donné à l'image de l'Église.

Journées mondiales de la jeunesse: près de 400.000 participant·es venu·es de 160 pays se sont rendu·es au Champ-de-Mars pour accueillir Jean-Paul II le 21 août 1997. | Joël Saget / AFP

Le cortège est habillé de t-shirts multicolores barrés de slogans en anglais, «Pacs out». Sur le podium, des jeunes portant des casquettes à l'envers font du hip-hop. Mais pourtant ce qui frappe la presse, c'est l'homogénéité religieuse et surtout sociale de ces manifestant·es venu·es des beaux quartiers. Or cette «France des lodens» –du nom du manteau autrichien long et sombre associé aux représentations que l'on se fait de ces populations– ne parvient pas à mobiliser au-delà d'elle-même et échoue donc à incarner la majorité silencieuse du pays.

Par ailleurs, la montée en puissance de la dénonciation de l'homophobie aboutit à ce qu'Éric Fassin nomme l'«inversion de la question homosexuelle»: ce ne sont plus désormais les homosexuel·les qui apparaissent comme des déviant·es; mais ceux qui refusent d'accepter leur normalité.

La morale chrétienne se trouve donc progressivement marginalisée comme une source d'exclusion archaïque –facilement identifiable au style vestimentaire désuet de la bourgeoisie «vieille France» qui se mobilise pour la défendre.

Sortir du ghetto

Les militant·es catholiques conservateurs et conservatrices vont développer de multiples stratégies pour sortir du ghetto de cette image et restaurer leur capacité à parler au nom des Français·es pour définir l'orientation de la loi.

À la fin des années 1990, les Survivants redéploient l'action des réseaux anti-IVG avec un style jeune et branché.

En 2002, Christine Boutin se présente à la présidentielle. Elle a perdu 15 kilos, coupé ses cheveux désormais noirs et modernisé son style.

Candidate à l'élection présidentielle, dissidente UDF, Christine Boutin, salue ses militant·es le 17 avril 2002 à son arrivée au palais des congrès de Lyon. | Philippe Merle / AFP

En 2005, la Life Parade est créée avec l'ambition d'emprunter le style et les codes de la Techno Parade ou de la Gay Pride pour défendre la «culture de vie» que le pape Jean‑Paul II oppose à la «culture de mort» des sociétés occidentales. Mais le faible impact de ces initiatives ancre les catholiques dans le sentiment de leur déclin.

Déclassement symbolique

Ni Jacques Chirac ni Lionel Jospin n'ont voulu de la mention des «racines chrétiennes» dans le préambule de la Constitution européenne et la seule religion qui cristallise l'intérêt en raison de sa visibilité croissante, c'est l'islam. La controverse sur le voile provoque un réveil de la sensibilité laïque et une extension du principe de neutralité à l'espace scolaire avec la loi de mars 2004 sur les signes religieux ostensibles.

Bien qu'ils ne soient pas visés, les catholiques voient leurs libertés religieuses reculer. René Rémond regrette «l'antichristianisme» ambiant.

À partir de 2005, les controverses sur les prises de position de Benoit XVI parachèvent d'ancrer les catholiques dans un sentiment de déclassement symbolique.

Des militants catholiques promeuvent le terme de «cathophobie» forgé sur le modèle de l'homophobie et de l'islamophobie afin de rendre visible les discriminations dont les catholiques seraient l'objet.

Multiples résistances

Mais cette entreprise rencontre de multiples résistances car bien des personnes catholiques refusent de se penser comme une minorité et préfèrent se revendiquer porteuses de l'authentique identité française. Durant son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy valorise d'ailleurs les «racines chrétiennes» de la France et, dans son discours au Palais du Latran en 2007, place même le prêtre au-dessus de l'instituteur.

Par ailleurs, les catholiques ont profondément intégré le cadre de la laïcité et répugnent à faire de leur foi le fondement de leur identité sociale ou de leurs revendications politiques.

En 2012, après l'élection de François Hollande, les catholiques craignent de redescendre dans la rue, anticipant la possibilité de débordements ou le risque de la caricature.

En 1999, le mouvement «Génération anti-pacs» avait perdu son crédit lorsque des manifestants avaient crié «les pédés au bûcher» en réaction à une provocation d'Act Up. En 2012, ce risque demeure en raison de l'activisme des catholiques intégristes de l'institut Civitas qui dénoncent l'homosexualité comme une perversion et un péché.

Le tournant du 17 novembre 2012

Pour ne pas leur laisser le monopole de la rue, Frigide Barjot (Virginie Tellenne) prend l'initiative d'une manifestation le 17 novembre 2012 et décide d'une stratégie de communication iconoclaste afin de la légitimer.

Frigide Barjot (Virginie Tellenne) devant le ministère des Affaires sociales le 28 avril 2014. | LudoVersailles89 via Wikimedia Commons

Elle donne au mouvement un caractère non-confessionnel et mise même sur une paradoxale revendication d'homophilie dont Xavier Bongibault, porte-parole de «Plus gay sans mariage», fut la caution.

Mettant en avant Laurence Tcheng comme figure d'une gauche déçue par François Hollande, et s'appuyant sur des slogans décalés et les codes visuels de Mai 68, son équipe permet aux catholiques d'échapper à leur image et donc de se sentir en confiance pour manifester comme simples citoyen·nes et prétendre incarner la majorité du pays. C'est là une des clés du succès de cette mobilisation non-catholique portée par des catholiques.

Suspect·es d'office

Reste que cet état de grâce fut de courte durée et s'effrite à partir de janvier 2013 en raison d'une tension très forte avec le gouvernement. Stigmatisé·es en tant que catholiques, bien des manifestant·es partagent l'impression d'être des citoyen·nes de seconde zone, d'être suspect·es d'office en raison d'un ancrage religieux qu'ils et elles refusaient pourtant d'assumer.

Cette situation a fini par donner raison aux personnes les plus conservatrices tentées de retourner le stigmate. Ainsi, l'effet le plus paradoxal de cette mobilisation non-confessionnelle fut de redonner confiance aux catholiques dans la ressource politique que pouvait représenter leur foi.

Et c'est pourquoi, malgré le vote de la loi Taubira légalisant le mariage pour tous le 23 avril 2013, la Manif pour tous a obtenu un relatif succès: une cohorte de militant·es se sont formé·es en son sein puis dispersé·es en de multiples initiatives visant à innerver le champ politique à partir de réseaux le plus souvent catholiques: Veilleurs, Antigones, Sentinelles, Hommens, Sens Commun, Cercle Fraternité, Printemps Français, revue Limite, etc.

Le retour du catholicisme au centre du jeu politique

Cette manifestation non-confessionnelle de catholiques est devenue la matrice de la réaffirmation de la capacité structurante des catholiques en politique.

Les primaires de la droite et du centre de novembre 2016, puis l'élection présidentielle de 2017 ont ainsi été marquées par l'attention soutenue des candidat·es de droite à l'égard de l'électorat catholique. Cela s'est traduit par des confessions de foi inhabituelles comme le «je suis chrétien» de François Fillon.

Mais ce retour du catholicisme au centre du jeu politique a exaspéré les catholiques qui ne se sont jamais reconnu·es dans la Manif pour tous ou qui ont regretté une politisation compromettant les conditions nécessaires à l'évangélisation.

Après le premier tour de l'élection présidentielle, l'appel de Ludovine de la Rochère à voter «tout sauf Macron» a été entendu comme un ralliement à Marine Le Pen.

Si elle a satisfait une partie de sa base, elle en a exaspéré la majorité. Bien des catholiques, y compris conservateurs et ayant manifesté sous les ballons roses et bleus de la Manif pour tous, y ont vu une trahison: un retour au ghetto dans l'image caricaturale d'une France réactionnaire.

Chercher de nouveaux relais

Certain·es hésitent donc quant à l'opportunité de manifester le 6 octobre, anticipant qu'une nouvelle fois la critique de ce qu'ils et elles sont risque de se substituer à la discussion de leurs arguments. D'autres se pensent comme des objecteurs de conscience et n'attendent donc rien d'un ordre dominant estimé injuste.

La rareté des relais dans le reste de la population les questionne. Ils voudraient tant que de nouvelles cohortes de manifestant·es se lèvent derrière José Bové et la philosophe Sylviane Agacinski qui ont émis des critiques sur la PMA pour toutes.

Dans leur lignée, beaucoup de gens aimeraient que le combat pour la «famille durable» soit reconnu authentiquement écologiste. À travers la manif, c'est le statut même du catholicisme dans la société française qu'ils redoutent de mettre en jeu. Réussiront-ils une nouvelle fois la transsubstantiation en peuple ou n'apparaîtront-ils que comme une minorité religieuse?

 

L'auteur a récemment publié Une contre-révolution catholique. Aux origines de la Manif pour tous, Seuil, 2019.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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