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Aux États-Unis, le clergé en première ligne aux côtés des migrants

Chaque semaine, près de cent personnes demandant l'asile trouvent refuge dans cette église située à quelques dizaines de kilomètres de la frontière américano-mexicaine.

L'église El Calvario, à Las Cruces (Nouveau-Mexique). | Paul Gasnier
L'église El Calvario, à Las Cruces (Nouveau-Mexique). | Paul Gasnier

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À Las Cruces (Nouveau-Mexique)

Trois minibus blancs s'arrêtent sur le bitume brûlant d'un parking, à l'ombre d'une vaste église blanche. Les portières coulissent. Des familles sortent en file indienne, barda sur l'épaule et gamin au bout du bras. Il s'agit de quarante-et-un demandeurs d'asile, dont quatorze enfants, originaires principalement du Brésil et du Guatemala. Les visages sont hébétés, les yeux gonflés par la fatigue des jours passés sur la route et dans les centres de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement), l'agence fédérale de contrôle de l'immigration.

«Carolina? Miguel? Carlos?» Leurs noms sont égrenés par une volontaire, liste en main et croix autour du cou, qui leur souhaite la bienvenue en espagnol. Au-dessus de la porte d'entrée de l'église, un panneau à l'écriture d'enfant: «Smile cuz God loves u».

Le calvaire de ces migrant·es s'achève ici, à El Calvario, la mal-nommée. Une église méthodiste posée à un carrefour sans âme de Las Cruces, au Nouveau-Mexique. Nous sommes à une heure de route au nord d'El Paso et de son mur électrisé qui serpente le long de la frontière, stigmate sinistre d'un pays qui croit se barricader contre la misère.

À l'intérieur, El Calvario est une ruche. Une vingtaine de fidèles bénévoles s'activent dans la cuisine qui jouxte le sanctuaire pour préparer le repas. D'autres dressent des tables dans un réfectoire qui sera transformé en dortoir une fois la nuit tombée.

Paul Gasnier

Pour la première fois depuis plusieurs jours, les migrant·es peuvent prendre une douche et se changer. Les visages s'ouvrent, les premiers sourires apparaissent, les femmes se pressent devant le miroir de la salle de bain pour se maquiller.

Malaise dans l'électorat de Trump

Depuis quatre ans, le révérend George Miller, qui dirige la paroisse, héberge des personnes demandant l'asile, relâchées par les autorités. Son église en accueille entre soixante-dix et cent par semaine. «Nous n'accueillons que des migrants légaux», tient-il à préciser.

Sans l'activisme du révérend, elles seraient livrées à elles-mêmes à la sortie du centre de détention. Les bénévoles de l'église s'occupent de les héberger et de leur trouver des billets de bus ou d'avion afin qu'elles rejoignent leurs sponsors, des proches résidant aux États-Unis qui se portent garants de leurs demandes d'asile.

Sue est une pasteure à la retraite. Elle est arrivée du Colorado pour prêter renfort à l'œuvre du révérend Miller. «Avant, je dirigeais des offices religieux, explique-t-elle. Maintenant je coupe des carottes pour les migrants. C'est la même chose. On ne fait qu'appliquer l'Évangile.»

Paul Gasnier

La mobilisation de cette petite église est révélatrice du malaise des religieux à l'égard de la politique migratoire de Donald Trump, qui a durci les critères d'admission et augmenté drastiquement les expulsions.

Depuis plusieurs mois, le clergé monte au front. Partout dans le pays, des lieux de culte ouvrent leurs portes aux demandeurs d'asile. Le 18 juillet, des nonnes et des prêtres jésuites se sont allongés dans le hall du Sénat à Washington pour dénoncer les conditions de détention dans les centres gérés par l'ICE, où vingt-quatre migrant·es sont déjà décédé·es, dont quatre enfants. Soixante-dix manifestant·es catholiques furent interpellé·es, sous l'œil des caméras –coup d'éclat suivi d'autres manifestations. Fin juillet, des centaines de croyant·es, toutes obédiences confondues, ont répondu à l'appel d'un pasteur protestant et défilé à El Paso devant un centre de l'ICE. Sept évêques ont déjà soutenu publiquement le mouvement, dont l'archevêque de Houston, qui dénonce «un climat de peur contraire aux valeurs américaines et chrétiennes».

Le combat est aussi mené par certaines synagogues. La rabbin Salem Pearce, installée à New York, anime un réseau de soixante-quinze lieux de culte qui offrent une assistance juridique aux migrant·es, ainsi que des hébergements temporaires. «Je n'ai jamais vu la communauté juive aussi mobilisée, raconte-t-elle au téléphone. Beaucoup de nos familles ont vécu ce que les migrants vivent aujourd'hui. Les Juifs américains n'oublient pas qu'ils sont arrivés aux États-Unis pour fuir la persécution en Europe! Ce qui m'effraie, c'est que c'est la même rhétorique qui est utilisée aujourd'hui...»

Fin août, 511 responsables religieux ont adressé une lettre à Donald Trump, exprimant leur opposition à un nouveau tour de vis migratoire. Ce sursaut du clergé n'a pas empêché le président américain d'annoncer, jeudi dernier, une réduction draconienne et sans précédent du nombre de réfugié·es admis aux États-Unis: 18.000 seront accueilli·es pour l'année fiscale 2020, contre 85.000 en 2016.

Paul Gasnier

Cette mobilisation du clergé sera-t-elle assez importante pour mettre Donald Trump en difficulté lors de l'élection de 2020 et jeter le doute dans le cœur de ses électeurs et électrices?

En 2016, les milieux catholiques et protestants furent un réservoir de voix important pour le candidat républicain. Trump a même raflé plus de 80% des voix chez les évangéliques blancs. Un électorat conservateur qu'il a su flatter en endossant le rôle d'homme à poigne, mais dont il s'est gardé de froisser les valeurs religieuses.

Le visage le plus rassurant

À l'église El Calvario, les bénévoles assurent que le soutien apporté aux migrant·es est soutenu par la majorité des fidèles. «Ils sont incroyables», s'enthousiasme Cynta, une enseignante au regard illuminé, comme touché par la grâce. «Regardez ce qu'ils nous ont donné.» Dans les bureaux, les donations des fidèles s'entassent: des couvertures, des jouets, un frigo. Et surtout: des médicaments. «Les agents à la frontière confisquent systématiquement les médicaments aux migrants, révèle-t-elle. Un jour, on a reçu un adolescent qui souffrait d'une leucémie. Son traitement lui avait été confisqué. Quand il est arrivé, sa fièvre est montée en flèche, on a dû l'envoyer aux urgences.»

«Les demandeurs d'asile sont traités comme des criminels. Je n'avais jamais vu ça auparavant.»
Révérend Miller

L'accueil des réfugié·es ne suscite-t-il vraiment aucune réticence parmi la population locale? Sue, la pasteure bénévole, admet: «Quand je suis arrivée à Las Cruces, la propriétaire de ma maison m'a conseillé de ne pas parler positivement des migrants à mes voisins. Les gens qui vivent près de la frontière n'ont pas toujours la même vision des choses...»

Selon le révérend Miller, l'église perpétuerait le «sanctuary movement», une tradition d'hospitalité lancée dans les années 1980 par un pasteur de l'Arizona qui fut le premier à héberger des migrant·es du Salvador, afin de les préserver de l'expulsion par les autorités.

«Ce qui est nouveau, c'est que les demandeurs d'asile sont traités comme des criminels, s'inquiète-t-il. Je n'avais jamais vu ça auparavant.»

Paul Gasnier

Maria peut en témoigner. Avec son fils de 15 ans, elle a fui le Guatemala et un mari violent. Après plusieurs semaines sur la route où ils furent rackettés par un passeur, ils sont arrivés dans un centre de l'immigration à El Paso et détenus pendant cinq jours. «C'était très difficile», évoque-t-elle en se mordant les lèvres pour retenir ses larmes. «À l'immigration, on nous a traités comme des animaux. Quand ils voyaient des gens dormir, ils les réveillaient.»

Maria et son fils ont obtenu l'autorisation exceptionnelle de quitter le centre pour être hébergés à l'église El Calvario, à Las Cruces.

«Nous sommes en train de chercher un garant pour que notre demande d'asile soit acceptée. En attendant, l'immigration m'a mis ça». Maria retrousse son pantalon et nous montre sa cheville. Elle est ceinte d'un bracelet électronique, de ceux imposés aux délinquants récidivistes. Si Maria tente de sortir de Las Cruces, le bracelet sonnera, et les autorités seront immédiatement prévenues. «J'ai cinq mois pour trouver un garant. Sinon on se fera renvoyer au Guatemala...»

Dans le réfectoire de l'église, les nouveaux et nouvelles venu·es se mettent à table, dans un joyeux brouhaha. Les bénévoles tentent de leur offrir le visage le plus rassurant d'un pays qui s'est perdu dans la surenchère sécuritaire.

Le pin's d'une volontaire porte un verset de l'Évangile selon Matthieu, qui sonne comme une mise en garde prophétique: «J'étais un étranger et vous ne m'avez pas accueilli».

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