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La France ne devrait pas avoir peur d'accueillir Edward Snowden

Interrogé le 16 septembre par France Inter, le lanceur d'alerte américain a exprimé sa volonté d'obtenir l'asile en France.

Conférence vidéo d'Edward Snowden à Berlin, le 17 septembre 2019. | Jörg Carstensen / DPA / AFP
Conférence vidéo d'Edward Snowden à Berlin, le 17 septembre 2019. | Jörg Carstensen / DPA / AFP

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Alors qu'il publie Mémoires vives, le lanceur d'alerte Edward Snowden vient de demander l'asile politique en France.

Le résultat de cette requête est porteur de conséquences lourdes pour les libertés et la démocratie, et c'est bien cette démocratie que Snowden a décidé de défendre au péril de sa vie depuis maintenant six longues années.

Inertie incompréhensible

Après ses révélations mettant en lumière l'ampleur des renseignements collectés par les services secrets américains et britanniques, Edward Snowden a essuyé de multiples refus à ses demandes d'asile politique en 2013 (en France notamment, celui de Manuel Valls).

Finalement accueilli en Russie, où il bénéficie d'un droit de résidence limité qui expire en 2020, il a récemment réitéré son souhait de rejoindre la France. Cette demande doit se faire à l'ambassade de France en Russie, dont le personnel consultera ensuite le ministère de l'Intérieur.

Une fois sur le territoire national, Edward Snowden pourrait néanmoins être extradé vers les États-Unis, au titre des infractions poursuivies. Le droit français pourrait ainsi ne pas aider l'informaticien.

Inutile de faire une étude approfondie des conséquences de l'action de Snowden, son retentissement se fait ressentir quotidiennement pour des milliards de personnes.

À la question «la société a-t-elle changé grâce à Snowden?», chacun·e est en position de répondre par l'affirmative: n'avez-vous pas obturé la caméra de votre ordinateur?

C'est donc l'incompréhension qui règne face à l'inertie des autorités nationales et au sein de l'Union européenne, qui ont été les premières bénéficiaires de ces révélations et en ont tiré les leçons à la fois pour leur sécurité intérieure et du point de vue des libertés fondamentales, en renforçant la protection des données à caractère personnel.

L'annulation du Safe Harbor, l'adoption du RGPD, les multiples poursuites contre les géants du net pour violation du droit de la concurrence jusqu'à la taxe sur les GAFAM: les retombées de l'action de Snowden se font sentir à l'échelle européenne, mais aussi aux États-Unis.

Même si le Congrès américain a limité cette collecte automatique, massive et indiscriminée avec le Freedom Act de 2015, les États poursuivent l'espionnage des conversations, qui se trouve normalisé avec par exemple l'adoption en France de la loi renseignement.

Quant aux entreprises, les plus grandes d'entre elles font encore l'objet d'enquêtes pour violation de la vie privée.

Les déséquilibres s'exacerbent sur le plan des cadres juridiques, des acteurs qui monopolisent la collecte des données et maintenant sur le rôle des machines (intelligence artificielle, supercalculateurs). Les données sont plus que jamais au cœur de la bataille.

Décision d'intérêt général

Inculpé aux États-Unis pour espionnage et vol de secrets d'État, l'ancien agent de la CIA s'était caché treize jours parmi des réfugié·es sri-lankais·es de Hong Kong en 2013.

Aucun statut juridique uniforme et suffisamment solide n'existe pour protéger un lanceur d'alerte de cette envergure, véritable fugitif international.

Edward Snowden n'est pas un lanceur d'alerte comme les autres. Citizenfour –son premier pseudonyme– a été menacé de peine de mort par le secrétaire d'État américain Michael Pompeo.

Parmi les options possibles, la demande d'Edward Snowden pourrait être entendue par le président Emmanuel Macron au titre du droit de séjour, pouvoir régalien.

En effet, seule une décision politique, telle que celle prise par François Mitterrand en faveur des Brigades rouges italiennes ou plus récemment par Nicolas Sarkozy pour accueillir des membres des Farc, les rebelles colombiens, pourrait servir de fondement juridique à son entrée sur le territoire. Or ce statut est révocable à tout moment en cas d'alternance politique.

Sans user de ce pouvoir, la France pourrait accorder une protection à Snowden en tant que défenseur des droits de l'homme au titre de la déclaration des Nations unies éponyme, car le lanceur d'alerte a rendu service à l'humanité et œuvre à la promotion ou à la protection des droits humains partout et pour tout le monde. L'homme le plus dangereux selon les États-Unis est-il aussi le plus héroïque?

Pour finir, quelques réminiscences de l'internet qui fut un temps espace de liberté, rêvé par quelques geeks de la Silicon Valley. C'était avant… Devenir qui tu es, échouer et recommencer grâce à internet? Oui, c'était possible à une époque pas si lointaine.

Aujourd'hui, vous n'avez plus le droit à l'erreur: tout est archivé, référencé et retweeté. À ce propos, lisez ce qu'en dit Chris Wetherell, inventeur du bouton «retweeter». Il nous explique comment cette fonction a ruiné internet. Initialement prévue pour relayer la voix de communautés sous-représentées, elle a été détournée au moment du Gamergate, jusqu'aux scandales de désinformation durant la campagne américaine de 2016.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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