Égalités

Le concept de blanchité n'a rien à voir avec la couleur de peau

Sur le plan biologique, il n'existe qu'une seule race mais notre histoire a construit des catégories raciales toujours opérantes aujourd'hui.

Aucun être humain n'a la couleur véritablement blanche d'une feuille de papier, de même qu'aucune peau n'est noire comme le charbon. | Kelly Sikkema <a href="https://unsplash.com/photos/mdADGzyXCVE">via Unsplash</a>
Aucun être humain n'a la couleur véritablement blanche d'une feuille de papier, de même qu'aucune peau n'est noire comme le charbon. | Kelly Sikkema via Unsplash

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Depuis plusieurs jours, un débat sature l'espace public français: le racisme anti-Blancs existe-t-il?

Je me suis exprimée maintes et maintes fois pour dire que le racisme se définissait par son caractère systémique. Il est le fruit d'une histoire, constituée de réductions en esclavage, de colonisations, de ségrégations et de génocides nourris par des théories proclamant l'infériorité des groupes attaqués. Ces pratiques racistes protéiformes sont aussi bien le fait d'individus que d'institutions. Si des personnes blanches peuvent être la cible de préjugés, d'attaques, d'injures parce que perçues comme blanches, il faut le condamner.

Mais il convient de rappeler qu'il n'existe pas de théorie qui placerait les Blanc·hes au bas d'une hiérarchie raciale et qui se soit traduite dans des pratiques institutionnelles, c'est pour cela que l'on ne peut parler de racisme anti-Blancs. Le racisme est un système de domination, qui ne se cantonne pas à des interactions individuelles.

À cette affirmation, il m'a été rétorqué à plusieurs reprises avec insistance que des Blanc·hes avaient été victimes de génocides, les Juifs en étant un exemple.

Or cela n'infirme pas ma thèse. En premier lieu parce que les Juifs ont été exterminés par les nazis du seul fait de leur judéité (réelle ou supposée). Ces personnes n'ont pas été ciblées parce qu'elles étaient blanches mais parce qu'elles étaient juives.

Par ailleurs, si des Juifs peuvent être considérés comme blancs de nos jours, ce n'était pas le cas pendant la Shoah –sachant qu'il existe aussi des Juifs noirs. C'est ce que j'ai rappelé dans ce tweet abondamment commenté:

Des constructions arbitraires

J'ai convoqué la notion de blanchité qui, en sciences sociales, décrit le fait d'être blanc·he comme une construction politique, ce qui induit la même chose pour toutes les conditions minoritaires.

La blanchité n'est pas une couleur de peau objective mais une condition sociale issue d'un processus politico-historique. Sur le plan biologique, il n'existe qu'une seule race mais notre histoire a construit des catégories raciales toujours opérantes aujourd'hui. C'est le racisme qui fait exister les races et leur donne une existence non pas biologique mais sociale. Car si l'on regarde les choses de manière très objective, aucun être humain n'a la couleur véritablement blanche d'une feuille de papier, de même qu'aucune peau n'est noire comme le charbon. Les vocables noir/blanc ont été adoptés de manière schématique pour nourrir une opposition factice entre des populations qui appartenaient en réalité à la même humanité. Noir, blanc, jour, nuit, lumière, ténèbres... Comment mieux justifier la domination de populations qu'en les associant à l'obscurité en opposition à l'éblouissement que leur apporterait l'Occident?

De la même manière, les peaux dites rouges et jaunes n'existent que dans l'imagination bien trop fertile des colons.

Si l'on regarde de près, les personnes regroupées sous le vocable «Blanc·hes» présentent des carnations épidermiques tout à fait variées. Il y a de fortes chances qu'une personne blanche d'origine danoise n'ait pas exactement la même teinte qu'une autre personne dite blanche d'origine espagnole. Dans la même (absence de) logique, la couleur de celles et ceux considéré·es comme noir·es s'étend de Mariah Carey à Lilian Thuram. De toute évidence, aucune logique ne gouverne cette classification: ces catégories ne reposent de fait que sur des constructions arbitraires.

Nombreux sont les individus originaires d'Asie ou d'Afrique du Nord dont la couleur de peau est identique à celle d'individus d'origine européenne. Pour autant, ils ne sont pas considérés comme des Blancs. Car être blanc·he n'est pas une question de couleur objective mais d'expérience politique. C'est un héritage lié à l'ordonnancement des populations du monde selon une conception hiérarchique.

Cette absence de rationalité dans la définition des catégories implique que les frontières de la blanchité sont mouvantes. On sait par exemple qu'à leur arrivée sur le sol américain, les Irlandais·es, membres des catégories les plus pauvres, n'étaient pas considéré·es comme des Blanc·hes. Les «blanchir» a permis de briser toute possible solidarité de classe avec les Noir·es, et de leur inculquer une conscience blanche induisant un complexe de supériorité vis-à-vis d'autres groupes pourtant victimes de la même exploitation capitaliste.

Les Juifs exclus de l'identité blanche

Comme le régime ségrégationniste états-unien, les lois de Nuremberg étaient des lois raciales. Un article du New Yorker rappelle d'ailleurs, en citant le livre de James Q. Whitman, qu'Hitler s'est inspiré du racisme des États-Unis et des politiques instaurées par les lois Jim Crow pour mettre en place sa propre législation antisémite en Allemagne. Ainsi, dans Mein Kampf, Hitler félicite le gouvernement américain pour ce qu'il considère comme une avancée à travers la conception raciale de la citoyenneté.

La pensée hitlérienne est une pensée raciste, et la race aryenne un avatar de la suprématie blanche. C'est une réinterprétation des thèses raciales qui avaient été développées auparavant, la race aryenne nourrissant l'idée d'une pureté blanche poussée à son horrible paroxysme.

Les Juifs, quelle que soit leur apparence physique, avaient été exclus de cette conception de l'identité blanche. Ce texte de Robert Brasillach qui les animalise ne laisse aucun doute quant à leur perception par les antisémites de l'époque:

«Quel tribunal oserait nous condamner si nous dénonçons l'envahissement extraordinaire de Paris et de la France par les singes?... On va au théâtre? La salle est remplie de singes... Dans l'autobus, dans le métro? Des singes... En province, dans les marchés, les foires, des stands entiers sont occupés par des singes, avec un grand fracas de casseroles en solde et d'étoffes prises à des faillites... Les guenons qui les accompagnent ont chapardé des fourrures, des colliers de perles, et elles minaudent d'une manière presque humaine... Ce que nous appellerons l'antisimiétisme (veuillez bien lire, je vous prie) devient, chaque jour, une nécessité plus urgente...»

Hitler avait adopté une conception restreinte de la blanchité qui excluait entre autres les Juifs et trouvait ses racines dans une identité créée de toutes pièces et incarnée par des représentants aux traits nordiques. Ce n'est certainement pas un hasard si de nos jours, des suprémacistes blancs ont détourné la mythologie scandinave pour faire du Dieu Odin l'objet de leur culte.

Un concept récent pour décrire des réalités anciennes

J'ai adopté la notion de blanchité pour décrire les hiérarchies élaborées par les nazis, et il m'a été reproché de manipuler ce concept récent de manière anachronique. Or ce n'est pas parce que l'université conceptualise a posteriori une oppression que la terminologie nouvellement élaborée n'est pas opérante pour la décrire. C'est comme si on s'interdisait de qualifier de sexistes des pratiques de l'Ancien Régime en arguant du fait qu'à l'époque, ni la notion de sexisme ni le terme n'existaient.

À l'instar du sexisme, la blanchité, saisie comme telle, est un concept récent pouvant décrire des réalités anciennes allant de l'esclavage des Africain·es à la Shoah. Placer cette tragédie dans un courant de pensée ne remet aucunement en cause le caractère spécifique et unique du génocide des Juifs d'Europe.

Ceci étant dit, je peux parfaitement comprendre que l'on soit en désaccord avec mon propos, et d'ailleurs j'ai toujours accepté le débat contradictoire que je pratique de manière régulière.

Toutefois, cela doit se dérouler avec honnêteté sur la base de propos qui ont été effectivement tenus. C'est la raison pour laquelle je tenais à développer ce que j'avais évoqué à travers quelques tweets.

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