Monde

Le Sharpiegate, le jeu des sept erreurs à la Maison-Blanche

Trump ne se trompe jamais (vos paupières sont lourdes).

Le président Donald Trump en pleine dénégation, joint le geste à la parole, à la Maison-Blanche (Washington), le 4 septembre 2019. | Jim Watson / AFP
Le président Donald Trump en pleine dénégation, joint le geste à la parole, à la Maison-Blanche (Washington), le 4 septembre 2019. | Jim Watson / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Il y eut le Watergate, qui a coûté sa présidence à Richard Nixon parce qu'il aimait trop les micros. Il y eut le Monicagate, qui a failli coûter sa présidence à Bill Clinton, parce qu'il aimait trop les cigares. Aujourd'hui voici le Sharpiegate, qui ne coûtera pas grand-chose de plus à Donald Trump que ce qu'il a déjà perdu, c'est-à-dire la crédibilité qui lui restait, parce qu'il aime trop les stabylos.

La semaine du 2 septembre, une épouvantable tempête, baptisée Dorian, a frappé les Bahamas et une partie du sud-est des États-Unis (principalement la Floride). Cet ouragan annoncé a fait un nombre significatif de victimes et a causé des dégâts considérables, notamment à la réputation du président des États-Unis.

Confondre Bahamas et Alabama 

Plusieurs jours avant l'arrivée de Dorian, certains modèles prévisionnels ont averti qu'il frapperait l'archipel des Bahamas et la Floride, et qu'il y avait une probabilité pour que des vents violents (mais pas un ouragan) effleurent l'extrémité sud-est de l'Alabama. Le président américain a-t-il mal compris cette information lorsqu'il a twitté, le 1er septembre:

«Outre la Floride -la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, la Géorgie et l'Alabama seront probablement frappés (beaucoup) plus durement que prévu. On dirait l'un des plus grands ouragans de tous les temps. Déjà de catégorie 5. FAITES ATTENTION! QUE DIEU BÉNISSE TOUT LE MONDE!»

Il est possible, en toute bonne foi, que Trump ait cru que Dorian allait frapper cet État, et non qu'il ait, tout simplement, confondu les mots «Bahamas» et «Alabama». Après tout, ce n'est pas parce que ses notions de géographie peuvent paraître rudimentaires («la Belgique est une très belle ville»), qu'il a le pouvoir d'inventer des noms de pays (et vive la Nambie), ou qu'il confond des pays aussi insignifiants que la Syrie et l'Irak à l'heure de les bombarder, qu'il faut le soupçonner sans preuve de commettre ce genre d'erreurs.

Seulement voilà, dès le 1er septembre, les services météorologiques de l'Alabama ont démenti fermement cette information, que le président avait déjà relayée:

«L'Alabama ne souffrira d'aucun impact de Dorian. Nous répétons: pas le moindre impact de l'ouragan Dorian en Alabama. Le système [cyclonique] restera bien trop loin à l'est.»

Les internautes n'ont pas tardé à réagir:

«Alabama? Avez-vous déjà regardé une carte des États-Unis?»

Se couvrir de démentis

Le cirque a commencé. Malgré les démentis des services météorologiques et le passage de Dorian loin de l'Alabama, Trump s'est accroché à sa théorie et n'a eu de cesse de dénoncer la cabale des fake news montée contre lui. Il avait raison depuis le début, affirmait-il, l'Alabama devait être frappé.

Refusant d'admettre qu'il ait pu se tromper, il a cédé à la tentation récurrente de remodeler le passé et de présenter l'une des réalités alternatives dont il a le secret. Le 4 septembre, la Maison-Blanche a publié une vidéo officielle où l'on voit le président à son bureau, tenant une carte géante sur laquelle est indiqué le trajet prévisionnel de l'ouragan. Cette carte datait du 29 août (la veille de son premier tweet). Il s'en sert pour prouver que, au départ, les prévisions officielles indiquaient que l'Alabama serait touché.

 

 

Pendant qu'il montre la carte, il précise, trois fois: «La carte originale», «c'était la carte originale», «c'était ce qui était prévu, au départ». C'est net, on voit bien la trajectoire de Dorian. L'ouragan doit toucher les Bahamas, la Floride et, à l'intérieur du trait noir, tout à gauche, le sud de la Géorgie et de l'Alabama.

Or, Dennis Mersereau, journaliste scientifique et collaborateur de Forbes, n'a pas tardé à lever un loup: la carte que montre Trump n'est pas exactement «l'originale». Quelqu'un a rajouté au marqueur noir («sharpie») le demi-cercle qui englobe l'Alabama.

Avant: 

Après:Donald Trump et le secrétaire à la Sécrurité intérieure Kevin McAleenan essaient de convaincre que l'itinéraire de Dorian aurait dû passer par l'Alabama. Le 4 septembre 2019 depuis la Maison-Blanche. | Jim Watson / AFP

Le lendemain, le compte du président américain crie aux fake news:

«L'Alabama devait être frappé, ou effleuré, et puis l'ouragan Dorian a emprunté une autre trajectoire (en remontant le long de la côte Est). Les fake news le savent très bien. C'est pour ça que ce sont les fake news!»

Hilarité en twittosphère

Cette grossière falsification d'une carte météo, baptisée Sharpiegate, a naturellement inspiré les internautes:

«La Maison-Blanche publie une nouvelle photo du mur de Trump à la frontière.»

(Référence au jour où Trump a déclaré que ses mains étaient «normales. Un peu grandes, même»)

«La Maison-Blanche vient de publier des preuves que les avions existaient pendant la guerre d'Indépendance (Trump a déclaré lors du dernier discours de la fête nationale qu'au XVIIIe siècle, les révolutionnaires s'étaient emparés des aéroports des Anglais).»

Enfin, dans cette petite guerre de communication entre Trump et son peuple d'internautes, le président a semblé décider que, comme souvent sur internet, il suffisait de poster une image de chat pour que l'on ne s'occupe plus des choses qui fâchent, puisqu'il a tweeté le 8 septembre une animation dont l'interprétation reste ouverte:

 

 

Siège donc, à la Maison-Blanche, un président incapable d'admettre qu'il puisse faire une erreur, même de bonne foi, prêt à montrer au monde une grossière falsification de la réalité qui ne trompe personne, mais, surtout, toute une équipe qui se consacre à le conseiller en le laissant agir de la sorte sans le prévenir (ou sans parvenir à le convaincre) que sa crédibilité risque de ne pas se relever d'un acte digne d'un bambin de maternelle qui met ses mains sur son pantalon pour ne pas que l'on voie qu'il a fait pipi dans sa culotte.

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