Culture

«La Frontière verte», une série sans pathos sur l'Amazonie

Avec son rythme lent et hypnotique, ce thriller écologique colombien diffusé sur Netflix semble tourné sous l'emprise de l'ayahuasca, sans que cela desserve son propos.

La fiction commence comme un thriller et s'en éloigne pour s'occuper du sort des populations autochtones, à commencer par celui de l'héroïne, incarnée par Juana Del Río. | Iceers <a href="https://pixabay.com/fr/photos/jungle-selva-amazone-arbre-702425/">via Pixabay</a>
La fiction commence comme un thriller et s'en éloigne pour s'occuper du sort des populations autochtones, à commencer par celui de l'héroïne, incarnée par Juana Del Río. | Iceers via Pixabay

Temps de lecture: 3 minutes

Les feux en Amazonie, et l'outrage mondial qu'ils ont provoqué, sont au centre de la nouvelle série colombienne de Netflix, un thriller écologique qui se passe au plus profond de la jungle située à la frontière avec le Brésil. Les séries colombiennes à succès traitent souvent de l'histoire récente des narcotrafiquants, mais celle-ci est un OVNI mystique qui s'échappe progressivement de sa trame initiale. Une jeune détective arrive de Bogota pour enquêter sur quatre féminicides et affronte le machisme de la police locale avec un mépris impassible.

Ce personnage central, joué par Juana Del Río, intrigue d'entrée de jeu. Sa beauté particulière, quasi Inca, taciturne et très masculine, a un côté transgenre (cette image lui a valu de jouer un transexuel dans La ley del corazón) qui accentue le secret entourant l'enfance de l'héroïne qu'elle incarne. Cette jeune femme est née dans le coin isolé de Puerto Manigua et semble attirée par cette région tout en redoutant les dangers qui l'entourent. Pourtant, elle n'a peur de rien.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Très vite, l'action s'éloigne du meurtre inexpliqué des quatre femmes issues d'une confrérie religieuse qui apporte son soutien aux tribus entourant la ville. Le vrai sujet de la série, ce sont les membres de la tribu amérindienne Nai, qui parlent dans leur langue –un gage d'authenticité en soi. La Frontière verte serait comme un Guyane qui ne s'intéresserait pas à la population blanche, mais aux tribus que l'on oublie toujours et qui sont les vraies propriétaires de l'Amazonie.

 

 

Comme sur le reste du continent sud-américain, l'essentiel du meurtre est le fait des bûcherons, des braconniers, des arpailleurs, des narcotrafiquants, des soldats et des touristes. On ne les voit pratiquement jamais. La catastrophe écologique est illustrée par le bruit des tronçonneuses et le fracas que font les arbres en tombant. La série nous épargne le pathos qui entoure souvent la destruction du soi-disant «poumon vert» de la planète. On est loin des images traumatisantes de la vidéo de Michael Jackson, «Earth Song» qui datent déjà de... 1995.

L'âme de la forêt

Ce que l'on sait, c'est que cette avidité humaine détruit l'âme de l'Amazonie, qui protège la conscience de l'humanité. La Frontière verte parle du sacré de la végétation, reprenant les idées du livre à succès de Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres, où tout est connecté, des racines jusqu'au bout des branches.

«Quelque chose d'ignoble se passe dans la jungle, quelque chose de pire que tout ce que nous avons déjà affronté», prédit Yua, le principal personnage de la tribu Arupani, un ancien esclave devenu immortel qui tente de rassembler les tribus locales pour se battre contre les envahisseurs.

Le monde feint de découvrir cette tragédie au sommet du G7 alors que le chef Raoni alerte depuis des années.

Ici encore, la série parle de ce qu'il se passe en ce moment avec la révolte des populations face à leur disparition programmée, mais aussi celle des animaux. Les feux immenses de la forêt ne détruisent pas seulement la végétation. Ils rasent aussi toute forme de vie sur les grandes étendues.

Le monde fait semblant de découvrir cette tragédie au sommet du G7 de Biarritz, pourtant cela fait des années que le chef Raoni traverse le monde pour défendre leur culture.

La beauté de la série est illustrée par l'autre personnage féminin, Ushë, une femme indigène jouée par Angela Cano avec ses magnifiques tatouages (de grandes lignes noires verticales qui couvrent tout son corps) et son maquillage tribal rouge. Entre les deux femmes s'établit une passation de pouvoirs magiques.

Éloge de la lenteur

La Frontière verte rappelle un autre succès de Netflix, The OA et ses séquences paranormales dans une dimension interstellaire, formée de constellations et d'atomes. Tout est lent dans cette série, ce qui ne veut pas dire que tout soit endormi. Les personnages parlent et bougent posément, au rythme d'une jungle mère dangereuse, filmée comme le ferait Terrence Malik, avec ses mouvements de caméra qui surplombent les brumes échappées de la canopée, les vols mystérieux de milliers de chauves-souris au crépuscule, une musique abstraite, parfaite, mise au service d'une photographie qui ne cherche pas à enjoliver l'Amazonie, mais qui la rend plus palpable.

L'épisode 5 commence par un flash-back nazi qui fait basculer la série dans une toute autre dimension. L'apparition d'un obélisque portant une croix gammée, perdu dans la forêt, est un moment glaçant.

Faut-il se battre contre les multinationales et les «démons blancs» avec des flèches et des sarbacanes?

Comme dans les films de Spielberg de l'époque des Aventuriers de l'Arche perdue, les Allemands arrivés en Amérique du Sud cherchent à posséder le superpouvoir que les cultures anciennes protègent génération après génération.

La première saison ne se termine pas sur une note positive, le cliffhanger est brutal dans les dernières secondes. Netflix poursuit son message dystopique (à l'image de Black Mirror), exactement comme le fait HBO avec Years and Years. Leur propos peut se résumer par cette série de questions: Qu'avez-vous fait pour stopper cette machine infernale? Les glaciers du Groenland qui fondent, la Sibérie qui brûle, comme l'Afrique australe, l'Amazonie, tout cela pendant la même année? Faut-il se battre contre les multinationales et les «démons blancs» avec des flèches et des sarbacanes comme dans La Frontière verte? Ou faut-il entamer une guérilla urbaine comme le montrent les groupes d'Extinction Rebellion?

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