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Trump fait-il exprès de commettre autant de fautes d'orthographe?

Le twittos-en-chef des États-Unis écrit comme un pied, ce qui agace passablement les spécialistes de la langue anglaise.

Donald Trump n'écrit que sur Twitter, hormis quand il doit apposer sa signature sur un document officiel. | Brendan Smialowski / AFP
Donald Trump n'écrit que sur Twitter, hormis quand il doit apposer sa signature sur un document officiel. | Brendan Smialowski / AFP

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Et voilà une nouvelle catégorie de la population américaine qui s'arrache les cheveux à cause de Donald Trump. Liste non exhaustive à ce jour: les Noirs, les femmes (notamment celles qu'il a agressées), les Démocrates, les Portoricains, les Latinos, Barbra Streisand, la famille du héros américain John McCain, etc.

Cette fois, dans le New York Times, ce sont les linguistes, grammairiens et lexicographes qui prennent la plume et la trempent dans l'encre amère de leur indignation la plus vive pour fustiger celui que je n'en peux plus de nommer.

Le «Their is» de trop

On savait que Donald Trump était inculte –quelques exemples récents: il a félicité la Pologne pour le 80e anniversaire de... l'invasion par l'Allemagne nazie; il a décrété à l'occasion du passage de la tempête Dorian dans les Bahamas (qu'il a confondues avec l'Alabama) qu'il n'avait jamais entendu parler d'un ouragan de force 5 depuis le début de sa présidence, or on en est au quatrième; il a raconté que pendant la guerre d'indépendance américaine (1775-1783), les révolutionnaires s'étaient emparés des aéroports des Anglais.

On se doutait qu'il n'était pas particulièrement philanthrope, vu le sort qu'il réserve aux candidats à la migration et aux sans-papiers de son pays. On le connaissait goujat avec les femmes et enclin à se prendre pour Dieu ou pour son envoyé sur Terre («Je suis l'Élu!»). On savait qu'il n'aimait pas du tout, mais alors pas du tout, les journalistes, et tout cela a fait couler beaucoup, beaucoup d'encre, virtuelle ou non, teintée de larmes de désespoir, d'incrédulité ou de colère.

Mais voilà que de surcroît, Trump fait des fautes. Comme chacun sait, l'unique moyen d'expression écrite du président américain est Twitter (et les paraphes que sa fonction l'oblige, à intervalle régulier, à exhiber le plus sérieusement du monde lorsqu'il signe des documents officiels).

 

Certains voient dans la signature du président américain le tracé d'un sismographe lors d'un tremblement de terre catastrophique, ce qui n'est vraiment pas très gentil. | Brendan Smialowski / AFP

De fait, c'est vrai. Eh oui, les Français ne sont pas les seuls à être à cheval sur leur langue, loin de là. L'anglais, qui est une langue plus simple d'un point de vue grammatical et orthographique (ce jugement n'engage que moi, je l'assume, envoyez vos tomates pourries à la rédaction de Slate qui fera suivre), n'en comporte pas moins tout un tas de petits pièges retors et de chausse-trapes dans lesquels tombent les anglophones moyens plus souvent qu'à leur tour. Trump ne fait pas exception.

Bryan A. Garner, auteur du Garner's Modern English Usage, raconte au New York Times que fin mai, il a senti sa tension augmenter dangereusement au fil des tweets présidentiels. La goutte d'eau qui fit déborder son vase fut le catastrophique «Their is nothing bipartisan about him», accusation de partialité visant un sénateur démocrate.

Il aurait bien entendu fallu écrire «There is» et non pas «Their is», faute qui en français équivaudrait grosso modo à écrire «Il c'est mis le doigt dans l'œil», par exemple. Garner s'est empressé de corriger la faute et de suggérer l'embauche d'un relecteur. Il attend toujours une réaction présidentielle.

Délibérément inconséquent

Si cela avait été une erreur ponctuelle, peut-être le grammairien n'aurait-il pas perdu son sang-froid. Mais force est d'admettre que Donald Trump commet de plus en plus de fautes à mesure que ses orages de tweets s'intensifient. D'aucuns se demandent pourquoi il ne les corrige pas, d'autant qu'il semble défier tous les codes typographiques existant avec sa ponctuation fantaisiste et son usage intempestif des lettres majuscules.

«Si l'orthographe et l'usage correct de la langue vous importent un tant soit peu, alors ce président a de quoi vous rendre fou, quelles que soient vos opinions politiques», déplore Bryan A. Garner. Mais comme le souligne le New York Times, cette tendance à défier les règles et à se contrefoutre des normes est l'un des éléments qui le rendent séduisant auprès d'une certaine frange de la population américaine, pour qui il s'agit d'une manière de prouver qu'il est un rebelle dans le monde policé des élites de Washington. De là à penser que c'est une stratégie?

 


Le 3 septembre, sur Twitter, le président américain a astucieusement renommé le maire de Londres Sadiq Khan «Khan le Sadique».

Si Trump n'est pas le premier président à dire parfois n'importe quoi, à inventer des mots («covfefe»?) et à faire des erreurs (rappelez-vous George W. Bush et son très joli «Rarely is the question asked: Is our children learning?» [«on se demande rarement: est-ce que nos enfants apprend des choses?»]), il est le premier à l'ériger en système.

Jonathon Owen, linguiste et écrivain, est surtout agacé du côté «délibéré» de ce manque de sérieux. C'est au point que deux sources ont confié au Boston Globe que lorsque des conseillers de la Maison-Blanche composaient des messages à la place du président, ils rajoutaient des erreurs et rendaient la syntaxe hachée pour la rendre plus vraisemblable.

Certes, on pourrait avoir envie de dire que celui qui n'a jamais oublié un accent sur un «a» en français ou un «s» à la troisième personne en anglais lui jette le premier dictionnaire. Mais il est aussi vrai que la fonction présidentielle comporte une part d'apparat et d'exemplarité et que dans ce domaine, Trump a une bonne grosse marge de progression.

Des symptômes ô combien familiers

Pour ma part, j'ai déjà évoqué une théorie susceptible d'éclairer à la fois l'indigence orthographique de Trump et ses hésitations ou bêtises qu'il profère lorsqu'il doit suivre un discours sur un prompteur, ses balbutiements, ses tendances à prendre un mot pour un autre («Il faut chercher les oranges de l'enquête Mueller») et son refus de lire un document devant témoins.

Tous ces symptômes me sont très familiers, puisqu'ils sont tous soit des manifestations, soit des stratégies de défense typiques du trouble cognitif que l'on appelle dyslexie. Ce n'est bien sûr qu'une hypothèse que seuls des neuropsychiatres et des orthophonistes peuvent valider, mais c'est une piste, inspirée par mon expérience personnelle et vérifiée par tout ce que j'ai pu voir, lire et entendre de Trump.

Ce n'est probablement pas son plus gros problème, bien que cela soit un handicap dont les mécanismes de compensation peuvent expliquer certains aspects excessifs de sa personnalité, comme la mégalomanie, qui viserait à compenser un complexe d'infériorité ressenti face à des difficultés qui, lorsqu'il était petit, n'étaient probablement pas considérées comme telles mais comme de la paresse intellectuelle (rangez les tomates, je ne viens pas de dire que tous les dyslexiques étaient mégalos, mais que cela pouvait être un mécanisme compensatoire parmi d'autres).

L'habit ne fait pas le moine,
et la mauvaise orthographe
ne fait pas le crétin.

Je ne peux que compatir avec mes homologues linguistes américains exaspérés par le cancre-en-chef. C'est à la fois leur métier et leur passion; or, si l'exemple ne vient pas d'en haut, le niveau général ne risque pas d'augmenter, c'est certain.

En tant que traductrice, je me suis longuement demandé –au prix de pas mal de migraines– si les fautes, approximations et autres bourdes de Trump devaient être traduites telles quelles ou rectifiées et adaptées au statut présidentiel du locuteur.

Au bout du compte, ces indignations, aussi légitimes et indispensables soient-elles, ne doivent pourtant pas prendre trop de place dans le débat politique autour du 45e président des États-Unis. Car l'habit ne fait pas le moine, et la mauvaise orthographe ne fait pas le crétin: si Donald Trump a l'air –encore plus?– idiot quand il fait toutes ces fautes, il a certainement la jugeote de se rendre compte que le temps passé à se moquer de lui ne sert pas à remettre en question qui il est, ce qu'il fait, ni à évaluer la masse impressionnante de ses partisans qui se soucient de son orthographe comme de leur premier pistolet.

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