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Faisons un rêve, comme disait le cher Sacha Guitry. Rêvons que vous qui me lisez avez assez de désir, de temps et de moyens pour aller cette semaine quatre fois au cinéma. Puisque la première fois, et toutes affaires cessantes, devrait être dévolue à Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin.
Mais voilà que, inattendus, sans carte de visite prestigieuse ni capital médiatique repérable, débarquent pas moins de trois films qui n'ont que deux choses en commun: ils sortent ce même mercredi 21 août, et ils sont surprenants et réjouissants, quoique de manière dans chaque cas très singulière.
Haut perchés
Géométrique, moderne, chic et dépouillé, le lieu est une grande salle à manger-cuisine, dotée d'une baie vitrée avec balcon d'où la vue domine Paris. Cinq personnages y pénètrent successivement, une jeune femme et quatre jeunes hommes. Le dernier est l'occupant habituel de l'appartement, que les quatre autres ne connaissent pas.
Ces cinq-là sont réunis par un projet qui tient du jeu et de l'expérimentation, voire de la cure: ils ont en commun d'avoir été les victimes, chacune et chacun à sa façon, d'un homme qui se trouve enfermé dans la pièce voisine. Quatre d'entre eux y entreront à tour de rôle.
Olivier Ducastel et Jacques Martineau ont conçu un dispositif qui revendique son artificialité et sa théâtralité. Ils y ont convié cinq interprètes peu connus au cinéma (et tous excellents).
Dans la pièce d'à côté se tient un être que le verbiage contemporain définit comme un pervers narcissique. La notion est suffisamment vague pour servir de surface de projection imaginaire à ce qui va se jouer entre les cinq protagonistes.
Il y a mille raisons de se méfier d'un tel agencement. Et une seule, mais décisive, de balayer cette défiance: le plaisir évident, ludique, émouvant, attentionné, à accompagner ces quatre figures différentes (sans aucune prétention à la taxinomie et encore moins à l'exhaustivité) de jeunes hommes gays d'aujourd'hui, et cette femme pleine de vitalité, de bon sens cash et de parts d'ombre.
Nathan (Simon Frenay), Louis (François Nambot), Marius (Geoffrey Couët) et Veronika (Manika Auxire) regardent vers la pièce où est entré Lawrence (Lawrence Valin) à la rencontre de leur tourmenteur commun. | Epicentre Films
On ne sait dire comment les auteurs et les acteurs réussissent cette transsubstantiation, de l'installation au cinéma. Malgré les aspects douloureux et intimes qui transparaissent dans les récits ou les manières d'esquiver et de jouer avec les signes, malgré le huis clos et l'hypothèse, ni avérée ni levée, que des actes de vengeance sont accomplis hors-champ, dans la pièce à côté, Haut perchés conquiert scène après scène ce qui le sauve: une forme de légèreté, une tendresse pour des personnages loin de n'être que sympathiques, une reconnaissance du jeu, avec toutes les dimensions du mot, qui définit à la fois la situation narrative et sa mise en film.
Le travail sur les lumières délibérément non naturalistes, sur le hors-champ, sur la chorégraphie des corps, ne cesse ainsi de déplacer et d'aérer le rigoureux tissage de dialogues qui est la trame principale, et hautement revendiquée, du film.
Les cinéastes du si vif Jeanne et le garçon formidable, de la belle expérimentation de Ma vraie vie à Rouen et du délicat L'Arbre et la forêt explorent donc avec leur huitième film une autre manière de jouer avec les codes du cinéma.
On peut sans doute y voir un effet de leur adaptation pour le petit écran de Juste la fin du monde, la pièce de Jean-Luc Lagarce. Mais ce passage par une œuvre écrite pour la scène leur a à l'évidence donné une clé pour faire de Haut perchés un film à part entière.
Haut perchés
d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau, avec Manika Auxire, Geoffrey Couët, Simon Frenay, François Nambot, Lawrence Valin
Séances
Durée: 1h30
Sortie: 21 août 2019
Reza
Reza (Alireza Motamedi) qui, à défaut de s'aimer lui-même, aime la lecture, la lumière, sa femme qui l'a quitté et cette Violette qu'il a rencontrée. | Norte Distribution
Un film iranien qui commence par un divorce et enchaîne sur les relations entre l'homme et la femme qui viennent de se séparer… Quiconque a un peu suivi les productions de cette origine depuis une décennie croira savoir à quoi s'attendre: une chronique des mœurs contemporaines de la République islamique agrémentée de quelques rebondissements, dans le sillage des réalisations d'Asghar Farhadi devenu, depuis le triomphe du très surévalué Une séparation, sorte de moule pour le cinéma iranien –ayant surtout quelques visées à l'export.
Les plaisirs subtils que réserve ce premier film de l'écrivain Alireza Motamedi tiennent en partie dans la manière dont il déjoue cette attente.
Interprétant lui-même le rôle du personnage titre, Motamedi entraîne dans une succession de situations toujours surprenantes marquées par un sens de l'humour, une mélancolie sans affectation et une belle capacité impressionnante à camper des personnages, même présents seulement quelques instants à l'image.
Divorcé malgré lui, Reza rencontre une autre jeune femme, se débrouille avec son ex qui tient toujours à lui, fabrique des apparences plus ou moins crédibles, plus ou moins heureuses pour protéger ses états d'âme auprès de ses amis et de ses collègues.
Il est poète, goal de handball, ami des chats, séducteur sans machisme, il sera mort et puis finalement non, amoureux mais pas sûr, cavalier par hasard, attentif aux textes profanes et sacrés, incertain des habits qu'il faut porter. Un être humain très fréquentable.
Un bout de chemin avec une amazone salvatrice. | Norte Distribution
Ni suspense ni machinerie dramaturgique dans cette succession de moments qui ont chacun leur couleur, leur ambiance. Mais une qualité du regard sur les femmes et les hommes, une sensibilité aux émotions et, véritable cadeau au regard des poncifs de la romcom contemporaine, une totale absence d'hystérisation des relations.
Ce parcours de quelques semaines dans la vie d'un écrivain un peu paumé devient un voyage attachant, grâce aussi à la gestuelle subtilement burlesque de l'acteur, et à un sens de l'image, inattendu lui aussi, associant un réalisme aérien à des visions plus oniriques. Elles font écho au conte fantastique qu'invente Reza en même temps qu'il parcourt le chemin sinueux de sa solitude sentimentale.
Optimiste par volonté, attentif aux détails et aux rythmes, ce film d'amour du quotidien malgré ses troubles et ses pièges a les vertus d'une mélodie inattendue et délicate, qui gagne peu à peu l'attention, et ne se laissera pas oublier.
Reza
d'Alireza Motamedi, avec Alireza Motamedi, Sahar Dolatshahi, Solmaz Ghani
Durée: 1h34
Sortie le 21 août 2019
Le Déserteur
Ce sont, d'abord, des images. Ce groupe d'hommes en chapeau melon et petite moustache, un numéro à la main. Cette ville hostile et déserte. Ces immenses plaines arides bordées de montagnes imposantes. Il y a une force visuelle qui accompagne dès le début l'histoire de ce type qui erre dans une Amérique intemporelle, mélange d'imageries empruntées ici et là, jadis et naguère.
Il est un vagabond qui se déguise en Charlot pour gagner une maigre croûte, il est un déserteur d'une guerre non précisée, il est québécois en vadrouille aux États-Unis. Il se prénomme Philippe.
Peu à peu se mettent en place les éléments d'un récit qui ne deviendra jamais logique, encore moins réaliste. Empruntant aux mythes bibliques comme à la mémoire du western ou des films de la Grande Dépression, le nouveau film du Montréalais Maxime Giroux déploie une série de paraboles autour de cette figure, plus archétype que personnage, que campe avec une présence taciturne et émouvante l'acteur Martin Dubreuil.
À droite, Philippe le déserteur (Martin Dubreuil), obstinément non combatif mais moins vunérable qu'il n'y paraît. | Ligne 7
Il fera des rencontres fantastiquement sombres, dont l'irruption mi-horrifique mi-grotesque brocarde la violence égoïste fondatrice des États-Unis. Le message n'est pas en lui-même original ni très convaincant, mais il offre notamment à Reda Kateb, Romain Duris et plus encore l'étonnant Cody Fern des apparitions mémorables.
À l'instar de son personnage, qui avance toujours malgré de multiples et improbables épreuves, confronté à une femme chien, plongé jusqu'aux épaules dans un bac de ciment frais, tourbillonant au milieu de nulle part comme une poupée affolée, se couchant en plein désert pour se réveiller sous 20 centimètres de neige, le film progresse avec une sorte d'obstination poétique et ironique.
Il y a quelque chose de naïf dans la manière dont Maxime Giroux brasse les Évangiles avec Hollywood, les prédications contre la cupidité et la guerre avec la beauté sans limite des paysages, mixant citations, joies et peurs enfantines et numéros de bateleurs. Et, dans ce cas, cette naïveté et cet allant deviennent le meilleur atout de cet attachant Déserteur.
Le Déserteur
de Maxime Giroux, avec Martin Dubreuil, Reda Kateb, Soko, Romain Duris, Cody Fern
Durée: 1h34
Sortie le 21 août 2019