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Kamala Harris, seule candidate démocrate à pouvoir battre Trump?

La sénatrice de Californie, encore une outsider il y a quelques semaines, joue des coudes avec le favori de la primaire démocrate, l'ancien vice-président Joe Biden.

Kamala Harris en visite dans une ferme lors de sa campagne dans l'Iowa, le 11 août 2019. | Justin Sullivan / Getty Images North America / AFP
Kamala Harris en visite dans une ferme lors de sa campagne dans l'Iowa, le 11 août 2019. | Justin Sullivan / Getty Images North America / AFP

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Los Angeles, États-Unis

«Go easy on me, kid» [N'y va pas trop fort, gamine], glisse l'ancien vice-président Joe Biden en saluant son adversaire du soir, la sénatrice de Californie Kamala Harris. La seconde soirée de débats pour l'investiture démocrate commence à peine à Détroit (Michigan). La formule est maladroite mais illustre une chose: il la considère désormais comme une adversaire redoutable. «Le vrai duel est entre Harris et Biden», avance Alex Mohajer, 34 ans, cofondateur du lobby progressiste Bros4America, venu suivre le débat dans un bar de Los Angeles avec d'autres sympathisant·es.

Lors des premiers débats fin juin, Kamala Harris avait confronté le vice-président de Barack Obama à des déclarations lointaines, remontant aux années 1970. À cette époque, il s'était opposé à une politique favorisant la mixité sociale entre les enfants blancs et noirs. La joute verbale avait permis à la sénatrice de réduire l'écart avec Joe Biden, qui caracolait déjà en tête des intentions de vote avant même l'annonce de sa candidature officielle.

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Kamala Harris, âgée de 54 ans, est aujourd'hui une candidate sérieuse dans la course à l'investiture démocrate, qui doit désigner l'adversaire de Donald Trump en 2020. Elle est la fille de deux immigrants, un père jamaïcain professeur d'économie et une mère indienne chercheuse spécialiste du cancer du sein. Celle qui aspire à être la première présidente des États-Unis est diplômée de droit. Elle est élue procureure du district de San Francisco en 2004 avant d'être procureure générale de Californie six ans plus tard, devenant la première femme de couleur à occuper ce poste. En novembre 2016, soutenue par Barack Obama et Joe Biden, elle remporte un siège au Sénat.

Une fois à Washington, Harris n'a pas tardé à faire parler d'elle, dénonçant avec véhémence le projet de Trump de construire un mur à la frontière sud des États-Unis. Elle s'oppose aussi aux candidats proposés par le président pour former son administration. Une de ses saillies les plus célèbres fut lorsqu'elle a questionné le candidat de Trump à la Cour suprême, le juge Brett Kavanaugh, pendant son audition de confirmation au Sénat:

 

Progressiste sur les thèmes de société

Sa pugnacité et son sens de la répartie ont fait d'elles une des opposantes au président américain les plus entendues. Le 21 janvier dernier, date symbolique puisqu'il s'agit d'un jour férié commémorant la mémoire de Martin Luther King Jr., Kamala Harris a annoncé sa candidature pour l'investiture démocrate. Côté programme, la Californienne est à la fois progressiste et modérée.

Elle est favorable à un «Green New Deal», à l'assurance maladie pour tous («Medicare for All») et à la légalisation du cannabis –elle a d'ailleurs reconnu dans une interview avoir déjà fumé un joint «il y a longtemps». La sénatrice se veut plus ferme sur le contrôle des armes à feu: elle réclame des vérifications plus poussées du casier judiciaire avant d'obtenir un permis de port d'arme et veut stopper les importations de fusil d'assaut AR-15, un des plus vendus aux États-Unis.

Pour réduire les inégalités de revenus, Kamala Harris propose également d'investir 100 milliards de dollars dans l'accès à la propriété pour les Afro-Américains. Ces derniers constituent un électorat clé pour les candidat·es à l'investiture, notamment Biden et Harris. «Il y a des faits qui montrent que la part des électeurs la plus importante au sein du Parti démocrate est celle des femmes afro-américaines. Quiconque obtiendra la nomination devra faire avec ces femmes-là et nous devons nous assurer que nous sommes engagés en faveur des Afro-Américaines», souligne Laphonza Butler, conseillère de campagne de Kamala Harris.

L'effet Kamala s'essouffle un peu

Sa cote chez les électeurs démocrates noirs reste pourtant très basse, puisque 7% d'entre eux ont l'intention de voter pour elle, selon un sondage publié par l'Université de Quinnipiac fin juillet. Ils sont en revanche 53% à soutenir une candidature de Joe Biden. Au niveau national, Kamala Harris avait le vent en poupe début juillet dans la foulée du premier débat, talonnant de près l'ancien vice-président dans les enquêtes d'opinion.

Mais l'élan s'est vite essoufflé et le deuxième round n'a pas autant profité à la candidate. Dans un sondage publié début août par Morning Consult, près d'un tiers de l'électorat démocrate fait confiance à Biden. Kamala Harris n'arrive que quatrième avec 10% des intentions de vote, derrière le duo progressiste formé par les sénateurs Bernie Sanders (18%) et Elizabeth Warren (15%).

L'équipe de campagne de Harris, bien implantée à travers le pays, avait organisé des centaines de Watch Parties dans tous les États. À Los Angeles, dans le quartier de West Hollywood, sympathisant·es et militant·es de la candidate s'étaient réuni·es dans un bar avec leurs t-shirts «Kamala For The People». Certain·es ont pris des selfies avec elle –en version imprimable à taille réelle. Toute l'assemblée hurlait à chacune de ses punchlines pendant le débat, elle qui excelle dans l'exercice.

Pour la maire par intérim de West Hollywood, venue assister à la soirée de débats, la sénatrice a réalisé une grande performance. «Elle a clairement été une cible lors de ce deuxième débat, ce qui montre à quel point elle avait réussi le premier. Elle a mérité sa place dans le haut du panier parmi les candidats», estime Lindsey Horvath.

Critiquée sur son passé

La soirée de débats a été marquée par nombre d'échanges houleux, dont les cibles étaient les deux têtes d'affiche. Le match retour Biden-Harris a bien eu lieu, mais la sénatrice a essuyé les critiques de ses adversaires sur son passé à la tête du ministère de la Justice de Californie, son talon d'Achille pour nombre de spécialistes.

«Elle a bloqué des preuves qui auraient empêché un homme innocent d'être condamné à la peine capitale. Elle a gardé des gens en prison après la fin de leur peine comme main-d'œuvre bon marché pour l'État de Californie», lui a assené l'élue d'Hawaï, Tulsi Gabbard. Harris lui a rétorqué qu'elle était «fière» de son bilan. Si la candidate entend faire la course en tête en tant que progressiste, elle va devoir s'habituer aux critiques sur son passé de procureure «sévère sur la criminalité».

Certains électeurs démocrates, comme Chase Strangio, un avocat originaire de New York, ne sont pas prêts à lui faire confiance. «Ce n'est pas une progressiste. C'est une modérée avec un attrait pour un système judiciaire criminalisant.» Sensible aux sujets liés à la communauté LGBT+, il estime qu'elle se contente du minimum. «S'opposer à l'interdiction des personnes transgenres dans l'armée américaine, soutenir la loi sur l'égalité, s'opposer à la loi HB2 en Caroline du Nord [voté en mars 2016, qui interdit l'usage par les personnes trans des toilettes destinées au genre auquel elle s'identifient, ndla], c'est le strict minimum.»

Des analystes pointent également du doigt sa faiblesse sur certains sujets, à l'instar de la couverture maladie pour tous. «Lors des débats [de juin], elle a dit à plusieurs reprises qu'elle souhaitait mettre fin à l'assurance privée avant de dire plus tard en interview qu'elle n'avait pas compris la question», explique Henry Olsen, politologue à l'Ethics and Public Policy Center.

«Elle ne pourra pas l'emporter de cette façon. Elle doit connaître ses sujets pour donner des réponses sans revenir sur ses propos plus tard.» Avant le second round des débats fin juillet, Kamala Harris a publié son plan «Medicare For All», dans lequel les assureurs privés conserveraient un rôle. Une incohérence que n'a pas manqué de soulever Joe Biden: «En étant très franc, vous ne pouvez pas battre le président Trump avec un double discours sur ce sujet.»

«La seule à pouvoir battre Trump»

Alors comment s'y prendre pour l'emporter face au locataire de la Maison-Blanche, candidat à sa réélection? Ce dernier entend bien imposer ses thèmes de campagne dans le débat et ne cache pas son intention d'isoler les démocrates sur leur aile progressiste. «La sénatrice Harris devrait développer un personnage qui est suffisamment progressiste, sans trop l'être. Au lieu de défier Elizabeth Warren ou Bernie Sanders sur tous les sujets, elle devrait choisir un ou deux sujets à la gauche», analyse l'expert en politique américaine Henry Olsen.

L'entourage d'Harris reste persuadé qu'elle peut éjecter Trump du Bureau ovale. «Elle est la seule candidate à pouvoir franchir les barrières entre les progressistes et les libéraux et rassembler non seulement au sein du Parti démocrate, mais aussi l'Amérique toute entière. [...] Je suis convaincue qu'elle est la meilleure pour rassembler le parti et le pays», s'enthousiasme Laphonza Butler.

Convaincre l'aile gauche du parti ne sera pas une tâche aisée pour la candidate. Ses détracteurs lui reprochent d'être devenue progressiste sur le tard, ainsi que sa proximité avec les riches donateurs. En Californie par exemple, la sénatrice est la démocrate ayant reçu le plus de contributions de 200 dollars ou plus, selon le Los Angeles Times. Ces critiques rappellent celles qui visaient Hillary Clinton, candidate malheureuse à l'élection présidentielle de 2016, qui avait pourtant remporté le vote populaire.

L'échec d'Hillary Clinton a pourtant entrouvert la possibilité de voir un jour le pays dirigé par une femme, alors que le mandat de Trump a été marqué par ses déclarations sexistes, racistes et des accusations d'agressions sexuelles à son encontre. Kamala Harris, une fille d'immigrés issue des minorités, n'a pas peur de lui faire face et estime qu'avec son expérience, elle est prête à le «poursuivre en justice».

Pour clore son dernier débat, la sénatrice a d'ailleurs dénoncé le «prédateur vivant à la Maison-Blanche»: «Ce que vous devez savoir à propos des prédateurs, c'est qu'ils s'attaquent aux plus vulnérables. Ils s'attaquent à ceux qu'ils ne croient pas forts. Et la chose la plus importante que vous devez savoir, c'est que les prédateurs sont des lâches.»

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