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Nous détruisons la planète, ne nous étonnons pas si les animaux nous mangent

En dégradant la nature, nous nous exposons à en devenir les victimes.

Le python réticulé est l'un des plus grands serpents du monde. | David Clode <a href="https://unsplash.com/photos/yrcaXCWe0VY">via Unsplash</a>
Le python réticulé est l'un des plus grands serpents du monde. | David Clode via Unsplash

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Le dimanche 26 mars 2017, Akbar Salubiro, Indonésien habitant dans la province du Sulawesi occidental, sur l'île de Célèbes, est parti travailler. Cet agriculteur de 25 ans vivait dans le lointain village de Salubiro (certain·es Indonésien·nes n'ont qu'un prénom et se servent du nom de leur ville ou de leur village comme nom de famille) dans la province du Sulawesi occidental, sur l'île de Célèbes.

Comme beaucoup de villageois·es, il travaillait dans une plantation de palmiers à huile et ce matin-là, il était seul. Sa femme était partie dans un autre village rendre visite à ses parents.

On ne sait pas exactement à quel moment l'absence de Salubiro a été considérée comme inquiétante. Selon plusieurs témoignages, les recherches ont commencé dès le lundi soir. Au bout de deux jours sans le moindre indice, les gens du village ont averti l'oncle de Salubiro de sa disparition.

Inquiet, l'homme s'est rendu chez lui et a trouvé porte close et maison vide. Il a ensuite prévenu la police locale qui a mis en place une équipe de recherche dans la plantation de palmiers à huile et aux environs. Ses membres n'ont retrouvé qu'une botte, un outil agricole et de l'huile de palme répandue par terre.

Non loin de la botte et de l'outil de Salubiro, les villageois ont découvert dans un fossé un python réticulé de 7 mètres de long, tout gonflé, qui se mouvait avec difficulté. Un villageois a signalé une protubérance en forme de chaussure dans le corps distendu du serpent. Les hommes, priant pour faire fausse route, ont occis l'animal. On était déjà mardi, tard dans la soirée.

Une épouvantable vidéo a été mise en ligne par la police locale où, pendant six glaçantes minutes, un homme armé d'un couteau à la lame de 45 centimètres éventre le serpent devant des témoins. La vidéo, sombre et floue, éclairée par des lampes torches à la lumière vacillante et des portables, montre des hommes piétiner, mal à l'aise, autour du python mort. Le long corps gonflé du serpent a beau être sans vie, il n'en est pas moins impressionnant et troublant.

D'abord, on distingue quelque chose qui pourrait être une chaussure. Très vite, le doute n'est plus permis. Ce sont des pieds. Le ventre du serpent est ouvert, de plus en plus haut. Minute après minute, deux jambes humaines sans vie, totalement habillées, apparaissent. Puis un torse, vêtu d'une chemise. 

La mort de Salubiro est l'un des divers témoignages d'ingestion d'un être humain adulte par un python réticulé, mais il convient peut-être mieux d'y penser comme à l'une des premières morts de ce type à être rapportée—il s'en est passé, des choses, avant que ce genre de tragédies puissent être filmées par des téléphones portables, qui sait combien de morts causées par des serpents se sont produites au fil du temps dans des villages indonésiens isolés ou ailleurs.

Des sandales et une machette

L'année suivante, le soir du 14 juin 2018, une femme de 54 ans appelée Wa Tiba est allée jeter un œil à son champ de maïs à environ 800 mètres de chez elle, dans la province de Sulawesi du Sud-Est, sur l'île de Muna. Selon Faris, le chef du village, Tiba est partie lampe torche en main, préoccupée par la présence de sangliers qui avaient fait des dégâts dans son champ.

Le lendemain, ses enfants se sont rendu compte qu'elle n'était pas revenue. Après avoir passé la matinée à la chercher, ils ont retrouvé ses empreintes, ses sandales, une machette et une lampe près de buissons ébouriffés. Puis, à 50 mètres de là, ils ont découvert un énorme serpent tout gonflé.

Les enfants ont appelé la police et des centaines de villageois et de villageoises ont commencé à affluer. Le serpent a alors été tué et rapporté au village. Une fois l'animal éventré, Tiba a été retrouvée, tout habillée, avalée la tête la première. Comme Salubiro, Tiba avait été tuée par un python réticulé de 7 mètres de long.

On peut aussi voir sur plusieurs sites internet l'épouvantable vidéo des villageois retirant le corps de Tiba, couvert de glaires mais intact, du ventre du serpent. Les témoins, autour, pleurent, incrédules et horrifiés, pendant que le corps de l'animal est ouvert en deux.

Le processus de constriction

Les serpents, reptiles carnivores appartenant au sous-ordre des Serpentes, sont des vertébrés amniotes d'aspect notoirement effrayant. Avec leur long corps ondulant couvert d'écailles et leur mâchoire mobile, rien de surprenant que plusieurs religions les aient choisis pour symboliser le mal.

Beaucoup de gens craignent d'être mordu par un serpent venimeux, surtout pendant les saisons chaudes, mais à l'image du python réticulé, la majorité des espèces ne sont pas venimeuses. Au lieu d'utiliser le venin pour tuer leurs proies, la plupart les avalent vivantes (en entier) ou les tuent d'abord par constriction, avant de les gober intégralement.

Les pythons réticulés ont plutôt tendance à tuer leurs proies en les mordant avec leurs crochets acérés. Ensuite ils arrêtent, ou plutôt compriment, le flux sanguin de la proie en s'enroulant autour de son corps. Une fois qu'elle est morte, les muscles de la mâchoire du serpent s'étirent et ses articulations se détendent pour s'ajuster à la bien plus grande corpulence de la proie, qui est lentement avalée, en entier, à mesure que les sucs digestifs font glisser la victime morte dans la gorge puis le ventre.

Les pythons réticulés, les plus longs serpents du monde, ne sont pas aussi épais ou massifs que les anacondas ou les boas constrictors, ils se déplacent donc rapidement (quand ils ne sont pas en pleine digestion). Ils se faufilent jusqu'à leur proie qu'ils attaquent par surprise et sont souvent capables de frapper avec assez de violence pour la blesser suffisamment et commencer rapidement le processus de constriction et de digestion.

Finir dans un estomac

Comme la plupart du territoire indonésien, Célèbes est une île comprenant des kilomètres de zones humides et de montagnes émaillées de villes et de villages dont les habitant·es côtoient la faune qui vit dans la forêt. La plupart des histoires d'animaux sauvages attaquant des êtres humains ont un point commun: elles les imputent à la déforestation et au changement climatique.

La déforestation continue tout autour de la planète, partout, mais très spécifiquement en Indonésie, et détruit les environnements dans lesquels vivent les grands prédateurs, ce qui se répercute de façon problématique dans toute la chaîne alimentaire.

L'élimination des écosystèmes, des espèces et des forêts provoque des modifications dans le comportement des animaux. Après tout, la survie est l'instinct qui prime sur tous les autres. Les deux pythons de 7 mètres de long, aujourd'hui morts, ont sans doute glissé hors de la forêt qui leur servait d'habitat parce qu'ils ne trouvaient rien d'autre à manger.

Les serpents n'ont pas besoin de s'alimenter souvent. Les plus grands peuvent jeûner pendant des mois et se contentent généralement de petits rongeurs, de chiens, de cochons ou de vaches. Peut-être ces pythons étaient-ils désespérés et n'avaient-ils pas d'autre solution que de quitter leur terrain de chasse habituel pour viser un genre de proie bipède plus haute et plus risquée. On ne le saura jamais.

En 2015, quand plusieurs attaques de requins ont été signalées le long des côtes de la Caroline du Nord, aux États-Unis, la youtubeuse Veronica-Pooh Nash Poleate a mis en ligne une vidéo très drôle dans laquelle elle prévient les spectateurs et spectatrices de ne pas faire n'importe quoi avec les requins.

 

 

L'océan, nous rappelle-t-elle, c'est «la maison du requin», et si vous vous y aventurez, vous devez savoir que vous pourriez finir dans un estomac, exactement comme un poulet qui s'aventurerait dans sa maison à elle finirait «dans l'assiette».

Nous avons tendance à considérer que la terre, c'est notre maison. Mais c'est la maison de tous les êtres vivants. Nous sommes responsables de la destruction d'un nombre incalculable de créatures (y compris d'autres êtres humains, d'ailleurs). C'est nous qui détruisons leur habitat et qui mettons en danger d'extinction un si grand nombre d'espèces. Et pourtant, nous n'avons pas l'habitude d'être ceux qui finissent «dans l'assiette».

La mort est suffisamment horrifiante comme ça. Mais être dévoré par une autre créature vivante? Nous avons beau tuer et manger des animaux, quand le processus s'inverse, le malaise s'installe. Le stress de survie, sous cette forme spécifique, nous est étranger, et d'autant plus à celles et ceux qui vivent dans de grandes villes industrialisées.

Nous partageons la Terre avec d'autres êtres vivants qui tuent et mangent d'autres animaux.

Ce qui n'empêche pas des «animaux tueurs» de faire les gros titres plusieurs fois par an, comme lorsqu'un bambin a été entraîné dans la lagune par un alligator dans un parc Disney à l'été 2016. Sans oublier Grizzly Man, de Werner Herzog, un documentaire sur Timothy Treadwell, écologiste américain ami des ours, qui a fini dévoré par l'un d'entre eux.

Ces histoires sont extrêmement rares (ce qui explique pourquoi elles font les gros titres), mais elles n'en sont pas moins dérangeantes.

La mort de Salubiro et de Tiba nous rappelle que nous partageons la Terre avec d'autres êtres vivants qui tuent et mangent d'autres animaux, comme le font la plupart d'entre nous. C'est un lugubre rappel que nous sommes faits de chair et d'os et que notre place tout en haut de la chaîne alimentaire n'est pas inébranlable.

La part animale et instinctive en nous est une bien plus grande variable dans nos existences que nous ne sommes prêts à l'admettre ou à l'accepter. Ce n'est pas la première fois que notre espèce sert de repas (hop, «dans l'assiette!»), et à mesure que nous continuons de dégrader la planète autour de nous, nous devrions nous rendre compte qu'un retour à des circonstances plus primitives devraient s'ensuivre en toute logique.

Nous ferions mieux d'essayer d'arrêter cette dégradation aussi vite que possible –pas seulement pour le bien de la planète et de ses créatures, mais aussi pour le nôtre.

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