Société / Culture

Comment le monstera deliciosa a envahi nos intérieurs

Cette plante tropicale est devenue un phénomène de mode générationnel.

Elle n'a que des qualités: pas chère, grosse, increvable et demande peu d'entretien. | Thomas Verbruggen via <a href="https://unsplash.com/photos/OIVuAKXW9VA">Unsplash</a>
Elle n'a que des qualités: pas chère, grosse, increvable et demande peu d'entretien. | Thomas Verbruggen via Unsplash

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Monstera deliciosa. Son nom ne vous dit probablement rien. Son look, c'est certain, vous parle. De larges feuilles dentées garnissent même sûrement déjà votre salon, vos murs ou vos lobes d'oreilles. Le monstera deliciosa est une plante tropicale originaire d'Amérique centrale. Et elle fait fureur. 

Les plantlovers, comme ils se surnomment sur Instagram, en raffolent. Le hashtag #monsteramonday célébrant la plante tous les lundis depuis 2016, réunit à lui seul 200.000 posts. Tous mots-clés confondus, plus d'1,5 millions de publications mentionnent le monstera. On y voit des gens, souvent jeunes, séduisant·es et branché·es, poser près de leurs feuilles vertes. Les intérieurs sont soignés, les photos lumineuses et parfaitement cadrées. Le monstera, c'est l'accessoire indispensable du moment. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Les commerçants ont bien compris l'ampleur du phénomène. Chez Jardiland, numéro deux des jardineries en France, Stéphane Frisson, directeur de marché, se félicite d'une progression à deux chiffres des ventes de monstera en 2018. Derrière les indémodables Areca et Dracaena (plantes proches du palmier), le monstera pointe en troisième position des plantes d'intérieur les plus vendues. 

Même constat chez le très en vogue Plantes Pour Tous. Environ 200 monstera s'écoulent à chaque vente éphémère. «Elle fait partie de la dizaine d'espèces que nous proposons toute l'année, explique Léo, co-fondateur de l'entreprise. C'est une des rares plantes que tous les client·es connaissent.» Et il y a du monde chez Plantes pour Tous. La structure créée en 2017 connaît une croissance exponentielle. Les ventes éphémères de plantes, organisées uniquement à Paris il y a deux ans, couvrent désormais quinze villes de France. Avec à chaque fois, des heures de file d'attente de trentenaires bobos. 

Les fleurs, «plantes à mamie»

Le concept surfe sur la tendance urban jungle: ces jeunes citadin·es souhaitant végétaliser leur intérieur. Il s'agit de mettre du vert chez soi, si possible en grande dimension, tant qu'à faire en version facile à faire pousser et pourquoi pas photogénique. Bref, on approche de la définition exacte du monstera deliciosa. «C'est une plante pas chère, grosse, increvable et qui demande peu d'entretien, résume Manuel Rucar, tendanceur spécialisé dans le végétal. C'est le sujet parfait.» 

En matière horticole comme ailleurs, les modes rythment les achats. Actuellement, les ventes de végétaux fleuris chutent. «Ils sont jugés un peu kitsch, quasiment “plantes à mamie” par les nouveaux consommateurs», juge le fondateur du cabinet de tendances Chlorosphere. Les ventes dynamiques, elles, promeuvent le feuillage décoratif. C'est à dire ce qu'on pouvait trouver dans les années 1980 chez… nos mamies. Oubliez son côté vieillot, la mode est cyclique et ça marche aussi chez les plantes: «La société oublie et quand une tendance disparaît, c'est un terrain favorable pour qu'elle revienne», ponctue Manuel Rucar.   

Depuis 2015, la tendance est donc au look naturel, tropical, «quasi animal», analyse Stéphane Frisson. «Il y a une vraie recherche d'authenticité, poursuit cette tête pensante de Jardiland. On fuit le superficiel pour aller presque vers ce qu'on pourrait retrouver à l'état spontané. Le végétal est vu comme une oeuvre d'art.» Dans cette quête, les larges feuilles ajourées du monstera lui confèrent un aspect graphique brut, durable et ultra visuel. Les millenials ne parlent presque plus de plante mais d'objet décoratif symbolique.

«Les acheteurs ont des images très précises de ce qu'ils cherchent, raconte Léo de Plantes Pour Tous. Ils veulent du graphique, réclament des nervures apparentes, du feuillage troué qu'ils ont vu sur Internet. Beaucoup viennent même nous voir avec des photos sur le téléphone.»

Du tapis de bain au tatouage

Du simple végétal, le monstera, symbole de cette nouvelle passion pour les plantes, est alors devenu motif, investissant plus encore l'univers de la déco. Comme le flamant rose ou la licorne, plus soudainement et massivement que l'ananas ou le cactus, il s'est mis à orner nos tapis, rideaux de douche, bouées de plage, gâteaux de mariage, vernis à ongles et jusqu'aux tatouages, sans que personne ne se rende compte de son omniprésence. 
 

Exemples d'utilisations du motif Monstera par des marques ou artistes. | Montage Christine Laemmel 

On trouve des centaines de références de papiers peints ou posters au motif monstera. Idem pour les boucles d'oreilles ou les tee-shirts. Le géant suédois H&M a particulièrement mis le paquet en développant toute une gamme autour de la plante: dessous de plat, bougie parfumée (le monstera ne sent rien), coque de téléphone, boucles d'oreilles, etc. La galaxie DIY s'en est emparée également en proposant des dizaines de tutoriels pour peindre, coller, graver des monstera partout chez soi.

Comme c'est une plante qui a explosé dans les milieux avant-gardistes connectés, les accessoires hipsters ne manquent pas non plus: broderie, pin's et autres kits de couture pullulent. Le monstera inspire aussi les designers autant si ce n'est plus que le cactus. Quand l'artiste Alexis Tricoire crée une «ode à la forêt amazonienne» à l'espace Beaugrenelle, il choisit d'installer 1 km de feuilles de monstera dans son oeuvre «Monstera Dubia». D'ailleurs, l'entreprise Plantes Pour Tous n'a pas hésité longtemps quand il a fallu choisir son logo puisqu'il s'agit d'une feuille de... monstera. 

 

Publicité de Chaumière oiseau. | Chamière oiseau

Rien d'étonnant pour Aurélie Ronfaut, fondatrice du bureau de style et de design Thiluu. «Quand on la dessine, elle est très facile à repérer, estime la styliste. La feuille n'est pas lisse, pas ronde, il y a un jeu graphique intéressant.» Ajouté à son mojo sur les réseaux sociaux, c'est le succès assuré pour les marques, qu'importe si toutes ont la même idée. «Il y a un côté rassurant à se dire qu'on le voit partout, ajoute-t-elle. La marque sait qu'elle ne fera pas d'erreur: les clients seront au rendez-vous, ils vont l'aimer tout de suite. Ça devient intéressant si on se distingue avec la couleur, le cadrage. D'un côté on innove et de l'autre on rassure. Cet équilibre peut être une stratégie.»

À peine populaire, déjà mainstream

Mais tactique originale ou pas, le monstera deliciosa devient mainstream. Si son ascension a commencé en 2015, le phénomène se matérialise depuis 2017 avec l'avènement de l'urban jungle. En 2019, le monstera est en pleine phase de massification. «Aujourd'hui, Airbnb commence à être utilisé par nos parents, compare Manuel Rucar, alors les moins de 35 ans s'en désintéressent. Le monstera c'est pareil, quand tu peux en trouver dans la chaîne de jardinerie du coin, c'est trop facile, tu passes à autre chose.»

Le designer le voit déjà, comme Léo de Plantes Pour Tous. Les amateurs et amatrices de verdure vont désormais un cran plus loin que la plante classique. Ils s'orientent vers une recherche de feuillage panaché, noir, avec des taches blanches, zébrures, marbrures ou des mutations génétiques naturelles. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Les fournisseurs et fournisseuses essaient de suivre, autant que possible quand on produit du vivant. «Des plantes noires on peut en avoir, illustre Manuel Rucar, mais entre l'engouement du public et le moment où on en aura produit suffisamment, il peut se passer quatre ans.» La popularité des plantes, parfois fugace, est piégeuse. L'orchidée était très demandée dans les années 2010. Beaucoup en ont massivement planté et inondé le marché. Résultat, son prix a été divisé par trois. 

Quant au monstera, les grossistes hollandais et belges tiennent la corde face aux français plus modestes. Ces derniers pourraient peut-être se tourner vers les tendances émergentes du marché végétal français. Manuel Rucar mise sur le ginkgo biloba. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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La ville de Londres a récemment massivement planté cet arbre originaire de Chine. On peut parier sur un effet sur les collectivités françaises et rapidement, un intérêt du grand public. Sur Instagram, le hashtag #gingko, entre aquarelles et bijoux, compte déjà 71.000 publications. 

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