Médias / Culture

La nouvelle version de «Strip Tease» peut aller se rhabiller

La diffusion des premiers épisodes a eu lieu sur RMC Story le samedi 27 juillet après que l'équipe à l'origine de la première série documentaire a essayé de l'empêcher.

Dans cette nouvelle version, les personnages semblent produits par le langage télévisuel primitif faisant ses choux gras du sensationnel. Vide et aliénant. | Capture d'écran via YouTube du générique de la nouvelle émission 
Dans cette nouvelle version, les personnages semblent produits par le langage télévisuel primitif faisant ses choux gras du sensationnel. Vide et aliénant. | Capture d'écran via YouTube du générique de la nouvelle émission 

Temps de lecture: 4 minutes

Que ce soit au cinéma ou à la télévision, la mode est au remake. Mais la plupart des reproductions actuelles ont moins la nostalgie que l'absence d'imagination pour moteur et tournent bien souvent au massacre.

La méfiance fut de mise à l'annonce d'un retour de «Strip Tease» sur RMC Story, série de documentaires belgo-français devenus cultes par leur capacité à disparaître devant leurs sujets et leurs personnages crédibles parce qu'aussi farfelus que terriblement banals.

Méfiance redoublée lorsque l'on apprit que la production avait changé et que les personnes à l'origine du programme, après avoir vu les premiers nouveaux épisodes, avaient dénoncé publiquement le détournement de la marque «Strip Tease» au profit d'un programme qui n'aurait rien à voir avec le concept qui a fait le succès de leurs films.

Chacun a pu le constater le samedi 27 juillet: les «Strip Tease» nouvelle version sont très éloignés de l'esprit qui faisait de chaque épisode du «Strip Tease» première mouture des parenthèses télévisuelles qui confinaient souvent à l'absurde. Pire, ces nouveaux épisodes fonctionnent sur un modèle auquel la série semble s'être toujours opposée.

Logique de flux contre singularité

Dès les premières minutes de la version RMC une première différence se fait sentir. De taille: le protagoniste, un dératiseur, ne cesse de parler. L'homme semble certes naturellement bavard, mais aucun silence ne viendra l'interrompre.

Là où les «Strip Tease» originaux composaient un tableau général permettant d'accéder à une vie plus qu'à une seule personne, on a ici l'impression d'être devant une publicité vivante et brouillonne. L'homme vante ses services, ses produits et sa décoration. Va déjeuner. Revient à sa boutique. Fin de l'épisode.

Pas un seul moment de silence n'interrompt celui dont le petit magasin est pourtant vide la plupart du temps. On sait, à l'en croire et à en croire les personnages secondaires, qu'il excelle dans son activité.

Rien ne permet en revanche de se faire une idée de son quotidien réel. Aucune image ne donne l'occasion de s'imprégner de l'atmosphère qui doit régner dans sa boutique la plupart du temps. En somme, ce «Strip Tease» n'est pas un documentaire: c'est un reportage.

Une différence de nature que François Niney (réalisateur de documentaire, auteur de Le Documentaire et ses faux-semblants et accessoirement père de l'acteur Pierre Niney) définit ainsi: «Le reportage obéit à une logique de flux du petit écran, alors que le documentaire se veut une œuvre singulière [...]. Le véritable auteur du reportage passe pour être la chaîne qui l'emploie

Coller n'est pas monter

L'absence de commentaires, une caractéristique censée être la signature historique de la série, a bien du mal à cacher le formatage dont souffrent les «Strip Tease» nouvelle formule.

C'est particulièrement flagrant au niveau du montage. Rares sont les plans qui durent plus de trois secondes à l'écran –ils existent, dans l'épisode sur la caissière du Super U de l'avenue de Clichy, par exemple, mais ne sont pas légion. Le mixage du son a beau prendre son temps par instants, hors de question de laisser l'image stagner.

Rares sont les plans qui durent plus de trois secondes à l'écran.

Un faux rythme qui donne l'impression de regarder une imitation filmée par un adepte d'Abdellatif Kechiche et qui nous fait penser à cette phrase de Tarkovski citée par François Niney: «Le rythme d'un film ne réside pas dans la succession métrique de petits morceaux collés bout à bout mais dans la pression du temps qui s'écoule à l'intérieur même des plans.»

Pression du temps qui transpirait parfaitement dans les «Strip Tease» première génération et qui a totalement disparu de ces «petits morceaux collés bout à bout» au fondement de ces remakes.

Zoo

L'ambiance reste peu ou prou toujours la même, peu importent les sujets. Les épisodes répondent à l'impératif d'aller toujous aussi vite, de ne pas perdre le public, ou plutôt la cible, celle de RMC, apparemment moins patiente que celle de la RTBF ou de France 3. Une cible qui, selon l'auteur (la chaîne), n'est pas destinée à recevoir une claque sociologique ou goûter à la vie des autres. Les personnes qui composent l'audience sont ici au zoo, ou dans un épisode de «Tellement vrai» qui ne s'assume pas. Le choix de suivre Joachim Son-Forget, s'il correspond à une signature de la version originale où l'on voyait parfois des profils politiques hauts en couleur, ressemble par exemple à une tentative de sélectionner un sujet qui fera parler de lui plus que de révéler une personnalité dans toute sa complexité.

Cette orientation du casting est tout aussi évidente dans le cas du dératiseur en pleine représentation théâtrale ou du taxidermiste qui le suit. C'est tout aussi vrai, quoi qu'exprimé différemment, dans le cas de l'éboueur parisien qui a réalisé un clip sur son travail.

Dans les documentaires originaux la forme servait le fond là où elle sert désormais à le combler.

Les dialogues échangés avec sa fille semblent avoir été écrits à l'avance –du moins provoqués tant ils sont attendus. Ce ne sont d'ailleurs pas des conversations. Ce sont des interrogatoires masqués dans lesquels l'éboueur semble jouer le rôle des journalistes interdit·es de parler. «Tu es fière de ton père?», «Tu veux faire comme ton père plus tard?», «Et tes copains, ils disent quoi de ton père?». Bref, une interview.

Les questions comme le montage prennent l'auditoire par la main pour lui montrer une étrangeté. Ça s'arrête là. C'est peut-être ça, la démarche la plus malhonnête: appeler ces reportages «Strip Tease» alors que dans les documentaires originaux la forme servait le fond là où elle sert désormais à le combler. On parle sans arrêt mais sans jamais rien dire.

Discours vidé de sa substance

La plupart du temps, on ressortait touché du visionnage d'un «Strip Tease». En colère (Tiens ta droite), mal à l'aise (La soucoupe et le perroquet), bouleversé (Docteur Lulu)... Parce que s'en dégageait une vision du monde plus qu'un personnage remarquable. Un discours.

 

 

Une différence fondamentale que John Cassavetes avait parfaitement pointé du doigt au sujet de Shadows, son premier film, objet hybride entre documentaire et fiction: «La grande différence entre ce film et les autres, c'est que Shadows émane des personnages alors que dans les autres films, ce sont les personnages qui émanent du scénario.»

Les «Strip Tease» originaux émanaient entièrement de leurs personnages, dépendaient d'eux, trouvaient l'unique en eux. Les faisaient vivre en somme. Dans ces nouveaux épisodes les personnages semblent subsidiaires et produits par une volonté préétablie. Celle du langage télévisuel primitif faisant ses choux gras du sensationnel. Vu et déjà vu.

Faire écran

Un indice particulièrement parlant illustre cet introuvable discours. L'omniprésence des vidéos sur téléphones portables que les protagonistes montrent à la caméra, autant de portions congrues où apparaissent par exemple les rats de l'homme chargé de les éradiquer. Autant d'aveux aussi que l'intérêt du reportage se situe ailleurs et a échappé à l'autre caméra, celle de la chaîne.

Peut-être qu'un prochain épisode mettra en scène une personne en train de regarder les vieux «Strip Tease». L'intérêt sera, à nouveau, sur l'écran filmé plutôt que dans le cadre entier. Un intérêt déjà disponible sur YouTube, et sans coupe.

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