Santé

Loi «PMA pour toutes», les mesures à l'origine de la colère du corps médical

Le volet «De la filiation par déclaration anticipée de volonté» est vivement remis en cause par les membres des centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos).

Le Conseil d’État s'est prononcé en faveur de la création <em>«d'un mode d'établissement de la filiation ad hoc pour les seuls couples de femmes».</em> l Lionel Bonaventure / AFP
Le Conseil d’État s'est prononcé en faveur de la création «d'un mode d'établissement de la filiation ad hoc pour les seuls couples de femmes». l Lionel Bonaventure / AFP

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Le projet de loi sur la bioéthique a été présenté mercredi 24 juillet en conseil des ministres. Le chapitre sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes sera, parmi d'autres volets, discuté.

Les médecins, pharmacien·es, psychologues et spécialistes des métiers de la santé des centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) –qui mettent en œuvre le don de gamètes et l'accueil d'embryons en France métropolitaine et départements d'Outre-Mer– ont souhaité exprimer leur «opposition à toute proposition de loi» qui les «rendrait complices d'une discrimination et d'une stigmatisation des enfants conçus par don au travers de l'inscription sur l'acte de naissance intégral du mode de conception». 

Considérant que ce projet de loi les rendrait «complices de discrimination» et de «stigmatisation» des enfants conçu·es à partir d'un don de cellules sexuelles, ces spécialistes annoncent avoir saisi le Conseil national de l'ordre des médecins. 

Emmanuel Macron, interrogé en septembre 2018 sur les difficultés politiques de la révision de la loi de bioéthique de juillet 2011, avait parié sur un «débat apaisé». Rien n'est si sûr... 

Les raisons de la colère

En marge des controverses sur la PMA pour toutes, plusieurs dispositions du projet de loi sur la bioéthique, qui sera débattu en septembre à l'Assemblée nationale, cristallisent aujourd'hui les oppositions des spécialistes de la PMA exerçant au sein des vingt-neuf Cecos –tous directement concernés par le sujet, puisqu'ils constituent un réseau national unique au monde dans ce domaine avec tiers donneur et préservation de la fertilité.

«Nous savons de longue date que cette révision de la loi aurait des conséquences sur nos pratiques et nous menons des réflexions quant aux différents scénarios qui peuvent être envisagés», explique la professeure Nathalie Rives, présidente de la Fédération française des Cecos. «Nous avions notamment fait part de nos réflexions dans le cadre des États généraux de la bioéthique. Mais à la lecture de l'avant-projet de loi nous découvrons une disposition qui nous apparaît totalement inacceptable.»

Leurs contestations ne portent pas sur l'accès de la pratique de l'insémination artificielle avec le sperme de donateur aux couples de femmes et aux femmes seules (et de ses possibles conséquences pratiques), ni sur la congélation et la conservation des ovocytes hors indication médicale ou de l'utilisation par le ou la conjoint·e vivant·e des cellules sexuelles conservées par l'un des membres du couple ou des embryons après le décès de l'un d'entre eux –autant de thèmes sur lesquels les responsables des Cecos ont formulé des observations et des propositions.

Ce qui pose problème, ce sont les articles du projet de loi réunis sous le titre «De la filiation par déclaration anticipée de volonté». Ces dispositions sont la conséquence directe de la PMA pour toutes sur le droit de la filiation et ce dans un contexte général de volonté de «transparence» et de refus de «discrimination» associés à un «droit à connaître ses origines».

Aujourd'hui, dans le cadre d'une PMA médicale pratiquée au sein couple hétérosexuel souffrant de stérilité, le Code civil fait comme s'il n'y avait pas eu de recours à cette technique.

Dans le cas d'un couple marié, la notion de présomption de paternité prévaut. Ainsi l'article 312 du code civil dispose: «L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari.» En dehors du mariage, l'homme doit reconnaître l'enfant pour être reconnu comme son père, qu'il y ait recours ou non à une PMA.

Pour les couples de femmes françaises, qui avaient jusqu'ici recours à une PMA à l'étranger, la situation était évidemment plus complexe: celle qui accouchait était légalement considérée comme la mère tandis que sa compagne devait, si elle le souhaitait, engager une procédure d'adoption.

Sur ce sujet, le texte adressé au Conseil d'État avance deux scénarios.

Le premier prévoit une mention à l'état civil de la manière dont la filiation de l'enfant a été établie pour tous les couples ayant recours à une procréation médicalement assistée avec tiers donneur. L'objectif est d'établir une «déclaration commune anticipée de filiation» devant un notaire. Le document serait ensuite transmis à l'officier d'état civil et mentionné sur la copie intégrale de l'acte de naissance; et ce qu'il s'agisse d'enfants né·es au sein de couples homosexuels ou hétérosexuels.

Le second scénario prévoit que ce dispositif ne concernerait que les couples de femmes, afin de laisser la possibilité ultérieure aux couples hétérosexuels de dévoiler (ou non) son mode de conception à l'enfant.

Une option discriminante? 

Le Conseil d'État s'était déjà penché sur les différentes options de filiation dans le cas d'un recours à la PMA. Le 28 juin 2018, son assemblée générale a validé une étude intitulée «Révision de la loi de bioéthique: quelles options pour demain?».

Dans celle-ci, au terme d'une longue analyse, le Conseil opte pour l'option de la création «d'un mode d'établissement de la filiation ad hoc pour les seuls couples de femmes»«Cette solution, qui fait coexister deux modes d'établissement de la filiation distincts, traduit deux philosophies différentes selon que le couple ayant recours au don est de même sexe ou non, la première reposant sur le rôle accru de la volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation charnelle.»

Considérant que cette alternative «préserve un traitement égal des couples hétérosexuels, qu'ils aient recours au don ou non», le Conseil d'État estime qu'elle «permet d'éviter d'opérer une distinction selon les causes médicales de leur infertilité».

L'institution avance également l'argument selon lequel, cette solution «ménage la possibilité de préserver le secret sur le mode de conception d'un enfant issu d'un don au sein d'un couple hétérosexuel, dès lors qu'il est vraisemblable, conformément au droit au respect de la vie privée des parents».

Autre argument jouant en faveur de cette option: «À l'égard des couples de femmes, cette option permet un établissement simple et simultané des deux filiations maternelles de l'enfant à la naissance de ce dernier qui apparaît sécurisé par l'exigence d'un projet parental antérieur à l'AMP revêtant la forme d'un acte authentique.»

C'est pour l'ensemble de ces raisons que le Conseil d'État privilégie cette solution, qui est vivement contestée par celles et ceux qui estiment que la traduction de deux philosophies différentes établit une discrimination entre deux types de famille.

Le droit de savoir

Les opposant·es estiment que faire le choix d'un régime spécifique aux couples lesbiens, c'est faire l'impasse sur la possibilité offerte d'une levée du secret pour les enfants né·es par PMA au sein des couples de sexe différent –qui auraient toujours (comme depuis près d'un demi-siècle et la création des premiers Cecos) la possibilité de ne pas informer leur enfant quant à son mode de conception.

Les praticien·es des Cecos expliquent travailler depuis de nombreuses années sur l'accompagnement des couples à informer l'enfant à propos de la façon dont il ou elle a été conçu·e, tout en respectant l'autonomie du couple à choisir le moment ou la manière pour le faire.

«Nous insistons sur la nécessité de ne pas maintenir le secret sur le mode de conception», soulignent les spécialistes. «Mais le juridique ne doit pas se substituer au rôle éducatif des parents quant à la notion de secret du mode de conception. Et en toute hypothèse, la quête de la transparence sur le mode de conception est illusoire quel que soit le mode de conception.»

Il faut aussi ajouter (si les dispositions sur la possibilité d'une levée de l'actuel secret sur l'identité du donneur de sperme étaient adoptées) qu'un bébé né·e d'une PMA au sein d'un couple de femmes pourrait, à sa majorité, avoir accès à ses origines, à la différence un enfant issu·e d'une PMA au sein d'un couple hétérosexuel.

«La quête de la transparence sur le mode de conception est illusoire, quelle que soit la pratique.»
Membres des Cecos

C'est dans ce contexte d'incertitude que les membres des Cecos expriment leur opposition radicale à toute évolution de la législation qui, affirment-ils, les «rendrait complices d'une discrimination et d'une stigmatisation des enfants conçus par don au travers de l'inscription sur l'acte de naissance intégral du mode de conception». C'est pourquoi, ces spécialistes de la question viennent de saisir le Conseil national de l'ordre des médecins.

Non à la «police de la filiation»

La présidente de la Fédération française des Cecos rage contre les articles du projet de loi qui prévoient que «la PMA avec tiers donneur soit accompagnée de l'établissement du consentement devant le notaire et d'une déclaration de volonté de filiation». Et pourquoi cela pose-t-il problème? Car dans le parcours de soin, ces documents «devront obligatoirement être remis aux praticiens mettant en œuvre le don et conditionneront l'acceptation et la réalisation de la PMA avec tiers donneur».

Un processus non toléré par les membres de la Fédération: «Nous ne pouvons pas accepter d'exercer ce rôle de police de la filiation. Nous nous opposons également à toute proposition qui inciterait à la dénonciation du couple ou de la femme célibataire à l'origine de la conception de cet enfant qui n'auraient pas effectué cette déclaration à l'officier d'état civil.»

Pour Nathalie Rives, il s'agit d'une opposition essentielle, fondamentale, de nature éthique et démocratique. «Comment peut-on imaginer faire figurer, sans grands dangers, un mode spécifique de conception d'une personne sur les registres d'état civil», demande-t-elle. «Si le recours à un donneur de sperme est implicite pour les couples de femmes, il en va différemment pour les PMA réalisées pour les couples hétérosexuels –des PMA qui sont pratiquées pour des raisons médicales ayant à voir avec la stérilité, l'hypofertilité ou la transmission d'une pathologie génétique.»

Par l'exercice de cette pratique, le couple «serait donc amené à transmettre indirectement à l'officier d'état civil des informations d'ordre médical le concernant. Et comment demander à des médecins et autres professionnels de santé de participer à cette opération?»

La présidente de la Fédération considère ainsi que les propositions envisagées dans la loi de bioéthique «portent atteinte aux grands principes fondateurs de notre République, et vont également à l'encontre du Code de déontologie médical, du serment d'Hippocrate et des principes d'exercice de la médecine que doivent respecter les médecins et tous les professionnels de santé en charge des soins». 

La prise de position des Cecos sur le sujet est claire. À l'unisson, l'équipe médicale pluridisciplinaire affirme refuser catégoriquement «d'être des acteurs de ce processus policier».

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