Life

Les rappels de voitures améliorent-ils vraiment la sécurité?

Les chauffards tuent beaucoup plus de monde que les Toyota défectueuses.

Temps de lecture: 6 minutes

Vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu parler des problèmes de fabrication des voitures modernes: les exemples d'accidents mortels provoqués par des voitures qui accélèrent de façon incontrôlée, qui ne s'arrêtent pas à un stop, qui changent de file, qui percutent un mur ou sont incapables de s'arrêter à temps à un passage piétons abondent depuis quelque temps dans les médias.

Les responsables de ces accidents ont beau être à chaque fois les conducteurs, la place accordée par les médias au dernier rappel de Toyota - et les sondages du type «Vous sentez-vous en sécurité au volant de votre Toyota?» - pourraient laisser croire que le danger principal viendrait désormais des voitures qui seraient trop informatisées, trop compliquées. Aux Etats-Unis, les accidents dus à des défaillances mécaniques sont en fait extrêmement rares - et infiniment moins nombreux que ceux dus au conducteur ou à l'état de la route (Les experts en la sécurité routière attribuent rarement il est vrai les accidents de la route à un seul facteur et privilégient plutôt une analyse matricielle qui prend en compte les différents facteurs. Il est rare que l'on puisse expliquer un accident par la présence de verglas sur la route, une vitesse excessive  ou une erreur de conduite, mais le plus souvent par une mélange des trois par exemple.)

Une étude de la GAO, la Cour des comptes américaine, qui portait sur 700 000 accidents a montré que 2% seulement étaient liés à des défaillances mécaniques. Celles-ci n'impliquent pas nécessairement la responsabilité du constructeur: des freins ou de pneus usés qui auraient dus être changés depuis longtemps peuvent également figurer dans cette catégorie. D'un autre côté, les rapports de police sur les accidents de la route sont notoirement biaisés. Un enquêteur que j'interrogeais dernièrement sur ces défaillances mécaniques m'expliquait qu'«un flic qui a un peu de métier sait que s'il coche cette case, il risque d'être accusé devant un tribunal de ne pas avoir les compétences nécessaires pour juger de l'état d'une pièce. Cocheriez vous cette case en sachant que l'avocat du constructeur va vous démolir si vous le faites?»

Comme le souligne Leonard Evans, ancien ingénieur de GM et expert en sécurité routière, les accidents mortels attribuables aux désormais fameuses défaillances mécaniques des voitures Toyota doivent être replacés dans leur contexte. Selon différentes sources, 19 accidents mortels au cours des dix dernières années seraient liés au problème de pédale d'accélération des Toyota. Pendant la même période, 21 110 personnes ont été tués à bord d'une Toyota - dont plus de 1 261 dans une Lexus (d'après les statistiques de la Sécurité routière américaine sur les accidents mortels survenus entre 1999 et 2008.) Pratiquement aucun de ces accidents ne serait dû à une défaillance technique, mécanique ou autre. Le conducteur serait responsable dans pratiquement la totalité des cas.

En d'autres termes, les accélérations volontaires sont responsables d'un nombre d'accidents infiniment plus élevé que les accélérations involontaires. Il est malheureusement beaucoup plus facile de réglementer et de rappeler les véhicules défectueux que de punir les chauffards. Il est pratiquement impossible par exemple aux Etats-Unis de retirer son permis à un chauffard, y compris aux pires récidivistes. Une étude effectuée dans l'Illinois a montré que 160 personnes conduisaient toujours dans cet Etat après avoir été condamnées cinq fois pour conduite en état d'ivresse. Vous noterez par ailleurs que la plupart des articles consacrés aux accidents de la route sont rédigés à la forme passive. Une question de sémantique qui peut paraître secondaire, certes, mais des études ont montré que la forme passive avait tendance à atténuer aux yeux des lecteurs la responsabilité des criminels.

Mon propos n'est pas d'exonérer Toyota ou d'autres constructeurs automobiles de leur responsabilité de fabriquer des voitures sures. Ils n'ont après tout que trop souvent tenté d'échapper à leurs responsabililités (comme dans le cas de la Ford Pinto ou des problèmes de l'Audi 5000), y compris lorsqu'il y avait un danger évident. D'une manière générale, ils ont trop longtemps soutenu qu'il était plus important de «régler le problème des chauffards au volant» que de réaliser des investissements coûteux dans la sécurité des véhicules, s'opposant pratiquement à tout progrès en la matière, du verre incassable aux colonnes de direction à absorption d'énergie en passant par l'utilisation de matériaux ininflammables à l'intérieur des véhicules et ne les adoptant le plus souvent qu'après avoir été condamnés à le faire. Comme le dit un ingénieur de Ford: «Ford est une entreprise dirigée par des commerciaux, pas par des ingénieurs. Leur priorité, c'est le design, pas la sécurité.»

Et si la sécurité des passagers s'est considérablement améliorée au cours des vingt à trente dernières années, la plupart des voitures qui circulent aujourd'hui sortent d'usine avec des défauts de fabrication en terme de sécurité: en premier lieu une vitesse bien supérieure à la vitesse maximum autorisée aux Etats-Unis et la plupart du temps (contrairement à l'Union européenne où toutes les voitures devront se conformer d'ici 2015 aux normes très strictes du Comité européen pour l'amélioration de la sécurité des véhicules destinées à réduire les risques pour les piétons) une carrosserie dangereuse pour les piétons.

Bien que les chauffards soient responsables d'un plus grand nombre d'accidents que les voitures défectueuses, ce rappel par Toyota de voitures défectueuses pose néanmoins un certain nombre de questions intéressantes. Pourquoi on parle-t-on tellement? Les rappels de voitures rendent-ils les voitures plus sûres? Ont-ils, d'une manière générale, des conséquences - positives ou négatives -  sur la sécurité routière?

Sa couverture par les médias s'explique facilement. Les rappels précédents ne concernaient la plupart du temps que des marques secondaires et des défaillances relativement mineures. Il s'agit cette fois-ci du premier constructeur automobile mondial, de son premier rappel quasiment, et d'un défaut potentiellement mortel.

Dans ce cas précis, l'intérêt des médias a probablement eu un rôle positif, de pression sur le constructeur et d'alerte des conducteurs. Curieusement, ce dernier point n'est pas si évident. Une étude de la Sécurité routière américaine a montré que le taux de réponse des rappels précédents varie de 34% à 60%. Un chercheur en communication, Dirk Gibson, a montré que le taux de réponse variait en fonction du défaut concerné: de 68% par exemple pour un défaut de fabrication du véhicule contre 51% pour une pièce secondaire, et 28% seulement pour des pneus.

Il n'est pas évident de déterminer l'influence des médias sur le taux de réponse. Nicholas Rupp, expert en rappels, s'est livré à une étude du Wall Street Journal sur une période de 20 ans qui montre que la plupart des rappels n'y étaient pas mentionnés (dans les années 1980 la Sécurité routière a cessé de publier systématiquement un communiqué de presse à chaque rappel). Une autre étude a montré que 72% des conducteurs répondaient aux rappels après en avoir été informé officiellement. L'étude de Nicholas Rupp montre toutefois que le taux de réparation est proportionnel à la place accordée aux rappels par le Wall Street Journal. C'est peut-être d'ailleurs tout simplement dû au fait que les défauts de fabrication les plus graves engendrent à la fois un plus grand nombre de rappels et un plus grand nombre d'articles.

Si l'impact des rappels sur le cours des actions des constructeurs et sur leur image de marque a fait l'objet de nombreuses études, leur impact sur la sécurité routière a en revanche fait l'objet de très peu d'études. Les économistes Hugo Benitez-Silva et Yong-Kyun Bae ont étudié les statistiques concernant les accidents et les rappels de 20 modèles de voitures différents et en ont conclu que «plus le nombre de réparations effectuées à la suite d'un rappel est élevé, plus le nombre d'accidents enregistré au cours des trois années suivant le rappel avec le modèle concerné est faible.» Mais comme le souligné Kevin M. McDonald, d'autres facteurs peuvent également jouer: les conducteurs sont probablement plus prudents et conduisent probablement moins vite après un rappel (leur voiture vieillissant ou leur confiance en elle diminuant.)

Il est encore plus difficile de savoir quel est l'impact de la couverture des rappels par les médias sur les personnes qui ne conduisent pas les modèles concernés. La première question qui se pose est celle de la confiance dans les voitures modernes. Si les rappels sont aujourd'hui plus nombreux qu'autrefois, la durée de vie des voitures a augmenté et le coût de leur entretien a diminué (en partie grâce, ironiquement, aux méthodes de production à flux tendus dont Toyota s'est fait le champion), ce qui fait que nous avons peut-être trop confiance en nos voitures.

Les progrès en matière de freinage et de conduite se sont traduits par une augmentation de la vitesse moyenne (hors embouteillages) et si les nouvelles technologies comme l'insonorisation des voitures réduisent le stress au volant, elles diminuent la vigilance des conducteurs et leur perception de se qui se passe autour d'eux (Les voitures insonorisées engendrent une vitesse plus grande.) Si la couverture par les médias du rappel de Toyota a été bénéfique, même involontairement, en rappelant aux conducteurs que même les voitures modernes les «plus sûres» pouvaient être responsables d'accidents mortels, les rappels risquent d'en ressortir en quelque sorte auréolés du point de vue de la sécurité.

Mais le risque le plus important serait que la controverse autour de Toyota et la publicité qui lui est faite fausse notre perception du vrai danger: le conducteur. Paul Slovic, psychologue des risques, considère que de nombreuses situations sont de nature à amplifier notre perception des risques et notamment les situations nouvelles, répétées, inattendues etc... L'accélération involontaire relève de ce type de situation. Mais ces perceptions du risque sont hors de proportion: même si un grand nombre de nouveaux cas d'accidents mortels se révélait être du à des accélérations involontaires, il n'en resterait pas moins sans commune mesure avec le nombre de personnes tuées chaque année sur des parkings ou des allées par des voitures qui font en marche arrière.

Si ont se fie aux rappels précédents, Toyota regagnera progressivement la confiance de ses clients. Le défaut de fabrication - et les contentieux qu'il va entraîner - devrait finalement être résolu et le modèle finalement être plus sûr. Mais le fait que la voiture soit plus sûre n'implique pas nécessairement un conducteur plus sûr.

Tom Vanderbilt

LIRE EGALEMENT SUR LA SECURITE AUTOMOBILE: Toyota à la place du mort et Sécurité routière: les limites du tout répressif.

Image de Une: Accident reuters

cover
-
/
cover

Liste de lecture