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La vraie recette de la pêche Melba

Inventée par le chef français Auguste Escoffier, la recette originelle de ce célèbre dessert est composée de pêches, de glace à la vanille et d'un coulis de framboises. Et certainement pas de chantilly.

Purée de fraises, gelée de groseilles et crème sucrée sont à bannir si l'on veut réussir une vraie pêche Melba. | Marcu Ioachim via <a href="http://www.flickr.com/photos/ioachimphotos/42953320104/">Flickr </a>
Purée de fraises, gelée de groseilles et crème sucrée sont à bannir si l'on veut réussir une vraie pêche Melba. | Marcu Ioachim via Flickr 

Temps de lecture: 7 minutes

Une diva australienne, un chef français et un compositeur allemand. Voici les personnes à l'origine de la genèse de cette fameuse pêche cuisinée. Rares sont les recettes à l'invention clairement certifiée, racontée et non contestée: c'est le cas de la pêche Melba, mise au point à la toute fin du XIXe siècle par Auguste Escoffier.

Le fameux «cuisinier des rois et roi des cuisiniers» raconte d'ailleurs lui-même l'histoire dans un texte, publié plus tard dans un recueil d'archives personnelles, Souvenirs inédits (Édition Jeanne Laffitte).

Une douce surprise 

Nellie Melba, de son vrai nom Helen Porter Mitchell, cantatrice talentueuse de l'époque, interprète le personnage d'Elsa dans Lohengrin, un opéra de Richard Wagner.


Une interprétation plus tardive de Lohengrin par Nellie Melba.

À cette époque, le chef français dirige quant à lui les cuisines de l'Hôtel Savoy de Londres. C'est, selon Maguelonne Toussaint-Samat, «le restaurant le plus luxueux du monde, lors de ces dernières années du siècle», écrit la femme de lettres dans La très belle et très exquise histoire des gâteaux et des friandises (Éditions Flammarion). 

Nellie Melba a justement choisi de loger au Savoy durant son séjour dans la capitale anglaise. À cette occasion, elle offre à Auguste Escoffier deux fauteuils d'orchestre pour assister à une représentation à Covent Garden.

Il raconte la suite des évènements: «Pour lui témoigner mon admiration et la remercier de cette soirée passée sous l'envoûtement de sa voix prodigieuse, servie par un réel talent d'actrice, je voulus lui réserver une surprise. Le lendemain de cette représentation, Mme Melba donnait à dîner à quelques personnes de ses amis. C'était là le prétexte à saisir. Me souvenant du majestueux cygne mythique qui apparaît dans le premier acte de Lohengrin, je lui fis présenter, le moment venu, des pêches sur un lit de glace à la vanille, dans une terrine d'argent incrustée, entre les ailes d'un superbe cygne taillé dans un bloc de glace, puis recouvert d'un voile de sucre filé.»

L'historienne Maguelonne Toussaint-Sammat écrit malicieusement que cette charmante surprise est sans doute par la même occasion «un événement susceptible d'être rapporté dans les gazettes».

Cette première version –que l'on imagine assez impressionnante– ne présentait alors pas de framboises? C'est, semble-t-il, un oubli de cette histoire. Dans une autre note fournie par le Musée Escoffier de l'Art culinaire, installé à Villeneuve-Loubet (ville natale du chef), l'auteur parle bien d'une «purée de framboises fraîches», dès cette création originelle.

Voilà donc à quoi devait ressembler la création du chef, un soir de 1894.

Reproduction de la pêche Melba, telle qu'elle aurait été servie à Nelly Melba. | Via Musée Escoffier

Dans les règles de l'art

En 1899, lors de l'ouverture du Carlton, à Londres également, la recette est inscrite pour la première fois sur une carte, sous le nom de pêche Melba. En tant qu'inventeur officiel, Auguste Escoffier n'hésite pas à distinguer le bon grain de l'ivraie, la vraie recette de la pâle copie.

«Le succès de cette création fut rapide et décisif. Vingt-cinq années se sont écoulées depuis l'apparition de ce dessert, aujourd'hui de réputation mondiale. Malheureusement, j'ai eu maintes fois le regret de constater que la vraie formule est trop souvent altérée. La pêche Melba se compose de pêches tendres, mûres à point, de glace à la vanille et de purée de framboise sucrée. Toute dérogation à cette règle nuit à la finesse de cet entremets», écrit-il.

Utiliser de la purée de fraises ou de la gelée de groseilles est ainsi fortement déconseillé si l'on veut s'approcher de «la saveur recherchée».

«Malheureusement, j'ai eu maintes fois le regret de constater que la vraie formule est trop souvent altérée.»
Auguste Escoffier

«Plus décevante est la désinvolture de rédacteurs qui, sans prendre la peine de s'informer, prétendent connaître la vraie recette et conseillent sans discernement de mêler à la purée de framboise de l'arrow-root [une fécule obtenue à partir du rhizome d'une plante tropicale, la maranta arundinacea, ndlr] ou autre farine pâteuse. D'autres suggèrent de décorer la pêche avec de la crème Chantilly. Les résultats obtenus ne conservent de la pêche Melba que le nom et ne sauraient satisfaire en aucun cas le palais d'un connaisseur», note encore Auguste Escoffier.

Nous voilà prévenus! Il poursuit en donnant carrément sa «recette originale».

Simple, rapide et efficace

Il faut d'abord préparer les pêches. Dans des Souvenirs inédits, le chef compte un fruit par personne. Plus précisément, «des pêches de qualité tendre et mûres à point», voire même si possible de la pêche de Montreuil.

Comment les préparer? «Plonger les pêches pendant deux secondes dans de l'eau bouillante, les retirer aussitôt avec une écumoire et les jeter dans de l'eau contenant de la glace pilée; les débarrasser de leur pelure; les déposer sur un plat, les saupoudrer légèrement de sucre, les tenir au frais». Et c'est tout.

Auguste Escoffier explique que le passage dans l'eau bouillante puis glacée permet de mieux conserver la fraîcheur du fruit, en évitant qu'il ne noircissent. Mais, si les pêches doivent être gardées jusqu'au lendemain, sans leur peau, il vaut mieux «les déposer dans une terrine et les recouvrir de sirop bouillant».

Cependant, dans son Guide culinaire, une référence de la cuisine française publiée au tout début du XXe siècle, Auguste Escoffier recommande plutôt de pocher directement les pêches dans un sirop vanillé. Considérons donc que les deux versions sont acceptables et délicieuses!

Philippe Guichoux, chef de l'Auberge Fleurie à Villeneuve-Loubet, membre de l'association des disciples d'Escoffier et adepte de la vraie recette, prépare la pêche Melba «uniquement en saison: de mi-juin à mi-septembre».

Les autres composantes de la recette sont simples: une glace à la vanille faite maison et une purée de framboise.

Il explique comment il prépare son sirop: «Je fais bouillir 500 grammes de sucre avec 1 litre d'eau et une ou deux gousses de vanilles (en fonction de leur origine et de leur puissance) fendues et grattées.» Et ensuite? «Je laisse la peau des pêches, mais je les incise légèrement en arc de cercle, en partant du sommet. La peau va protéger la chair. Cela lui donnera un aspect bien brillant.»

Le cuisinier fait ensuite pocher les fruits dans le sirop frémissant pendant une quinzaine de minutes, avant de les laisser refroidir environ quatre heures dans le sirop. Mais on peut aussi couper la cuisson en les plongeant dans l'eau froide. Il ne reste plus qu'à les couper en deux (à moins que l'on ne préfère les servir entières), ôter les noyaux et enlever délicatement la peau.

Les deux autres composantes de la recette sont simples: une glace à la vanille faite maison, «très crémeuse», et une purée de framboise, à réaliser avec 250 grammes de framboises fraîches passées au tamis fin et mélangées à 150 grammes de sucre en poudre, selon le livre Souvenirs inédits.

«Pour la purée de framboises, tout dépend du type de framboises… Mais je mets en général 1/3 d'eau, 1/3 de sucre et 1/3 de framboises. Je fais bouillir et je passe au chinois étamine», conseille Philippe Guichoux.

Un dressage minutieux

Il ne reste plus qu'à assembler le tout. Il faut d'abord «garnir le fond d'une timbale d'argent avec la glace à la vanille», écrit Auguste Escoffier. À la maison, une coupe bien froide –préalablement passé dix minutes au congélateur si possible– fera l'affaire.

Ensuite, il faut ranger délicatement les pêches dessus, et «masquer» avec la purée de framboises. Autrement dit, couvrir entièrement. Dans le Guide culinaire, il suffit juste de «napper» le tout de purée de framboises, sans forcément inonder toute la préparation. En tous cas, comme le conseille Philippe Guichoux, on peut s'arranger pour que les matières se mélangent dans un joli effet marbré.

Facultatif: pendant la saison des amandes, il est autorisé de parsemer d'amandes fraîches effilées. Par contre, l'emploi d'amandes sèches est banni par le chef Escoffier.

La touche finale est un peu plus complexe à réaliser en 2019, à moins que vous n'ayez des compétences en sculpture sur glace: «Incruster la timbale dans un bloc de glace taillé à volonté.» Enfin, «jeter sur les pêches un léger voile de sucre filé (le sucre filé est facultatif)».

«Je fais un caramel avec de l'eau, du sucre, un peu de sirop de glucose, une goutte de jus de citron. Quand il est blond, je retire du feu et je fais des tuiles sur du papier sulfurisé. Escoffier faisait plutôt des cheveux d'anges, en utilisant deux fourchettes», explique Philippe Guichoux.

Voilà, c'est tout. Pas un gramme de crème chantilly. «Les gens demandent souvent où se trouve la chantilly… Puis ils goûtent! Depuis dix ans, des clients reviennent pour la pêche Melba», raconte le chef de Villeneuve-Loubet.

La recette a connu postérité et reconnaissance internationale. D'ailleurs, la pêche Melba est-elle connue en Australie, la patrie de Nellie Melba?

«La recette a été très populaire dans les années 1970, au début des années 1980. Mais aujourd'hui, elle est un peu oubliée, ou considérée comme une "vieille" recette. Mais on l'enseigne ici dans nos cours de cuisine! Le 26 janvier, le jour de la fête nationale, quelques cafés à Melbourne proposent des pêches Melba», répond Christophe Grégoire, chef du restaurant Le Très bon, à Bungendore, et président de la délégation australienne des disciples d'Escoffier.

Une création qui a inspiré nombre d'amoureux de la gastronomie et qui a voyagé dans le monde entier. Pourquoi? Sans doute parce que ses trois ingrédients, très simples, se marient parfaitement ensemble, comme une sorte d'évidence. Certainement aussi parce que cette recette «a été créée par Escoffier, un maître culinaire mondial! Il était à la pointe, les gens étaient à l'écoute», affirme le chef français installé en Australie.

Il a aussi inventé d'autres desserts qui sont restés dans la culture gastronomique française, comme la poire Belle-Hélène. Comme l'écrit Maguelonne Toussaint-Samat, «il ne fut jamais pâtissier, mais un cuisinier qui savait tout faire, et donc connaissait les entremets».

La recette

Voici donc une recette respectant les recommandations principales de son créateur. Avec quelques adaptations à la vie moderne.

Ingrédients (pour 4 personnes)

  • 4 pêches blanches mûres à point
  • 300 grammes (pour le sirop) + 120 grammes (pour la purée) de sucre
  • 1 gousse de vanille
  • 220 grammes de framboises fraîches
  • glace à la vanille

Recette

Inciser légèrement les pêches, en partant du pédoncule et en faisant le tour du fruit. Préparez le sirop: dans une casserole, mettez 1 litre d'eau, 300 grammes de sucre et la gousse de vanille fendue et grattée. Faites bouillir. Baissez le feu pour que le sirop soit juste frémissant. Plongez les pêches dedans. Faites les pocher pendant dix à quinze minutes. Laissez refroidir pendant quatre heures.

Dans une autre casserole, faites bouillir 180 grammes d'eau, les framboises et 120 grammes de sucre. Passez cette mixture dans une passoire fine. Vous obtiendrez un coulis épais. Si vous préférez obtenir une texture de purée, mettez un peu moins d'eau. Réservez au frais.

Quand les pêches sont refroidies, enlever la peau, coupez-les en deux et enlever les noyaux. Dix minutes avant l'heure du dessert, mettez les coupes au congélateur.

Au moment de servir, mettez une bonne dose de glace à la vanille dans chaque coupe. Ajoutez deux demi-pêches. Nappez de coulis de framboises. Et mangez immédiatement!

Il vous restera du sirop parfumé. Vous pouvez vous en servir pour cuire d'autres fruits, arroser une salade de fruits, imbiber un cake...

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