Parents & enfants

Comment corrige-t-on la philosophie?

[Tribune] Les critères d'évaluation sont beaucoup plus objectifs que vous ne le pensez.

Qu'il s'agisse des sujets de dissertation ou du texte, c'est bien l'effort de compréhension, d'analyse des concepts, de réflexion et de restitution des enjeux qui sont évalués. Des élèves passent l'examen de philo au lycée Pasteur de Strasbourg le 17 juin 2019. | Frédérick Florin / AFP
Qu'il s'agisse des sujets de dissertation ou du texte, c'est bien l'effort de compréhension, d'analyse des concepts, de réflexion et de restitution des enjeux qui sont évalués. Des élèves passent l'examen de philo au lycée Pasteur de Strasbourg le 17 juin 2019. | Frédérick Florin / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Alors que les futurs bacheliers attendent leurs résultats, il reste souvent une interrogation que l'on sent poindre dès leur annonce: comment l'épreuve de philosophie est-elle évaluée? Seule matière dispensée de barème de notation, la philosophie interpelle ou inquiète parfois quant à sa notation, renvoyant à l'image d'un correcteur subjectif et d'une appréciation finalement individuelle et bien mystérieuse.

Qui n'a pas entendu un élève se révolter derrière une apparente injustice, s'écriant que le correcteur ne l'avait pas compris ou ne partageait pas ses idées, probablement trop iconoclastes? Qui même n'a pas pensé que l'évaluation de cette épreuve était bien trop sujette à la personnalité du correcteur, l'espérant clémente lorsqu'il était élève?

Il n'en est pourtant rien, et si d'aucuns rangent hâtivement la philosophie dans les matières littéraires, comme pour en justifier une perception de discussion flasque et ampoulée, c'est oublier un peu vite toute la rigueur de pensée et la logique du raisonnement qui sont attendus. C'est écarter aussi la teneur scientifique de cette discipline, originellement bien plus proche des mathématiques que ce que le cursus lycéen en laisse penser. Et si la logique des propositions et des prédicats est enseignée au cours des études de philosophie, c'est bien pour servir une nécessaire rigueur de la pensée et du discours.

Loin du préjugé de l'appréciation vague et opaque des copies, la notation s'effectue en fonction de la construction d'un raisonnement, de sa clarté et de sa précision.

La philo évalue la faculté de raisonner

Ainsi seriez-vous surpris de constater avec quelle facilité les correcteurs s'accordent sur la notation des copies et avec quelle homogénéité les critères d'évaluation de la dissertation et de l'explication de texte sont institués. Les éléments relevant du cadre formel du devoir et ceux relevant de son propos sont patiemment évalués et ne relèvent ni du hasard, ni de la subjectivité, mais bien plus de la logique.

Il en va dès lors de la responsabilité du professeur d'inculquer au long de l'année cette volonté de l'effort de raisonnement, à laquelle bien des élèves ont malheureusement cessé d'être habitués.

Bien au-delà de l'exercice stylistique de l'épreuve de philosophie, il s'agit de valoriser celui qui essaye, travaille et finalement risque la pensée autonome sur un sujet inédit pour lui.

Immédiateté et fausses croyances

Or c'est là un exercice auquel la génération actuelle semble peu accoutumée, et il n'est pas réactionnaire ou rigoriste de le souligner. En ayant pour lecture quotidienne les réseaux sociaux, et pour références des influenceurs ou des YouTubeurs dont on ne sait s'ils donnent dans le prêt-à-penser ou la publicité, les élèves ne sont nullement aidés.

Ils se raccrochent à un contexte médiatique et informatif bien appauvri, qui les exhorte à croire plutôt qu'à questionner, à capter plutôt qu'à s'intéresser et à se tourner vers soi plutôt que vers l'extérieur.

Il serait difficile de leur reprocher de ne pas faire ce dont nous n'aurions peut-être pas été capables à leur place dans ce même contexte.

L'esprit critique et l'effort argumentatif s'avèrent alors difficilement atteignables pour la majorité des élèves, qui s'efforcera bien souvent de réciter au mieux les bribes de cours apprises et ressorties de manière acrobatique, au pire des lieux communs et des exemples de la vie courante dans un style oral et une syntaxe approximative.

Reproduction (encore et toujours)

En conséquence, ne sauront se démarquer que ceux déjà favorisés par un contexte familial capable de transmettre un recul vis-à-vis de l'information mais aussi une culture générale riche: la culture légitime tant attendue par l'institution, si méconnue par de nombreux lycéens.

L'épreuve de philosophie serait alors une désolante haie à franchir dont on saurait, dès la première semaine de cours en Terminales, qui parmi les élèves en aura la capacité.

Y aurait-il pire outil de reproduction sociale ou plus injuste épreuve d'examen?

Enseigner la philosophie serait alors bien sombre et le rôle du professeur bien inutile.

C'est pourquoi nous n'enseignons pas des contenus à des perroquets capables de singer l'exercice de la dissertation ou du commentaire de texte à grands renforts d'effets de manches et d'orgueil littéraire.

L'humilité du professeur tiendra à mettre de côté son penchant pour les cours théâtraux et l'impétuosité de son propos pour favoriser des exercices réguliers et besogneux autour du raisonnement, de la capacité à argumenter, à nourrir des thèses et à développer une pensée.

Autrement dit, enseigner la philosophie au lycée ne saurait assouvir le désir d'impressionner son auditoire par l'aridité d'un contenu que seuls les meilleurs élèves sauront utiliser; mais bien plus celui de se mettre au service de tous les élèves et, par un travail sans doute moins valorisant et bien plus laborieux pour celui qui l'enseigne, les emmener vers l'autonomie de la construction de leur propre pensée.

Il en va dès lors de la responsabilité du correcteur qui, au-delà de la justesse de la note qu'il appose, exerce la justice face au travail de l'élève et son implication.

Qu'il s'agisse des sujets de dissertation ou du texte, c'est bien l'effort de compréhension, d'analyse des concepts, de réflexion et de restitution des enjeux qui sont évalués. C'est pourquoi le commentaire de texte et la dissertation tant redoutée, loin d'être des vecteurs d'élitisme ou des épreuves archaïques à la française, traduisent plus que jamais la nécessité de l'effort intellectuel et le courage de trancher. C'est, en soi, ce qui donne les armes nécessaires aux élèves d'aujourd'hui et aux citoyens de demain.

cover
-
/
cover

Liste de lecture