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Trump nous enterrera tous

[BLOG You Will Never Hate Alone] Le président américain sera réélu parce qu'il ressemble trop à ce qu'est devenu son peuple.

Donald Trump à la Maison-Blanche, le 20 juin 2019. | Mandel Ngan / AFP
Donald Trump à la Maison-Blanche, le 20 juin 2019. | Mandel Ngan / AFP

Temps de lecture: 2 minutes

«L’Histoire est un cauchemar dont j’essaie de m’éveiller», dit Stephen Dedalus dans l’Ulysse de James Joyce. Avec Trump, le cauchemar semble durer une éternité. Rien ne semble l’affecter. Au contraire. Il suffit de l’avoir vu l’autre soir, lors de son entrée en campagne, au sommet de sa forme, pour comprendre que rien ne l’arrêterait. Ni le temps qui passe, ni les affaires, ni ses frasques, ni ses tweets, ni ses obsessions ressassées à l’infini, ni sa logorrhée rudimentaire. Cet homme-là ne lâchera rien et rien ne l’abattra.

C’est le propre des imbéciles et des vaniteux de ne douter de rien. Leur intelligence est si étroite, si rigide, si fière qu’elle ne saurait s’encombrer de remises en question. Elle fonce droit devant comme le pic vert occupé à décortiquer le tronc d’un arbre. La cadence de leurs pensées aussi minimes soient-elles ne connait ni atermoiements ni changements de rythme; elles déroulent la même parfaite musique dédiée à leur propre gloire sans s’encombrer d’artifices.

Et plus elles s’affirment dans l’éclat de leur sublime vacuité, plus elles parviennent à entraîner dans leur sillage de vastes troupeaux d’électeurs toujours aussi ravis d’entendre une personne qui comprend si bien leurs aspirations lesquelles se réduisent à vivre pour soi, dans la parfaite indifférence d’un monde qui pourtant croule sous le poids de leurs égoïsmes. La bêtise n’a pas d’éthique; elle s’entretient toute seule presque mécaniquement et se propage avec l’agilité d’un virus pour lequel jamais personne ne pourra trouver l’antidote.

C’est en cela que Trump ne pourra pas être battu et finira par triompher: il ressemble trop à ce que le peuple américain est devenu, une assemblée d’individus dont les capacités intellectuelles se sont développées dans une sorte d’hypertrophie du vide où, nourris de rien, ils flottent dans l’éther de leur irréductible insignifiance.

À force de consommer des films de super-héros, de s’empiffrer de séries inconsistantes, d’ingurgiter des émissions de télé-réalité entrecoupées d’un tombereau de publicités, leur cerveau a atteint ce point de non-retour où la simple évocation de ce qu’on pourrait nommer un début de raisonnement s’apparente à une impossibilité métaphysique. Ne reste plus alors que cette appétence pour satisfaire ses besoins les plus primaires, ses pulsions les plus archaïques, ses désirs les plus sommaires –vies frustes, existences parcellaires où le principe même d’altérité n’existe plus.

En restant lui-même, Trump ne décevra jamais personne. Il a mis la barre beaucoup trop haut pour que quiconque vienne lui disputer son emprise sur le peuple. Trump a la spontanéité de la connerie face à laquelle il nous faut nous incliner. On en devient presque admiratif devant cette formidable machine à proférer mensonges sur mensonges, contre-vérités sur contre-vérités, absurdités sur absurdités, non point par calcul ou opportunisme, mais dans la gloire de sa propre incongruité confondue avec les apparences du génie.

C’est évidemment un échec et un écueil de notre civilisation dont nous sommes tous un peu responsables. À force de reculades, de renoncements, d’abaissements, d’aveuglement mercantile, nous nous sommes détournés de notre mission d’élever le niveau de connaissances nécessaires à l’individu pour s’affranchir de lui-même.

Nous avons capitulé devant la technologie, la science, le profit et avons déserté peu à peu les humanités. Nous passons plus de temps à déblatérer sur les réseaux sociaux qu’à aider notre prochain, à nous instruire, à nous sublimer. Nous nous sommes détournés de l’essentiel pour nous préoccuper du superflu. Nous jurons par la puissance de nos téléphones portables, la taille de nos écrans, la performance de nos ordinateurs. Et nous manquons singulièrement de courage.

Bon en même temps, j’écris ce billet après avoir regardé quelques minutes de Murder Mystery, la nouvelle pépite de Netflix qui bat tous les records outre-Atlantique. Je défie quiconque qui serait assez fou pour la visionner de garder foi après cela dans l’humanité.

Voilà, j’ai commencé cette chronique en citant James Joyce et je la finis sur l’évocation de Jennifer Aniston.

C’est bien ce que je craignais: nous sommes foutus.

Foutus.

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