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La Chine est en train de gagner la course au solaire spatial

L'Amérique devrait être sur le devant de la scène énergétique mais elle gâche son potentiel.

Les moyens ne sont pas alloués à la Nasa pour développer l'énergie solaire alors que la Chine prévoit de mettre en orbite une centrale solaire commerciale d'ici à 2050. | Hellisp / <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/User:Hellisp">Wikimedia</a>
Les moyens ne sont pas alloués à la Nasa pour développer l'énergie solaire alors que la Chine prévoit de mettre en orbite une centrale solaire commerciale d'ici à 2050. | Hellisp / Wikimedia

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Tous les films catastrophe commencent de la même façon: un scientifique met en garde le président des États-Unis qui refuse de l'écouter. Mais la survie de l'humanité, ce n'est pas du cinéma. Si l'un des présidents américains des cinquante dernières années avaient eu la présence d'esprit de prendre au sérieux l'énergie solaire, nous aurions pu empêcher le désastre climatique à venir grâce à une source d'énergie propre, constante, sans limite et moins onéreuse que les combustibles fossiles –et les États-Unis auraient été le leader du secteur.

Si l'on en croit les rapports, c'est aujourd'hui la Chine qui est la cheffe de file de cette nouvelle technologie: il s'agit de panneaux solaires classiques, si ce n'est qu'ils sont dopés aux stéroïdes –capables de recueillir de l'énergie 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par an. Ces centrales solaires ne monopoliseront pas des millions d'hectares terrestres: elles seront mises en orbite géosynchrone, près de 35.000 kilomètres au-dessus du niveau de la mer –loin des nuages, de la pluie et du cycle jour-nuit, soit tous les petits embêtements qui rendent l'énergie solaire terrestre quelque peu intermittente. La Chine compte mettre en orbite une centrale solaire commerciale d'ici à 2050; elle pourrait alors s'enorgueillir d'être la première nation à avoir capté l'énergie solaire depuis l'espace pour la rediriger vers la Terre.

 

 

Réseau électrique international

C'est là que les choses se compliquent: selon un récent rapport de l'US-China Economic and Security Review Commission, le programme spatial de la Chine fait partie intégrante du programme militaire chinois. C'est donc l'armée qui contrôle l'activité spatiale de la Chine –et «la plupart de ses activités spatiales civiles font double emploi».

Second point: les ambitions spatiales de la Chine sont tournées vers une seule et même priorité, l'argent. L'espace est au cœur de ses projets de reprise économique et de développement national. Le Parti communiste chinois veut organiser une démonstration en ligne de sa centrale spatiale dès l'an prochain; en cas de succès, certains pays pourraient se laisser tenter par le projet phare de politique étrangère de Xin Jinping, les «nouvelles routes de la soie». Cette énergie bon marché et sans émissions de CO2 aurait de quoi tenter plus d'un pays tier et donnerait à la Chine un poids politique beaucoup plus important. Pékin contrôlerait presque de facto les pays acheteurs et se rapprocherait de son but: créer le premier réseau électrique international de l'histoire.

La Nasa très terre-à-terre

Pendant ce temps, les États-Unis ne font rien de leur propre technologie solaire spatiale –une technologie qu'ils possèdent pourtant depuis 1968, année de la publication (dans la revue Science par Peter Glaser, conseiller à la Nasa et chef de projet pour Apollo 11) d'un concept de satellite permettant de capter l'énergie solaire et de la transmettre à la Terre. En 1941, Isaac Asimov, l'un·e des écrivain·es de science-fiction les plus prolifiques et renommé·es de tous les temps, imaginait déjà une station spatiale capable de rediriger l'énergie du soleil vers différentes planètes via le rayonnements micro-onde. Asimov a de nouveau fait référence aux stations-centrales solaires en 1983, écrivant qu'elles pourraient voir le jour en… 2019!

Ce n'est pas comme si la Nasa n'avait pas essayé de mettre la machine solaire en route: elle a fourni moult rapports de développement et d'évaluation (et autres études de faisabilité) à la Maison Blanche au fil des années, allant même jusqu'à recommander cette source d'énergie pour alimenter une hypothétique base lunaire de première génération habitée.

La Nasa ne prévoit à ce jour aucune mission consacrée à l'énergie solaire.

«Une base lunaire habitée en permanence présenterait des défis de taille, notamment en termes d'énergie», comme l'expliquent les auteurs de ce rapport. «Il pourrait donc s'avérer judicieux d'avoir recours à une centrale solaire spatiale placée en orbite capable de produire de l'énergie électrique et de la rediriger vers une base lunaire, quel que soit l'emplacement de cette dernière. Nous possédons la technologie permettant de capter la lumière solaire, de produire une énergie [continue] supérieure aux 35 kilowatts [requis pour faire fonctionner la base lunaire], et de la transférer vers la surface via micro-ondes.»

 

 

Pourtant, la Nasa ne prévoit à ce jour aucune mission consacrée à l'énergie solaire (pour plusieurs raisons, presque toutes liées au manque de ressources financières), à la consternation –aujourd'hui comme hier– de plusieurs centaines (voire plusieurs milliers) de spécialistes de l'ingénierie et d'équipes de reherche de la Nasa, que le projet fait rêver.

John Mankins est de ceux-là. Ancien physicien à la Nasa, Mankins est réputé pour ses travaux consacrés au solaire spatial –et pour sa très grande patience. Non seulement il a travaillé à la Nasa et au Jet Propulsion Laboratory vingt-cinq ans durant, pendant lesquels il n'a jamais cessé de plaider pour le solaire spatial sans aucun résultat– mais il a également aidé l'auteur de cet article à passer au peigne fin le McCain National Defense Authorization Act (année fiscale 2019), à la recherche de la moindre référence au solaire spatial au cœur de cette monstruosité bureaucratique. Mankins (et d'autres avec lui) ont revu leurs estimations et pensent que les coûts du solaire spatial sont désormais de l'ordre du raisonnable.

L'énergie, un enjeu géopolitique 

La Chine n'est pas seule dans les starting-blocks: les agences spatiales du Japon, de l'Union européenne et de l'Inde travaillent sur leurs propres programmes de solaire spatial.

 

 

Le projet de la l'Agence spatiale japonaise (Jaxa) est le plus abouti. Mankins explique que l'agence spatiale élabore une nouvelle feuille de route pour son programme –qui est loin d'être son seul projet (on peut notamment citer des ascenseurs spatiaux, un système d'enlèvement des ordures spatiales, un dispositif permettant de détecter l'eau présente sur les astéroïdes, et des véhicules lunaires gros comme des camping-cars).

 

 

Fin mai, les gouvernements américains et japonais –deux importants partenaires de la Station spatiale internationale– ont convenus de prolonger leur coopération; des astronautes japonais·es pourraient être envoyé·es sur la lune dans le cadre de cet accord.

 

 

Cela étant, c'est l'intérêt que la Chine témoigne au solaire spatial –et l'apparent désintérêt des États-Unis– qui se révèlent les plus parlants sur le plan géopolitique. L'énergie occupe une place centrale dans la géopolitique mondiale et dans l'ordre international. Elle a consolidé l'essor de grands pouvoirs, a motivé des alliances, et a –bien trop souvent– été à l'origine de conflits et de guerres. Conclusion? Dans le pire des cas, la première nation capable de capter la lumière du soleil depuis l'espace dominera toutes les autres, et de loin.

Nous ignorons tout de la technologie solaire de la Chine (peut-être sort-elle des manuels open-source de la Nasa!?)

Contrairement à l'énergie renouvelable terrestre (qui est en grande partie contrôlée par le secteur privé), le solaire spatial de la Chine serait une source d'énergie unique et nationale: autrement dit, un outil révolutionnaire pouvant facilement être exploité à des fins géopolitiques. La Chine n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de militariser les technologies spatiales issues du secteur commercial, ce qui complique encore les choses –ou les rend encore plus terrifiantes, selon les points de vue.

La Chine s'est lancée la première mais il va sans dire qu'elle ne dispose pas pour autant d'un avantage catégorique ou insurmontable. À l'heure où l'auteur de cet article a écrit ces lignes, nous ignorons tout de sa technologie solaire (peut-être sort-elle tout droit des manuels open-source de la Nasa!?). Reste que les États-Unis doivent agir sans attendre –non seulement pour répondre à l'inévitable évolution technologique mais aussi pour s'adapter à l'évolution du marché de l'énergie engendrée par la crise du climat.

Nouvelle hégémonie

Il sera certes particulièrement difficile de pousser l'administration américaine actuelle à investir pleinement dans le solaire spatial. La Nasa a déjà bien du mal à trouver des financements alors même que la Maison Blanche avance la date de missions majeures. (Plus étonnant: l'agence spatiale, à l'inverse, reçoit des financements qu'elle n'a jamais sollicités –125 millions de dollars supplémentaires pour élaborer des têtes nucléaires, par exemple).

Les États-Unis se trouvent à un tournant décisif. Verra-t-on un candidat à l'élection présidentielle américaine de 2020 s'emparer du solaire spatial, donnant par là-même une envergure internationale au Green New Deal? Peut-être. Les entreprises –américaines ou non– et les nations qui travaillent déjà à l'élaboration de cette technologie uniront-elles leurs forces au nom de la science pour atteindre cet objectif commun? Peut-être. Le coup de force de Pékin fera-t-il basculer l'équilibre mondial des pouvoirs, marquant l'avènement d'une nouvelle hégémonie? C'est le scénario le plus probable –et celui que je redoute plus que tout.

Cet article a initialement été publié sur le site Foreign Policy.

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