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Dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 juin, le Québec a adopté une loi visant à établir une forme de laïcité à l'intérieur de ses frontières. Elle s'imposera à tous les fonctionnaires en position d'autorité coercitive (policiers, juges, gardiens de prisons), ainsi qu'aux enseignants et directeurs d'école –entre autres. Les personnes concernées devront abandonner tout signe d'appartenance religieuse dans le cadre de leurs fonctions, à savoir «tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef qui est soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse, soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse».
Et vlan.
Autrement dit et sans s'embarrasser de circonvolutions langagières ou de considérations pseudo-sociétales, désormais au Québec, les musulmanes et musulmans devront se tenir à carreau et marcher droit.
À une jeune étudiante de confession musulmane qui ambitionnerait de devenir professeure, on demandera de choisir entre porter le voile et embrasser la carrière d'enseignante.
C'est évidemment un grand soulagement pour la population québécoise, tant il est vrai que par nature, toute professeure portant le voile ne se souciait guère d'apprendre à ses élèves l'histoire de la Belle Province, mais bel et bien de les inciter à venir grossir les rangs de l'islam. D'ailleurs, il est établi que le commerce de tapis de prières dans les écoles de Montréal était devenu une pratique commune dont plus personne ne s'étonnait.
Idem pour les infirmières dont on ne dira jamais assez comment, entre deux piqûres et trois poses de sonde, par la seule magie de leur voile, elles parvenaient à hypnotiser leurs malades au point qu'une fois guéris, ils quittaient l'hôpital et se précipitaient dans la première mosquée pour déclamer leur amour à Mahomet.
Ce temps-là est fort heureusement révolu. Avec cette mesure radicale, le Québec est sauvé. Lui qui hier encore était à deux doigts de céder sous les coups de boutoir d'un islam virulent prompt à changer le visage du pays, ses us et ses coutumes –on parlait dans les cercles autorisés d'interdire la sainte poutine pour instaurer une chariah du kebab–, le voilà tiré d'affaire.
Ce qui est fascinant avec l'islamophobie comme naguère avec la judéophobie, c'est cette propension inouïe à s'inventer des dangers qui n'existent que dans l'imaginaire d'esprits dérangés. Aux dernières nouvelles, il n'existe aucun cas avéré où un agent de l'État portant le voile, le turban ou la kippa aurait usé de son magistère pour vanter la supériorité ou les mérites supposés de sa religion.
Ce danger-là n'existe simplement pas. C'est une pure construction intellectuelle qui, basée sur des peurs fantasmées, des craintes infondées, des chimères nées d'une insécurité culturelle tout à fait factice, exige du politique la mise en œuvre de mesures visant à discriminer quelques pauvres hères –environ 3% de la population, pour sa composante musulmane– dont le seul tort est de ne pas appartenir à la majorité silencieuse. D'être différent. D'avoir le tort incommensurable de ne pas répondre aux commandements de l'Évangile.
Qu'une telle loi soit adoptée au Québec, à rebours du reste du Canada, n'étonne guère. Il a toujours existé dans la Belle Province une exaltation du sentiment national vécue à juste titre comme une nécessité face à l'impérialisme anglo-saxon. Il fallait défendre la langue française, son héritage européen, son particularisme, sa culture face à l'hégémonie des autres provinces, toutes ou presque dominées par des valeurs issues de la civilisation anglophone.
C'était un acte de résistance, et le plus noble d'entre tous.
Avec cette loi sur la laïcité, l'ennemi a soudainement changé: il n'a plus les traits du colon anglais arrogant et dominateur mais ceux d'une musulmane voilée, coupable de vouloir islamiser le pays.
On ne se bat plus pour conserver coûte que coûte son héritage et ses traditions francophones mises en péril par la domination anglaise, on part en guerre contre des moulins qui ressembleraient à des minarets. On finit par créer au sein de la communauté nationale des citoyens de seconde zone à qui l'on demande soit de se renier, soit de changer de métier.
Ce faisant, on alimente le feu ardent du nationalisme. On laisse à penser que l'on n'est plus chez nous. Que l'envahisseur est à nos portes. Que notre civilisation fait face à un danger mortel –rhétorique parfaitement huilée qui débouche tôt ou tard, d'une manière inévitable, sur des drames épouvantables.
Il faut se souvenir que bien avant la tuerie de Christchurch, le seul endroit du monde occidental où l'on a perpétré un massacre de grande ampleur vis-à-vis de la communauté musulmane fut dans la ville de Québec quand, le 29 janvier 2017, un jeune exalté en proie à des délires identitaires ouvrit le feu au Centre culturel islamique: six morts.
Contrairement à la France, la laïcité n'a jamais été une obsession québécoise. Elle le devient seulement aujourd'hui, pour mieux lutter contre un ennemi imaginaire.
Décidément, la gangrène nationaliste ne connait pas de frontières.
P.S: Pour information, ce billet n'est pas l'auteur d'un maudit Français, mais d'un citoyen canadien.