Politique

Est-il encore possible de reconstruire une «gauche plurielle» pour 2022?

Les conditions sont loin d'être réunies pour recréer l'unité qu'avait réussi à instaurer Lionel Jospin entre 1997 et 2002.

Le Premier ministre Lionel Jospin et Robert Hue, assis côte a côte, écoutent le discours d'Alain Beneteau sur la présentation des candidat·es de la gauche plurielle, réuni·es pour le dernier meeting de campagne le 11 mars 1998, à Toulouse. | Jean-Pierre Muller / AFP
Le Premier ministre Lionel Jospin et Robert Hue, assis côte a côte, écoutent le discours d'Alain Beneteau sur la présentation des candidat·es de la gauche plurielle, réuni·es pour le dernier meeting de campagne le 11 mars 1998, à Toulouse. | Jean-Pierre Muller / AFP

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C'était en avril 1997. C'est-à-dire une éternité. Car en politique, les choses vont maintenant très vite. Le président de la République, Jacques Chirac, venait de dissoudre l'Assemblée nationale. La décision avait été prise un mois et demi avant, sous l'impulsion du secrétaire général de l'Élysée, Dominique de Villepin. Un an avant l'échéance institutionnalisée –la législature devait s'achever en 1998–, le chef de l'État voulait forger une nouvelle majorité à sa main.

 

 

Les précédentes élections législatives avaient eu lieu en 1993. François Mitterrand achevait alors son second septennat commencé en 1988, la droite en était sortie gagnante et elle lui imposait une deuxième cohabitation après celle de 1986-1988. Mais cette fois-ci, Chirac ne voulait pas retourner à Matignon pour une troisième expérience (la première avait eu lieu de 1974 à 1976 avec Valéry Giscard d'Estaing comme président de la République).

En 1993, donc, c'est Édouard Balladur qui avait été nommé Premier ministre. De fait, cette nouvelle majorité de droite qui entrait au palais Bourbon allait se révéler au fil des mois plus balladurienne que chiraquienne. Le paroxisme de la guerre à droite était atteint à l'élection présidentielle de 1995«les amis de trente ans», Chirac et Balladur, s'affrontaient en un combat fratricide. Sorti vainqueur de la joute et élu chef de l'État face au socialiste Lionel Jospin, Chirac se retrouvait avec une majorité qui ne lui était pas totalement acquise.

Quand le PS offrait des circonscriptions aux écolos

Deux ans après son entrée à l'Élysée, il se trouvait face à un triple défi: prendre des mesures socio-économiques impopulaires en contradiction avec sa campagne présidentielle fondée sur la lutte contre la «fracture sociale», obtenir un soutien sans faille d'une majorité parlementaire chagrine et conjurer le risque d'une défaite annoncée (ce qui allait se produire) aux élections européennes de 1999.

Il n'y avait, en réalité, aucune crise politique et la décision de dissoudre l'Assemblée allait apparaître aux yeux de l'opinion comme une mesure de confort pour «convenance personnelle». Alors que quelques mois auparavant, la droite était donnée gagnante dans les sondages, cette dissolution impromptue inversait la tendance et renvoyait la majorité dans l'opposition. À la tête d'une gauche plurielle montée en catastrophe, Jospin, premier secrétaire du Parti socialiste (PS), remportait les législatives et il entrait à Matignon. C'était la troisième cohabitation.

 

 

À l'époque, le PS dominait encore la gauche au sens large, de la tête et des épaules. Dans sa grande bienveillance et son intérêt bien compris, il s'était offert le luxe de réserver quelques circonscriptions aux écologistes, aux radicaux du Parti radical-socialiste et aux chevènementistes du Mouvement des citoyens, en marge de son traditionnel accord de désistement de second tour en faveur du candidat de gauche le mieux placé avec le Parti communiste.

319 sièges à l'Assemblée pour la gauche au sens large

Au bout du compte, le PS remportait 250 des 577 sièges de l'Assemblée nationale, créant la «majorité plurielle» avec 36 député·es communistes, 13 radicaux de gauche, sept représentant·es du Mouvement des citoyens et 6 Verts.

La gauche au sens large totalisait 319 élu·es à la Chambres. Le gouvernement composé par Jospin est à l'image de cette majorité où les socialistes occupent une place écrasante.

Il voit Jean-Pierre Chevènement atterrir au ministère de l'Intérieur, les communistes Jean-Claude Gayssot et Marie-George Buffet prendre respectivement l'Équipement et les Sports, le radical Émile Zuccarelli devenir ministre de la Fonction publique et l'écologiste Dominique Voynet obtenir l'Aménagement du territoire. 

Ce rassemblement permettra au gouvernement d'obtenir des résultats sur les plans social et sociétal.

Jean-Luc Mélenchon –alors membre du PS– entrera même dans ce gouvernement pluriel, en 2000, au poste taillé sur mesure de ministre délégué à la Formation professionnelle.

L'embellie économique et ce rassemblement politique permettront au gouvernement d'obtenir des résultats significatifs sur les plans social et sociétal. Le Premier ministre confiera le dossier des 35 heures à Martine Aubry alors ministre des Affaires sociales –les gouvernements Jospin, par ailleurs, sont ceux qui ont le plus privatisé– mais cela sera sans lendemain pour Jospin lui-même. À l'élection présidentielle de 2002, il est éliminé dès le premier tour avec 16,2% des suffrages, en terminant troisième derrière Jean-Marie Le Pen (16,9%) lui-même devancé par Chirac (19,9%). Il est vrai que Jospin était confronté à une concurrence sans précédent à gauche sous la Ve République.

Le rapport de force de 1997 s'est profondément modifié

Des Verts aux trotskistes, il n'y avait pas moins de sept autres candidat·es pour représenter la gauche au sens large à côté du candidat du PS: l'écologiste Noël Mamère (5,3%), la radicale Christiane Taubira (2,3%), l'ex-PS Chevènement (5,3%), le communiste Robert Hue (3,4%) ainsi que trois aspirant·es d'extrême-gauche, Arlette Laguiller (5,7%), Olivier Besancenot (4,3%) et Daniel Gluckstein (0,5%). Au total, ils avaient capté ensemble 26,8% des voix!

Montage photo représentant quatre candidat·es de gauche à l'élection présidentielle de 2002: le Premier ministre Lionel Jospin (PS), l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement (Pôle Républicain), le président du PC Robert Hue et la députée de Guyane Christiane Taubira (PRG). / AFP

En 2002, cette gauche élargie représentait 43% de l'électorat. En 2019, elle est en recul de plus de dix points aux élections européennes du 26 mai avec un score cumulé de 32,5%. Le PS ne brille plus de mille feux et il fait jeu égal avec La France insoumise (LFI) de Mélenchon qui obtient un résultat éloigné de ses espérances. Les deux partis sont en outre devancés par Europe écologie-Les Verts qui bénéficie d'un regain d'intérêt de l'électorat jeune, sensible aux thèses environnementales de lutte contre le changement climatique et de préservation de la planète.

 

 

Le rapport de force entre ces différentes composantes qui constituaient la gauche plurielle de 1997 s'est profondément modifié depuis la fin du quinquennat Hollande et le début de celui de Macron. Le PS, qui a été démembré –il a perdu nombre de ses responsables, de sa base militante et de son électorat–, n'est plus en mesure de s'imposer comme leader et comme moteur de ce rassemblement.

Le PS semble invisible aux yeux de l'opinion

Coincé entre le parti présidentiel, La République en marche, qui a absorbé la partie la plus sociale-libérale de son électorat, et le parti mélenchoniste, La France insoumise, qui a capté la frange radicale et frondeuse de ce même électorat, le Parti socialiste peine à reconstituer ses forces, d'autant qu'il ne s'incarne pas dans une personnalité fédératrice. Le premier secrétaire, Olivier Faure, ne parvient toujours à percer dans les sondages de popularité.

Phénomène plus grave, le PS semble invisible aux yeux de l'opinion qui ignore son projet politique. Et pour cause: la présidente du groupe PS de l'Assemblée nationale, Valérie Rabaut, reprochait tout à fait explicitement au patron des socialistes, le 11 juin sur Public Sénat, d'être en panne d'initiatives. «La gauche progresse quand elle fait des propositions. Est-ce que c'est le cas aujourd'hui? La réponse est non», remarquait-elle. On ne pouvait être plus claire.

 

 

Face au vide électoral laissé par l'ancien parti hégémonique à gauche, Mélenchon espérait bien occuper l'espace pour imposer La France insoumise comme force attractive au-delà même de son périmètre naturel puisque lui-même récuse le clivage droite-gauche qu'il considère aujourd'hui dépassé. Mais les élections européennes ont précisément déçu cet espoir.

Les hésitations stratégiques de La France insoumise

Non seulement la liste conduite par Manon Aubry a réalisé un score (6,31% des voix) très en deçà des prévisions internes, mais il est sensiblement équivalent à celui obtenu aux européennes de 2014 par le Front de gauche (6,33% en métropole et 6,61% avec l'Outre-mer) quand le Parti de gauche (PG) de Mélenchon faisait cause commune avec le Parti communiste (PCF) et d'autres organisations de moindre importance. Il s'agissait alors de cette «collection de logos» dont le leader des insoumis ne veut plus entendre parler aujourd'hui.

Cinq ans après, le changement de stratégie ne semble pas avoir porté ses fruits. En effet, La France insoumise a versé, depuis la campagne de l'élection présidentielle et après sa rupture avec le PCF, dans le populisme, en tentant, selon la terminologie officielle, de faire «l'union du peuple».

Les insoumis n'ont absolument pas bénéficié du regain de participation aux Européennes.

Mais cette modification de cap est contrariée par un louvoiement qui pourrait avoir tendance à désarçonner l'électorat. Certains cadres, proches de Mélenchon, reprochent à Manon Aubry, à demi-mots, de s'être éloignée de cette voie populiste pendant la campagne européenne.

De fait, la direction de LFI pensait pouvoir capitaliser sur la crise des «gilets jaunes» à l'occasion des élections du 26 mai. Elle a cru ou a fait croire que la colère et les revendications disparates qui s'étaient exprimées depuis la fin novembre 2018 se retrouvaient dans son projet politique. Il n'en a rien été puisque les insoumis n'ont absolument pas bénéficié du regain de participation (profitable aux écologistes) et c'est plutôt le Rassemblement national de Marine Le Pen qui a raflé la mise. Il faut croire que l'osmose idéologique fonctionnait mieux d'un côté que de l'autre.

Les écologistes refusent de servir de caution à la gauche

La troisième composante de cette gauche plurielle virtuelle est le petit Poucet écologiste qui s'est vu propulser à la première place de cet ensemble aux européennes (13,48%). Yannick Jadot, chef de file d'Europe écologie-Les Verts (EELV) a ramassé les dividendes de sa stratégie de non-alliance avec les socialistes.

 

 

Pour cette consultation, il avait pris l'exact contre-pied de la présidentielle où il s'était effacé derrière le candidat du PS, Benoît Hamon, dès le premier tour. Bien lui en a pris car une partie de l'électorat socialiste en déshérence, déçus du parti, méfiants à l'égard de LFI et hostiles à LREM, s'est rabattue sur lui.

Jadot, qui ne veut pas servir de caution à la gauche, considère –peut-être un peu vite– que ces élections européennes ont ouvert une brèche qui pourrait devenir un boulevard pour les Verts à l'élection présidentielle de 2022.

 

 

Si l'appropriation des thèmes écologiques par la société civile est indéniablement un plus pour sa formation politique, il est tout aussi certain que la faiblesse militante, la rareté de l'encadrement et la modeste implantation politique locale sont autant de handicaps dans la réalisation de son dessein présidentiel.

Quoi qu'il en soit, le tableau squelettique actuel de la gauche au sens large n'incite pas à penser que la recomposition d'une gauche plurielle conquérante est à l'ordre du jour. Ou bien qu'elle le sera de façon réaliste, avant la fin du quinquennat Macron. Mis à part que les ambitions naturelles vont poursuivre leur travail dans chacune de ces formations, il apparaît de plus en plus nettement que le duel politique se polarise sur une opposition entre le macronisme libéral qui tente de se construire une aile de gauche écologiste et le nationalisme identitaire qui rêve d'absorber, enfin, les restes d'une droite démembrée et désarticulée. À cette aune, la reconstruction de la gauche plurielle appartient à un horizon lointain.

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