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Les îles peuvent-elles vraiment disparaître?

Il ne faut pas confondre engloutissement et simple déplacement d'un banc de sable.

Les bancs de sable se déplacent au gré des vagues. | Alex Antoniadis <a href="https://unsplash.com/photos/iR2FO6ugg7E">via Unsplash</a>
Les bancs de sable se déplacent au gré des vagues. | Alex Antoniadis via Unsplash

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Fin 2018, une nouvelle concernant le Pacifique Nord faisait état de faits inquiétants qui menacent la stabilité de cette partie de la planète. Il s'agit de la disparition d'une île, au large de Hawaï, engloutie pendant un ouragan.

East Island est située à 1.000 kilomètres de Honolulu; elle fait partie du parc national marin de Papahanaumokuakea Marine National Monument, qui s'étend vers l'île de Midway. Lors du passage de l'ouragan Walaka, cette petite île du banc de la Frégate française aurait tout bonnement disparu, disent les médias.

À vrai dire, je ne connais qu'un seul exemple d'île engloutie: celui de l'île flottante. Il faut savoir raison garder: ce qui a disparu, c'est le banc de sable qui marquait le haut-fond, et il n'a pas été englouti mais simplement déplacé. C'est la vie habituelle des bancs de sable, qui se déplacent au gré des vagues.

Pour ce qui est d'Hawaï et des îles, ce sont d'anciens volcans dont le cône est relativement instable et peut s'effondrer assez vite. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter outre mesure de leur disparition –ni d'ailleurs de leur apparition– au gré des éruptions.

Matière en mouvement 

Quiconque a un jour vu la barre d'Étel dans le Morbihan a pu constater ces mouvements de bancs de sable. La maison de la gardienne à l'entrée de la ria indique par un sémaphore où il convient aux bateaux de passer.

Faut-il rappeler que c'est au cours d'une sortie expérimentale de son nouveau bateau de sauvetage, en octobre 1958, que Alain Bombard a eu des ennuis de gouvernail et a été pris dans les bancs de sable, entraînant la mort de neuf personnes?

À la pointe orientale de l'île de Groix, la plage des grands sables voit tous les ans ses bancs de sable se déplacer jusqu'à une cinquantaine de mètres.

Contrairement aux dunes, qui sont le plus souvent émergées, les bancs de sable, malgré leur forme asymétrique (un flanc long et un flanc court), se déplacent parallèlement à la direction de la crête. Un bel exemple est montré par le banc du Four en mer d'Iroise. Pour les dunes, le sable est poussé par le vent perpendiculairement à la crête, c'est-à-dire le sommet de la dune.

D'amplitude plus faible, on observe aussi sur les plages de sable humide l'apparition de ridules de quelques centimètres sous l'action du vent. Ces structures ou ripple marks montrent des crêtes perpendiculaires à la direction du vent.

Lorsque ces plages sont brutalement recouvertes de sédiment, les structures acquises sont fossilisées. Ces structures sont alors utiles pour déterminer le sens des courants, donc les apports en sédiments, en particulier de matière organique. On voit l'utilisation que l'on peut en faire pour la recherche pétrolière.

À l'opposé de ces hauts-fonds que sont les bancs de sable, il faut rappeler l'existence de creux, les baïnes, fameuses dans le golfe d'Arcachon et sur la côte sud-ouest. Ces creux, à sable relativement fin, sont à l'origine de courants violents lors de la marée (phénomène de vidange), qui malgré les avertissements sont malheureusement fatals chaque année.

Infox et dessein intelligent

Deux exemples de nouvelles plus que fantaisistes qui ne vont pas manquer de susciter l'inquiétude du public non averti: la première résulte essentiellement d'un problème de vocabulaire et ne pose pas de véritable problème; la seconde fait plutôt état d'une méconnaissance des faits.

Ces infox, ce sont des détournements de faits, volontaires ou non, utilisés par la suite pour soutenir un argument ou une cause, sachant que les arguments employés sont souvent délibérément biaisés. Ces nouvelles sont parfois faciles à mettre en évidence: dans les deux exemples précédents, les écarts de vocabulaire ou les arguments pseudoscientifiques sont grossiers. Mais d'autres fois, les arguments utilisés sont assez sophistiqués.

Je raconte ici comment un tel montage a pu voir le jour, le tout partant d'un article scientifique de la revue Nature pour en arriver au Déluge, et à la chronologie de la Bible et du dessein intelligent (intelligent design).

Je travaillais à l'époque avec deux collègues anglais et un canadien sur des problèmes d'intrusions granitiques. Nous avons été sollicités par le journal pour écrire un article de synthèse sur le sujet. Un texte est donc envoyé au journal pour suivre le processus habituel de relecture, corrections et publication.

Jusque-là, rien d'anormal. Quelques mois plus tard, je constate une hausse subite des citations de cet article. Modeste, j'en déduis qu'il s'agissait un bon article. Mais à y regarder de plus près, je constate des références dans des revues que l'on pourrait qualifier d'exotiques, telles celles émanant de l'Institute of Creation Research, de la Creation Science Association, ou du National Center for Science Education. Il convient d'aller voir le pourquoi de ces citations.

Granites et créationnisme

Ces articles sont remarquablement écrits. Une longue introduction examine les différents arguments: minéralogie, refroidissement, viscosité, âges, etc. À chaque fois, de nombreux articles sont cités, tous publiés dans des revues connues, avec une argumentation valide et à jour des derniers progrès. On en arrive à la conclusion que ces intrusions se forment rapidement, en moins d'une dizaine de milliers d'années. Rien de bien nouveau.

C'est là qu'intervient le saut sémantique, en une petite phrase. La Genèse (1: 9-10) rappelle que les granites se forment au jour 1, peut être jusqu'au jour 3 de la semaine biblique, soit les sept jours de la Création. Sachant qu'un jour biblique équivaut à plus de 1.000 ans, le compte y est: les savant·es ont bien démontré la création du monde selon la Bible.

C'est si bien fait que l'on ne voit pas, en première lecture le saut sémantique, qui n'est d'ailleurs pas argumenté. Le reste n'est qu'histoire d'argumentations. Si les équipes officielles de recherche et ces spécialistes l'ont écrit, c'est que cela doit être exact. L'interprétation ultérieure n'est qu'un enrobage des faits exposés précédemment.

Le fin mot de l'histoire concerne l'origine de ces citations. C'est le service de presse de l'université de Toronto du collègue canadien qui a soigneusement fait son travail. Il a prétexté un article de synthèse dans Nature pour en faire la réclame et en a largement diffusé un résumé étendu. L'utilisation ultérieure échappe alors à tout contrôle. Le prosélytisme fait le reste.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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