Politique / Monde

Hong Kong parviendra-t-elle à résister au pouvoir de la Chine?

La cité-État est un refuge pour les détracteurs de la politique chinoise, un rôle qui pourrait être mis à mal par la loi d'extradition.

Des milliers de protestataires ont paralysé le centre de Hong Kong le 12 juin 2019. Tard dans la matinée, des représentant·es officiel·les du Conseil législatif (Legco) ont annoncé le report de la seconde lecture de la loi d'extradition. | Philip Fong / AFP
Des milliers de protestataires ont paralysé le centre de Hong Kong le 12 juin 2019. Tard dans la matinée, des représentant·es officiel·les du Conseil législatif (Legco) ont annoncé le report de la seconde lecture de la loi d'extradition. | Philip Fong / AFP

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La population hongkongaise est de nouveau dans la rue. Comme le souligne le South China Morning Post, les manifestations font partie de l'«ADN» de cette cité-État semi-indépendante: les petites manifestations sont très fréquentes et les plus grandes (souvent organisées pour défendre l'indépendance politique durement acquise de la ville), comme la dernière en date, reviennent tous les deux ou trois ans. Force est toutefois d'admettre que l'ampleur du mouvement actuel est sans commune mesure: des centaines de milliers de personnes ont défilé dimanche 9 juin contre un nouveau projet de loi d'extradition chinoise –l'une des plus grandes manifestations depuis la rétrocession de la ville à la Chine.

 

 

Lundi 10 juin, alors que la police anti-émeute affrontait un groupe de plusieurs centaines de manifestant·es non loin du Conseil législatif hongkongais (les manifestations de dimanche, beaucoup plus grandes, s'étaient peu ou prou déroulées dans le calme), Carrie Lam, cheffe de l'exécutif, a déclaré qu'elle refusait de renoncer au projet de loi. Il est débattu aujourd'hui, et sera certainement adopté –les député·es pro-Pékin disposent de la majorité des sièges.

 

 

Ce projet de loi permettrait à la cheffe de l'exécutif d'ordonner l'extradition de personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales vers des pays avec lesquels Hong Kong n'a pas d'accord en ce sens –y compris la Chine continentale.

Cité refuge

L'ancienne colonie britannique a été rétrocédée à la Chine en 1997, mais elle conserve son autonomie en vertu de l'arrangement «un pays, deux systèmes». Ce statut a permis à Hong Kong de devenir un pôle financier majeur sur la scène internationale et de conserver un degré de liberté politique sans pareil en Chine –la cité dispose notamment d'une assemblée démocratiquement élue et d'organes de presse libres (qui n'ont pas peur de ruer dans les brancards).

 

 

La Chine est aujourd'hui très forte, politiquement comme économiquement –la pression qu'elle exerce sur Hong Kong n'en est que plus écrasante. Le statut spécial de la cité prendra fin en 2047 en vertu d'accords préalables, mais les responsables politiques chinois·es ne semblent pas disposé·es à attendre –leur impatience a engendré plusieurs crises au fil des dernières années. En 2012, les Hongkongais·es sont descendu·es dans la rue pour protester contre l'introduction de cours d'«éducation patriotique» dans les programmes scolaires. En 2014, le mouvement Occupy Central, aussi appelé «révolution des parapluies», a paralysé le centre financier pour protester contre une réforme électorale prévoyant de soumettre les candidats aux postes de chef de l'exécutif hongkongais à l'approbation d'un comité électoral approuvé par Pékin.

Les partisans de la nouvelle loi d'extradition –dont Carrie Lam– affirment qu'elle ne sera utilisé que dans certaines situations bien précises, en citant le cas récent (et sordide) d'un Hongkongais qui, accusé du meurtre de sa petite amie à Taïwan, ne peut y comparaître faute de traité d'extradition entre les deux États. Ces mêmes partisans font également valoir que la population hongkongaise serait toujours en mesure de contester leur extradition devant une cour de justice; qu'aucune personne susceptible d'être soumis à la torture ou à la peine de mort ne serait extradé; que les personnes suspectées ne pourraient être extradées que pour des infractions également considérées comme illégales à Hong Kong. En outre, le gouvernement a retiré neuf types d'infractions financières de la liste des crimes et délits passibles d'extradition (suite à une levée de boucliers du secteur des affaires).

Les militant·es pro-démocratie hongkongais rejettent ces arguments en bloc: Hong Kong est un refuge pour les détracteurs de la politique de Pékin, un rôle qui pourrait selon eux être mis à mal par la nouvelle loi. Plusieurs incidents récents leur donnent raison. En 2015, cinq personnes liées à une librairie controversée (qui proposait notamment des ouvrages critiquant Pékin) ont disparu, pour refaire surface un peu plus tard –entre les mains des autorités de Chine continentale. Pékin se montre par ailleurs de plus en plus disposé à détenir des ressortissant·es étrangè·res pour des raisons politiques. En décembre dernier, le gouvernement a arrêté et accusé d'espionnage deux Canadiens: Michael Kovrig, ancien diplomate travaillant pour l'International Crisis Group, et Michael Spavor, consultant travaillant sur la frontière entre la Chine et la Corée du Nord. Les deux hommes ont été arrêtés peu de temps après que le Canada a mis en examen Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, à la demande des États-Unis; de nombreux observateurs estiment qu'il s'agit d'une mesure de représailles.

 

 

Hong Kong jouit d'un climat politique plus permissif, ce qui en fait la base des opérations de nombreuses ONG et journalistes (d'origines locales ou étrangères) ne pouvant exercer leur profession librement sur le continent. En théorie, la nouvelle loi serait conçue de manière à protéger ces personnes contre une extradition vers la Chine pour des motifs politiques; mais à en juger par la relative docilité du gouvernement hongkongais, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les dirigeants de la cité-État trouve un prétexte pour permettre à la Chine d'arrêter une personne considérée comme (plus ou moins) dangereuse sur son propre territoire.

La Chine contre les valeurs occidentales

De son côté, le gouvernement chinois a presque fait mine d'ignorer l'existence des manifestations, censurant toute référence aux événements dans les médias chinois. Le Global Times (quotidien d'État anglophone destiné à un lectorat international) a publié un éditorial expliquant que la nouvelle loi avait pour but d'empêcher Hong Kong de devenir le «paradis des criminels» et accusant certains gouvernements étrangers de jeter de l'huile sur le feu, en soulignant que Nancy Pelosi (président de la Chambre des représentants des États-Unis) et Mike Pompeo (secrétaire d'État des États-Unis) s'étaient dits préoccupés par la nouvelle loi.

Les manifestations ont éclaté une semaine après le trentième anniversaire du massacre de la place Tiananmen, événement commémoré tous les ans à Hong Kong par une veillée à la bougie, mais dont on ne se souvient presque pas (et que l'on commémore encore moins) en Chine continentale. (Cette année, nombre de militant·es ont dit craindre que la veillée de 2019 soit la dernière).

La veillée des bougies à Hong Kong le 4 juin 2018 à l'occasion du vingt-neuvième anniversaire de la répression des manifestations sur la place Tiananmen à Pékin en 1989. | Anthony Wallace / AFP

Les responsables politiques chinois·es invoquent souvent la culture de leur pays pour justifier leur autoritarisme, arguant que les individus qui réclament plus de démocratie et de liberté individuelle tentent d'imposer les valeurs et les idées politiques de l'Occident dans un pays et une culture avec lesquels elles seraient incompatibles. L'existence même de Hong Kong (et de Taïwan, sur laquelle la Chine fait de plus en plus pression) prouvent toutefois le contraire, tout comme le fait que les jeunes hongkongais·es se montrent plus critiques envers Pékin que leurs parents, en dépit de la prospérité et de l'influence culturelle croissantes de la Chine. Les citoyen·es hongkongais·es tenteront sans doute de résister, il y aura sans doute d'autres explosions de colère –mais combien de temps la cité-État parviendra-t-elle à résister au super-pouvoir voisin?

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