Économie

Ikea, l'entreprise en kit

Le groupe suédois a réussi à imposer son modèle sur les cinq continents. Sans chercher à s'adapter à chaque pays.

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Le conflit social s'enlise à Ikea France. Difficile de dire si l'image de la marque va en souffrir avec des conséquences négatives sur les ventes. Si tel était le cas, cela ne ferait guère plaisir à l'enseigne suédoise qui réalise 9% de son activité en France. Mais ce géant mondial (21,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires) est aussi présent dans 38 autres pays. Ses plus grands potentiels de croissance se trouvent maintenant très loin d'un marché européen encombré. C'est en Chine que le groupe écoule le plus de meubles en volume. Son huitième magasin devrait y ouvrir ses portes cette année. Il y a peu de différence entre ces usines à vendre asiatiques et celles que l'on a vu pousser dans les banlieues françaises depuis le début des années 80.

Partout, de Pékin à Vélizy, les mêmes produits et les mêmes méthodes commerciales ont réussi à s'imposer. Le catalogue est quasiment identique partout dans le monde. Ce serait le «livre» le plus diffusé sur la planète avec 160 millions d'exemplaires. Aucun pays ne semble résister au rouleau compresseur suédois. Un modèle de mondialisation implacable qui repose sur quatre piliers.

Low cost avant l'heure

Le prix bas est l'élément clé du modèle Ikea. Les meubles sont accessibles aux moins fortunés. Même dans les pays émergents, ils peuvent toucher une classe moyenne qui se développe. Pour limiter les coûts, l'enseigne a été la première à imaginer les meubles en kit, pas chers à fabriquer et faciles à transporter dans leur carton à plat. C'est le client qui prend en charge le montage et une partie de la logistique.

Si le distributeur suédois arrive à casser les prix, c'est aussi parce qu'il a été très tôt un champion de la délocalisation. Dès 1961, le fondateur Ingvar Kamprad s'est tourné vers la Pologne communiste pour y sceller des accords avec des usines locales. Selon le magazine Alternatives Economiques, Ikea compte aujourd'hui 1.220 fournisseurs dans 55 pays dont un tiers se trouve en Asie.

Au siège d'Älmhult en Suède, on imagine et on teste les produits mais presque tout est fabriqué dans les pays à bas coûts salariaux. Enfin, les magasins sont généralement situés en périphérie des grandes villes, entre deux bretelles d'autoroute, où les prix au m2 ne sont pas trop élevés. De quoi limiter les investissements immobiliers.

Des magasins révolutionnaires

L'un des coups de génie marketing du distributeur est d'avoir inventé le fameux parcours obligatoire. Aller chez Ikea, c'est piétiner des heures dans un labyrinthe, surpeuplé en fin de semaine. Un vrai bonheur. L'objectif est de vous présenter l'ensemble de l'offre pour susciter un achat même si celui-ci n'était pas prévu au départ. A chaque pièce correspond un univers d'appartement témoin à la déco moderne mais consensuelle.

Le distributeur a été le premier à mettre en scène son offre pour aider le client à visualiser le meuble dans son environnement naturel. On ne vous dira rien si vous vous affalez comme une loque sur les canapés. Ikea est à la fois un lieu de consommation et un endroit pour se promener le week-end. En Chine, c'est le must de la sortie détente en famille ou entre amis. Pour la plupart des Chinois, il n'est pas question d'acheter, simplement de rêver d'appartenir à la nouvelle classe moyenne du pays.

Comme le rapportait le blogueur Xiadong Du sur France24, Ikea Shanghai serait devenu une sorte de «parc de loisirs» où l'on vient flâner, manger une glace à 1 yuan ou même faire la sieste avant d'aller se requinquer au restaurant du magasin. Pour les directeurs locaux, pas de problème. Un jour, ces promeneurs se transformeront peut-être en consommateurs.

C'est suédois

Depuis le début, Ikea a mis en avant son identité suédoise. Le logo de la marque reprend les couleurs du drapeau national. Des couleurs (jaune et bleu) également omniprésentes dans la signalétique des magasins. Même les noms des produits (Karlstad, Leksvik, Stockholm...) fleurent bon le terroir scandinave, comme les menus servis au restaurant. Des noms pas toujours faciles à retenir mais qu'importe, seule compte la marque Ikea. Ce n'est pas un hasard non plus si tous les magasins disposent d'une épicerie suédoise.

Bien plus qu'une vitrine sympa pour la marque, ce business alimentaire représente un chiffre d'affaires non négligeable et peut-être même une véritable «vache à lait». Cette identité nordique est un atout important. Dans l'imaginaire collectif, la Suède a un côté rassurant, solide et vaguement écolo. D'autres marques, comme Volvo ou Saab dans l'automobile, ont longtemps joué avec succès sur le même registre.

Un management «cool»

Tutoiement généralisé, tenue cool du magasinier au PDG, collaboration au sein des équipes de vente, autonomie des cadres, parité homme-femme... c'est le management à la scandinave qui est appliqué par l'entreprise. Ces méthodes se basent sur le «testament d'un négociant en meubles » (Ingvar Kamprad). Une «bible» que peuvent consulter tous les salariés. Y sont prônées les valeurs d'humilité, de respect mutuel, d'entraide dans l'adversité...

Pour l'entreprise, c'est le meilleur moyen d'entretenir la motivation des troupes et de fidéliser les «collaborateurs». Effectivement, pendant longtemps, ces méthodes ont bien fonctionné. On restait bosser chez Ikea pour la bonne ambiance et la convivialité. Mais il semble qu'en grandissant le groupe suédois a commencé à négliger cette fibre sociale.

Le conflit actuel en serait donc le symptôme. Certes, en France, les salaires du groupe restent supérieurs à la moyenne dans le secteur de la grande distribution. Mais côté conditions de travail, ça ne rigole plus du tout. Moins de personnel mais toujours autant de boulot et de pression: Ikea est rentré dans le rang. Dans «Le Monde» du 24 février, une employée s'exprimait ainsi: «on continue de se dire "tu" mais on trime».

Bruno Askenazi

Image de une: magasin Ikea en Israël, août 2009. REUTERS/Ronen Zvulun

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