Boire & manger

Le Negresco à Nice et le Martinez à Cannes, hôtels d'exception

Deux grands hôtels de la Côte d'Azur en pleine lumière.

Le Negresco, institution niçoise | Claes Bech Poulsen
Le Negresco, institution niçoise | Claes Bech Poulsen

Temps de lecture: 9 minutes

La disparition de Jeanne Augier en janvier 2019, propriétaire légendaire du palace niçois depuis 1957 au dôme rose et blanc, n'a pas ralenti la vogue du Negresco fondé par Monsieur Negresco en 1912 et actuellement titulaire du 2e Label entreprise du patrimoine vivant: c'est le premier mythe hôtelier de la Riviera française avec l'Hôtel de Paris à Monaco et le Carlton de Cannes.

Madame Jeanne Augier | © Le Negresco

Le Negresco aux 120 clés n'a jamais mieux marché, le taux d'occupation atteint des sommets et l'effet chinois consécutif au séjour du président Xi Jinping il y a quelques semaines provoque des réservations de clients de Pékin, de Shanghai et même de Hong Kong.

Nice connaît cette année une affluence exceptionnelle et le Negresco reste un atout de poids, il n'a pas de rival dans la Cité des Anges: c'est le Ritz de la Promenade des Anglais.

Salle du restaurant Chantecler à l'Hôtel Negresco | © Claes Bech Poulsen

Sa situation privilégiée face à la mer et aux plages n'est pas le seul avantage. Veuve de son hôtelier de mari, Jeanne Augier a incarné la permanence du palace qu'elle a dirigé en personne durant plus d'un demi siècle, elle a vécu au 6e étage du Negresco et avait sa table (la 12) au Chantecler d'où elle pouvait observer ses hôtes et le timing du service. C'est elle qui a engagé Jacques Maximin, le nordiste devenu avec le temps le grand chef azuréen double étoilé, le Bonaparte de la cuisine nissarde valorisée par Jacques Médecin, le maire, excellent gourmet, dans les années d'après guerre.

Jean-Denis Rieubland, chef pendant dix ans au Chantecler, deux étoiles, a défendu dans un livre remarquable la vérité des recettes ancestrales de sa ville: la salade niçoise (sans pommes de terre), les pâtes au pistou, les raviolis de daube de bœuf, l'aïoli, la tourte aux blettes et la socca à base de farine de pois chiches… la cuisine nissarde mérite d'être valorisée.

Oui, Jeanne Augier a été l'âme du Negresco. Dans le magnifique Salon Royal, au rez-de-chaussée, on peut découvrir sa collection d'œuvres d'art: le portrait de Louis XV par Louis-Michel van Loo offert par le roi à l'archevêque de Paris, la Fête à Venise, une gigantesque fresque de Paul Gervais donnée pour l'inauguration de l'hôtel, un ensemble de sculptures de Dali, de Nikki de Saint-Phalle dont l'impressionnante Nana Jaune, des toiles de Jean-Pierre Vasarely dit Yvaral, des appliques géantes en bois doré, des voitures d'enfants et une série de robes de grands couturiers, Pierre Balmain, Nina Ricci, Pierre Cardin portées par Jeanne Augier.

Voilà un véritable musée personnalisé, bien situé dans ce grand salon à colonnes où l'on peut accueillir des centaines de convives: c'est le cœur du Negresco et le legs de sa propriétaire si généreuse aux vivants. Sa mémoire mérite d'être saluée. Tous les grands hôteliers du monde et le milliardaire Bill Gates ont voulu s'offrir le Negresco.

Virginie Basselot, cheffe du restaurant Chantecler | © Kasia

Deux restaurants

Pour l'heure, la bonne chère est célébrée dans les deux restaurants: le Chantecler aux boiseries brunes et tapis coloré jouxtant la Rotonde où l'on sert le petit déjeuner et le repas de midi. Une grande cuisinière, Virginie Basselot, a été engagée en 2018 et elle a obtenu deux étoiles au Relais & Châteaux l'Hôtel Saint-James en 2012.

C'est le directeur général du Negresco, Pierre Bord, qui est allé la chercher à l'Hôtel Bellevue de Genève –un très bon choix. Cette jeune femme a été formée trois ans par Guy Martin au Grand Véfour, puis est arrivée au Bristol parisien animé par Éric Fréchon, chef star trois étoiles, un remarquable passeur de principes et de recettes haut de gamme.

Au restaurant Chantecler de l'Hôtel Negresco, homard, calamars, courgettes, jus et poivrons | © Claes Bech Poulsen

Dans la vaste cuisine du Bristol, Virginie Basselot savait concocter la poularde en vessie d'une extraordinaire complexité. Aussi s'est-elle affirmée et a gagné le titre de Meilleur Ouvrier de France côté cuisine en 2015, en plus de ses deux étoiles conservées à Nice au Chantecler: un palmarès unique. Eric Fréchon reconnaît ses qualités comparables à celles d'Anne-Sophie Pic à Valence: même sens de la vérité des assiettes, de la rigueur et de la finesse.

Au restaurant Chantecler de l'Hôtel Negresco, tourteaux en vinaigrette, avocat et crémeux de corail | © Claes Bech Poulsen

Au restaurant gastronomique Chantecler, Virginie panache des plats classiques comme le tartare de bar et huîtres, le sublime dos de cabillaud cuit au plat (56 euros) et des plats d'inspiration méditerranéenne: la volaille Terre de Toine (près de Nice) et les petits pois à la française (75 euros) et la burrata des Pouilles fumée aux fleurs de courgettes, le légume azuréen. Ces préparations sont inscrites dans des menus copieux, bienvenus et pas donnés.

Au restaurant Chantecler de l'Hôtel Negresco, dôme vanille fraise | © Claes Bech Poulsen

Toujours présente aux fourneaux, Virginie Basselot est une saucière remarquable et une artiste des cuissons. Elle est sur le chemin de la troisième étoile si elle étoffe plus sa carte classique et personnelle. On vient dans cette salle à manger au décor chargé pour elle et sa partition éblouissante.

À la Rotonde, c'est la tradition niçoise revisitée: le ceviche de dorade sauce ponzu (58 euros) voisine avec le risotto crémeux aux asperges (28 euros). Rosé de niçois de Bellet du Château de Crémat, élégant et long (15 euros le verre).

Concernant l'avenir proche du Negresco qui n'est pas à vendre, la succession de Jeanne Augier est en voie de règlement. Une fondation est en projet avancé afin de préserver le grand hôtel tel qu'il est, dans sa beauté historique. Les palaces ne meurent jamais si on sait les maintenir en vie, ce qui se passe aujourd'hui à Nice: personnel excellent, fier d'être là pour vous servir.

Junior Suite à l'Hôtel Negresco | © Claes Bech Poulsen

37 Promenade des Anglais 06000 Nice. Tél.: 04 93 16 64 00. Menus au Chantecler à 150 et 230 euros. Carte de 120 à 160 euros. Au dîner seulement. Fermé dimanche et lundi. A la Rotonde, plats du jour niçois à 19,50 euros et menu à 39 euros. 99 chambres et 26 suites à partir de 280 euros. Bar tout en boiseries pour la clientèle. Voiturier et chasseur.

L'Hôtel Martinez, une renaissance magistrale

Localisé sur la Croisette, le Martinez est l'un des trois palaces historiques de Cannes avec le Carlton et le Majestic. Il a été repensé, reconstruit à l'initiative de la chaîne Hyatt par le fameux architecte Pierre-Yves Rochon, 40.000 mètres carrés pour 409 clés dont 99 suites, 18 mois de travaux pour 180 millions d'euros au bas mot. Un pari sur l'avenir.

Façade Hôtel Martinez | © Jean-François Romero

C'était la belle endormie de l'hôtellerie de luxe cannoise. Le premier propriétaire, Emmanuel Martinez, un investisseur italien, a acheté en 1929 l'hôtel haut de sept étages –un des plus vastes établissements hôteliers de la Côte d'Azur.

C'était la belle époque des Années Folles, de la joie de vivre, de concours de pin-up et de soirées extravagantes. C'est là qu'a été lancée, face à la mer, la première saison d'été en complément des festivités hivernales inventées par la gentry anglaise sous la férule de Lord Brougham, le promoteur de l'art de vivre azuréen –soleil et farniente pour ces premiers touristes dont les grand ducs de Russie.

Sur le prestigieux Livre d'Or, on trouve des signatures illustres: Paul Valéry le sétois, le duc de Montmorency, André Citroën (ses voitures défilent sur la croisette), la Belle Otero, l'archiduc François Joseph et une kyrielle de «rich and famous» qui découvrent le plaisir des bains de mer en maillots de bains, une innovation qui fera date.

Dès 1946, date du premier Festival de Cannes, le Martinez accueille des stars du 7e Art: Michèle Morgan, Henri-Georges Clouzot, Jane Mansfield, le poète écrivain Jean Cocteau qui s'apprête à tourner son troisième film, L'Aigle à deux têtes (1947).

Bousculé par les aléas du temps et la valse des investisseurs et propriétaires, le Martinez a maintenu son statut de palace grâce à Jean Taittinger, PDG du groupe Concorde, qui l'a sorti des péripéties rocambolesques et des procès retentissants.

Véritable hôtelier visionnaire, l'ancien ministre et maire de Reims a mené des travaux de modernisation (déjà) et engagé Christian Willer, un chef cuisinier alsacien de grand talent qui a décroché deux étoiles au Michelin –les premières à ce niveau de prestations gastronomiques à Cannes. Le maestro humble, très regretté, composait des super menus pour cinquante gourmets aussi bien que des réceptions pour trois mille clients sur la plage– sa mémoire est vivace sur la Croisette. Et à La Palme d'Or, un balcon sur la mer, Christian Sinicropi son disciple poursuit son œuvre culinaire avec une vraie créativité.

Christian Sinicropi, chef exécutif du restaurant La Palme d'Or à l'Hôtel Martinez | © Franck Leclerc

Confié à Pierre-Yves Rochon qui avait redessiné La Palme d'Or, l'énorme chantier –des grues sur le site pendant des mois– a constitué un retour aux sources: l'art de vivre réinventé sur la French Riviera. Cet architecte cultivé, humaniste –choisi par Joël Robuchon pour ses trente Ateliers et restaurants– entendait restituer à l'un des emblèmes historiques du luxe cannois toutes ses lettres de noblesse. Il s'agissait de livrer un palace mieux construit, plus contemporain que l'ancien en préservant les volumes, la lumière, les matériaux et un jardin à la place de la piscine extérieure: on prend ses repas face à la mer comme à la plage de l'hôtel.

La Plage du Martinez | © Jean-François Romero

Pour Rochon, une œuvre monumentale. D'abord respecter le style Art Déco, ce que l'on voit dès la porte d'entrée majestueuse, le lobby est baigné de lumière naturelle associée au marbre blanc rehaussé par un lustre grandiose dessiné pour l'hôtel. En face, un superbe escalier enroulé autour des sept étages: en levant la tête, on aperçoit le puits de lumière dressé jusqu'au sommet –une vision stupéfiante.

L'architecte Pierre-Yves Rochon et les cadres du Hyatt, Alessandro Cresta et Ludovic Simon, en charge de l'hôtel à renaître, ont conduit une politique de développement durable lié à l'environnement: des opérations de nettoyage des espaces naturels ont lieu aux côtés de l'association Méditerranée 2000.

De ce point de vue, le programme géant de rénovation (le mot est faible) a tendu à réduire son impact environnemental par l'installation d'ampoules à économie d'énergie et par la gestion centralisée du chauffage, de la climatisation et de l'éclairage.

Le Martinez participe chaque année à l'opération Earth Hour (une heure pour la planète) en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique. Le groupe Hyatt a installé une éthique élevée, le personnel est gratifié et heureux. La clientèle du nouveau Martinez n'a jamais été aussi satisfaite et choyée.

Des chambres et suites d'exception en bord de mer

Pierre-Yves Rochon s'est attaché à réaliser 409 chambres de style Yachting. Aux meubles blancs laqués s'ajoutent des touches colorées, de bleu clair et de jaune, évocatrices de l'univers de la mer et du soleil. Le jeu des miroirs, les matelas moelleux, les malles de voyages, les salles de bains en marbre accroissent le bien-être des chambres et appartements.

Au 7e étage, les vastes suites dont l'une de 1.670 mètres carrés sont logées dans le ciel cannois, 100 mètres carrés en moyenne, plus une terrasse pour douze «Prestige mer» utilisées pour des expositions, défilés et conférences. On le sait, Cannes vit en partie des congrès, des séminaires et du festival de cinéma, 35.000 visiteurs en mai 2019.

À l'Hôtel Martinez, suite des Oliviers | © Jean-François Romero

Grâce à ce formidable programme de restructuration de l'hôtel intégrant depuis 2018 la marque The Unbound Collection by Hyatt, le Martinez a conquis un statut enviable de palace d'avenir, il est en avance sur son temps.

La Palme d'Or, grande table moderne

Salle du restaurant La Palme d'Or | © Jérôme Kelagopian

Râblé, l'esprit ouvert, créateur d'assiettes en céramique avec son épouse Catherine, Christian Sinicropi, 45 ans, a succédé à Christian Willer au poste de chef exécutif du grand restaurant doté d'une terrasse sur la mer. En une dizaine d'années, ce chef azuréen très rigoureux sur l'origine des produits –poisson de petite pêche, légumes du marché dont Forville à Cannes– a épuré son style et évacué les garnitures inutiles.

Au restaurant La Palme d'Or de l'Hôtel Martinez, gamberoni | © Jérôme Kelagopian

À côté des préparations inventives, très savantes comme le sabayon de ris de veau et noix de Saint-Jacques (92 euros) et le turbot sauvage cuit sur l'arête aux légumes de saison (134 euros), il propose trois façons de métamorphoser la langoustine d'Écosse (une merveille de goût) dont il met en relief la chair crue, la texture croustillante et le puissant gamberoni plongé dans un bouillon corsé de pot-au-feu, un mariage superbe de saveurs fortes: ce trio de crustacés translucides mouillés de sauces parfumées vaut à lui seul trois étoiles.

Au restaurant La Palme d'Or de l'Hôtel Martinez, agneau Allaiton | © Thuries Magazine, Pascal Lattès

De cette carte courte, toutes les préparations d'un classicisme bienvenu dépassent le niveau deux étoiles auquel le Michelin le maintient. Les inspecteurs du guide rouge doivent revoir leur jugement dans l'édition 2020. Il est temps d'honorer la maestria de ce chef bon formateur, créateur de plats sudistes de haute cuisine.

Au restaurant La Palme d'Or de l'Hôtel Martinez, maquereau et escabèche | © Jérôme Kelagopian

73 boulevard de la Croisette 06400 Cannes. Tél.: 04 93 90 12 34. À La Palme d'Or, menus à 148, 158, 205 et 225 euros. Ouvert du mardi au samedi au dîner seulement, et au déjeuner le samedi. À la Plage du Martinez, seconde table, pizza familiale, risotto, bouillabaisse, ponton et repas excellents du chef Matthieu Molero. Ouvert toute l'année. Soirée guinguette le jeudi au Jardin. Spa L.Raphael, soins et traitements innovants pour la peau, le visage et le corps. Chambres à partir de 280 euros, tarifs avantageux hors saison. Voiturier, parking.

Au restaurant La Plage du Martinez, Healthy Poke Bowl | © Jérôme Kelagopian

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