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Siéger au Parlement européen avec moins de 12.000 voix? C'est possible

Plus de 300 millions de personnes issues de vingt-sept pays sont appelées aux urnes pour élire 705 eurodéputé·es –dont un siège un peu particulier.

Le Parlement européen à Strasbourg. | Tristan Mimmet via <a href="https://pixabay.com/fr/photos/strasbourg-parlement-europ%C3%A9en-1680480/">Pixabay</a>
Le Parlement européen à Strasbourg. | Tristan Mimmet via Pixabay

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Vous saviez, sans doute, que la Belgique comptait deux communautés linguistiques. Les néerlandophones (principalement au nord du pays et un peu à Bruxelles) et les francophones (en Wallonie et en majorité dans la capitale) qui s'écharpent, parfois, sur les questions communautaires.

Vous saviez peut-être moins que des gens parlaient la langue de Goethe au Plat Pays: la communauté germanophone de Belgique.

Pourtant, la Ostbelgien (Belgique de l'Est, en allemand) fête cette année ses 100 ans. C'est lors du Traité de Versailles que les cantons de l'Est, appartenant auparavant à la Prusse, furent rattachés à la Belgique après la Première Guerre mondiale. Les germanophones seraient, aujourd'hui, environ 76.000 regroupé·es sur une surface de 854 kilomètres carrés. Cette communauté a son propre gouvernement, un parlement de vingt-cinq membres, une représentation garantie au Sénat belge et ce siège réservé à la députation qui fait parler.

Lors du dernier scrutin, en 2014, la liste du Christlich Soziale Partei [CSP, Parti social-chrétien, ndlr], n'avait ainsi eu besoin que de 11.710 voix pour envoyer Pascal Arimont au Parlement européen. Dans le même temps, 555.438 néerlandophones avaient glissé un bulletin en faveur du S.pA, les socialistes flamands n'avaient eu le droit qu'à un seul siège de député·e. Récemment, l'étude d'un politologue belge a pointé du doigt «le manque de représentativité» du siège européen de la communauté.

En principe, la proportionnalité

Avant d'aller plus loin, pour que tout le monde comprenne bien, il convient de rappeler quelques règles régissant ces élections européennes. Et notamment le fait que le système de répartition du nombre de député·es par États membres «ne respecte pas le principe “un homme, une voix"», explique Olivier le Bussy, journaliste à La Libre Belgique dans son livre L'Union européenne, une utopie en péril? «Les plus grands États, comme la France, sont sous-représentés dans l’hémicycle contrairement aux petits États comme le Luxembourg pour assurer une représentation minimale (six élu·es) de tous les pays de l'Union», écrit-il.

De même, chaque pays de l'Union européenne a le droit de choisir librement le découpage électoral du scrutin. Depuis la loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, la France, par exemple, a choisi une circonscription unique sur l’ensemble du territoire. En clair: que l'électorat français vote à Brest, Lille, Strasbourg ou Marseille, il aura le choix entre les mêmes listes.

La Belgique, au contraire, a opté pour quatre circonscriptions électorales: flamande, wallonne, germanophone et bruxelloise. Les listes sont, quant à elles, établies au niveau de trois collèges électoraux linguistiques (la population bruxelloise pourra voter soit pour des listes francophones, soit pour des listes néerlandophones). Le collège électoral francophone désigne huit représentant·es, le collège néerlandophone douze et le collège germanophone un député·e.

Certaines dispositions sont, en revanche, communes à tous les pays sur lesquelles les vingt-sept ne peuvent pas transiger. Parmi elles, il y a le principe de proportionnalité signifiant que le nombre de sièges remportés est proportionnel au nombre de votes. «Dans chaque État membre, les membres du Parlement européen sont élus au scrutin [...] de type proportionnel», est-il écrit dans l'article 1 de la décision 2002/772/CE.

En principe, la proportionnalité est respectée, aussi, dans l'Est de la Belgique. Le hic, c'est que l'électorat germanophone ne doit désigner qu'un·e député·e.

 

Moins d'un tiers de l'électorat représenté

Dans son étude écrite sous la coupe de la KU Leuven Katholieke Universiteit Leuven ou université catholique de Louvain), le politologue belge Mike Mettlen précise, d'entrée, que le but de son papier «n'était pas du tout» de remettre en question le siège qui «protège une minorité nationale» mais de montrer son «déficit démocratique». Son constat: «C'est la seule circonscription de l'Union européenne dans laquelle seulement 30,36% des électeurs sont représentés​.» Le scrutin germanophone serait, dans les faits, un «scrutin uninominal majoritaire à un tour».

Part de l'électorat non représenté lors des dernières élections européennes. | Mike Mettlen

Pascal Delwit, professeur de science politique à l'université libre de Bruxelles (ULB) confirme: «Pour que le mode de scrutin soit proportionnel, pour qu'il y ait une forme de représentation, une condition absolument minimale est qu'il y ait plus d'un siège à distribuer. Le niveau de la proportionnalité est intimement lié au nombre de sièges à distribuer, ce qu'on appelle la magnitude. Plus la magnitude est élevée, moins la proportionnalité est forte, moins elle l'est moins la proportionnalité est forte. Une circonscription avec un siège ne répond pas aux standards d'une élection au mode de scrutin à la proportionnelle. C'est une bizarrerie et une anomalie dans le système électoral belge.»

Siéger par rotation 

Ce type de scrutin favoriserait les grands partis. En l'occurrence, en 2014, six listes s'étaient présentées pour briguer un seul siège et c'est le CSP qui l'a donc emporté. Depuis vingt-cinq ans, le parti empoche à chaque fois le siège européen de la communauté. En 2014, Pascal Arimont a ainsi succédé à son ancien patron Mathieu Grosch (Pascal Arimont a été son assistant parlementaire entre 1998 et 2002).

Dans son papier, le chercheur a pensé à plusieurs possibilités pour rendre le vote plus représentatif. Parmi elles, il y a notamment la combinaison de listes qui est utilisée aux Pays-Bas, au Danemark et en Finlande. Plusieurs partis scelleraient un accord de coalition avant le scrutin pour additionner leurs voix. La tête de liste du parti le plus puissant de cette coalition serait élu député européen. «Des combinaisons de listes au sein de circonscriptions uninominales et entre plusieurs partis politiques permettraient une concurrence loyale entre tous les partis, car le plus puissant ne serait plus automatiquement élu», écrit Mike Mettlen dans son étude.

Autre solution proposée: la rotation parlementaire. En Espagne, par exemple, lors des élections européennes, plusieurs partis se sont déjà regroupés au sein d'une coalition: Europa de los Pueblos-Verdes (L'Europe des Peuples-les Verts): Esquerra Republicana de Catalunya, Bloque Nacionalista Galego, Aralar, Eusko Alkartasuna, Chunta Aragonesista, Entesa per Mallorca, Los Verdes.

Entre 2009 et 2014, les trois têtes de listes de cette coalition ayant recueilli le plus de voix se sont succédé en suivant la logique d'«un tourniquet» pour assurer la députation: Oriol Junqueras (Esquerra Republicana de Catalunya), Ana Miranda (Bloque Nacionalista Galego) et Iñaki Irazabalbeitia (Aralar). «Certains partis ont trouvé ce modèle intéressant mais le parti qui bénéficie depuis très longtemps du système actuel n'est pas très enthousiaste vis-à-vis de cette formule. Il n'y a pas eu d'accord politique», indique le sénateur socialiste Karl-Heinz Lambertz, ministre-président de la Communauté germanophone de Belgique de 1999 à 2014 et président du Comité européen des régions.

 

 

A la fin du mois, l'électorat aura donc le choix entre sept listes séparées, soit une de plus qu'en 2014. De leur côté, le CSP et Pascal Arimont, n'ont pas donné suite à nos demandes d'interviews.

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