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Pete Buttigieg, candidat à la présidentielle américaine, gay, chrétien, progressiste

La cote de popularité du Démocrate ne cesse de grimper et avec elle, l'optimisme des minorités sexuelles.

Pete Buttigieg annonce être candidat à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de 2020, le 14 avril 2019 à South Bend (Indiana). | Joshua Lott / AFP
Pete Buttigieg annonce être candidat à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de 2020, le 14 avril 2019 à South Bend (Indiana). | Joshua Lott / AFP

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LOS ANGELES, ÉTATS-UNIS

«L'histoire des LGBT vient de changer aujourd'hui», s'exclame Bobby Beus, un volontaire de 47 ans. La quarantaine de personnes réunies dimanche 14 avril dans un appartement de West Hollywood crie, pleure, rit après ces quelques mots de Pete Buttigieg prononcés à la télévision: «I'm running for president» («Je me présente à la présidence»).

Encore inconnu il y a quelques semaines, ce maire de South Bend, une petite ville de l'Indiana, suscite les espoirs au sein de la communauté LGBT+ aux États-Unis: ouvertement homosexuel, jeune (37 ans) et progressiste. Une sorte d'anti-Trump, qui revendique un besoin de renouvellement des classes politiques. Le remuant candidat à l'investiture démocrate occupe pour l'instant la troisième place dans les intentions de vote avec 11% des suffrages selon un sondage réalisé dans l'Iowa, le premier État à voter pour les primaires. Il se place juste derrière l'ancien vice-président Joe Biden (76 ans) et le sénateur du Vermont Bernie Sanders (77 ans).

Pete Buttigieg annonce être candidat à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de 2020, le 14 avril 2019 à South Bend (Indiana). | Scott Olson / Getty Images / AFP

Bobby Beus dissimule difficilement ses larmes derrière ses lunettes. Il arbore fièrement son t-shirt arc-en-ciel «Pete 2020» devant la retransmission du discours de candidature de Pete Buttigieg. «Profitez de ce moment historique les amis», s'égosille-t-il, alors que les autres volontaires scandent «BOOT EDGE EDGE», un des slogans du candidat, qui permet de prononcer convenablement son nom d'origine maltaise («Boudèdgedge»).

Pour Rachel Bracker, 27 ans et bisexuelle, celui qu'on surnomme aussi Mayor Pete est l'avenir du Parti démocrate. «C'est un candidat sérieux, LGBT, qui partage une partie de mon identité et dont les valeurs vont au-delà du clivage politique démocrate/républicain», explique-t-elle. Et d'ajouter: «Il peut apporter une énergie nouvelle et il incarne la nouvelle génération de dirigeants démocrates, après les vagues d'homophobie et #MeToo.» Un avis partagé par Paola Ferrari, une trentenaire, robe rouge et coupe à la garçonne, qui accueille une des 400 Watch Parties à travers le pays. «C'est le candidat le plus crédible, qui est capable d'apporter des réponses, faire de nouvelles propositions et qui peut accomplir beaucoup de choses. Et surtout nous rassembler.»

Gay et chrétien pratiquant

Côté programme, Pete Buttigieg entend réformer le port d'armes, se pose en défenseur du climat et des droits des personnes trans, réclame l'assurance santé pour tous et veut abolir le collège électoral. À la fois cool et intello, il séduit les médias et les progressistes: diplômé des universités d'Harvard et d'Oxford, il parle sept langues en plus de l'anglais –dont le français qu'il maîtrise très bien, comme il l'a montré dans son message de soutien après l'incendie de Notre-Dame. Le maire joue aussi bien du piano que de la guitare et c'est un vétéran de la guerre en Afghanistan. Des soutiens de poids se sont ralliés à lui, à l'instar de l'animatrice et humoriste Ellen DeGeneres, figure de proue de la lutte contre l'homophobie aux États-Unis, qui s'est réjouie du discours du candidat, à la fin duquel son époux Chasten Glezman l'a rejoint sur scène pour l'embrasser, sous les cris de joie du public.

Chrétiens pratiquants, les deux hommes se sont mariés religieusement l'été dernier, après que Mayor Pete a fait son coming out dans la presse locale. Être gay et chrétien dans l'État conservateur de l'Indiana le démarque d'ailleurs de nombre de candidat·es, même si la religion fait son retour chez les Démocrates. «Ce n'est pas le seul candidat à revendiquer sa religion à gauche, à l'instar d'Elizabeth Warren ou Cory Booker, et cela plaît beaucoup chez les Démocrates», commente Julian Zelizer, professeur d'histoires et d'affaires publiques à l'Université de Princeton et analyste politique sur CNN.

«Si sa candidature devient sérieuse, il n'échappera pas aux remarques des Républicains sur son orientation sexuelle»

Julian Zelizer, professeur d'histoires et d'affaires publiques à l'Université de Princeton

Après deux années d'administration Trump, couplées à la défaite d'Hillary Clinton en 2016, le Parti démocrate compte désormais mettre en avant les femmes et les minorités pour la prochaine présidentielle. «La primaire des Démocrates est très diverse: un homme gay qui est marié, plusieurs Afro-Américains, des femmes. Ils se veulent plus représentatifs du XXIe siècle et se posent en rempart du Parti républicain des hommes blancs», selon Julian Zelizer.

Il tempère toutefois sur la possibilité de voir un président gay dès 2020. «Même si une majorité d'Américains seraient favorables à l'élection d'un président homosexuel, je crois que si sa candidature devient sérieuse, il n'échappera pas aux remarques des Républicains sur son orientation sexuelle», analyse encore Julian Zelizer. Ce fut déjà le cas avec avec le vice-président en exercice Mike Pence par déclarations interposées. Lors de son discours au Victory Fund le 7 avril à Washington, Buttigieg a accusé le vice-président d'avoir un problème avec son orientation sexuelle. «Si vous avez un problème avec qui je suis, votre querelle n'est pas avec moi monsieur, elle est avec mon créateur», a-t-il lancé à l'ancien gouverneur de l'Indiana (2013-2017). Ce dernier a démenti les accusations en répondant aux questions de CNN. «Tous les citoyens de ce pays ont le droit d'avoir des convictions religieuses [...] J'espère que Pete a mieux à offrir aux Américains que des attaques sur ma foi chrétienne ou contre le président», a-t-il rétorqué.

Pas «assez gay»?

Les critiques ne manquent pas, aussi bien chez les Républicains que chez les Démocrates. Certains assènent qu'il n'est pas «assez gay», d'autres qu'il est «blanc» ou qu'il est le «mauvais candidat» pour les homosexuel·les aux États-Unis, comme dans cette tribune publiée par The Outline. Ce à quoi d'autres répondent par des appels au rassemblement pour ne pas se tirer une balle dans le pied en 2020. «Si les Démocrates préfèrent détruire eux-mêmes leurs chances de retrouver la Maison-Blanche avant même les primaires de 2020, c'est leur prérogative. Et s'ils continuent à attaquer des candidats en se basant sur leur identité plutôt que sur leur politique, Donald Trump pourrait être assuré d'un second mandat dans le Bureau ovale», écrit le journaliste Chris Riotta dans The Independent.

Jeffry Iovannone, professeur à l'Université de New York à Fredonia et fondateur de la publication Queer History for the People, regrette pourtant que Pete Buttigieg ait mis en avant son mariage comme si cela pouvait le rendre plus acceptable aux yeux des Américain·es. «Ce n'est pas parce que ce candidat est ouvertement gay que s'il est élu, les droits des LGBT+ vont s'améliorer. La manière dont il s'est présenté soulève également des questions sur son agenda politique et à quel point il sera progressif, notamment pour la communauté LGBT+.» Il juge irresponsable le message porté par le candidat lorsqu'il s'est exprimé, le 7 avril dernier, au dîner annuel du Victory Fund, une organisation qui se consacre à la hausse du nombre d'élu·es ouvertement LGBT+. «Quand j'étais jeune, j'aurais tout fait pour ne pas être gay [...] À l'âge de 25 ans, si vous m'aviez offert une pilule pour me rendre hétérosexuel, je l'aurais prise avant même que vous ayez eu le temps de me donner une gorgée d'eau», a-t-il dit.

Près de 750 candidat·es LGBT+ pour les midterms

La cote de popularité de Buttigieg ne cesse pourtant de grimper, comme le montre ce récent sondage réalisé par Change Research, avec un bond de 15 points dans les intentions de vote, passant de 2% en mars à 17% au mois d'avril, réduisant l'écart avec le duo de tête Biden-Sanders. «Pete ne se singularise pas uniquement par son homosexualité, mais parce qu'il du Midwest, que c'est un vétéran, qu'il est de la génération des millennials et qu'il sait que les gens ont besoin de nouvelles têtes», estime Annise Parker, ancienne maire de Houston, qui fut la première femme élue ouvertement homosexuelle dans une grande ville américaine. «La chose la plus intéressante aujourd'hui, c'est qu'avoir un candidat LGBT+ qui se lance dans la course à la présidence est devenu normal dans les discussions», poursuit celle qui dirige désormais le Victory Fund et qui espère voir une «Rainbow wave» [vague arc-en-ciel, ndlr] aux prochaines élections.

Le mandat de Donald Trump, marqué notamment par les mesures anti-trans, a poussé les membres de la communauté LGBT+ à se lancer en politique lors des élections de mi-mandat en novembre dernier. «J'ai déjà constaté une hausse du nombre de candidats LGBT+. Il n'y en a jamais eu autant qu'en 2018 où ils étaient près de 750. En 2020, ce nombre va être surpassé et Pete va mener campagne pour qu'ils soient encore plus nombreux», se réjouit Annise Parker.

L'ancienne édile jubile d'autant plus car selon elle, sa notoriété va permettre «d'accroître la visibilité de la communauté LGBT+ et la faire entrer dans une nouvelle dimension». De là à être le plus jeune occupant de la Maison-Blanche et le premier ouvertement gay? «Je pense que Pete Buttigieg sera président des États-Unis et j'espère que ce sera dès 2020», rêve Bobby Beus, qui à la fin du discours n'a presque plus de voix.

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