Culture

«Game of Thrones» pourrait bien nous offrir une représentation de ce que sera notre avenir

La série adaptée des romans de George R.R. Martin a beau être sans rapport avec la véracité historique, elle n'en intéresse pas moins les universitaires.

 «Game of Thrones» met en scène les craintes liées aux changements du monde dans lequel nous vivons et à la peur de l’autre. | HBO
«Game of Thrones» met en scène les craintes liées aux changements du monde dans lequel nous vivons et à la peur de l’autre. | HBO

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Le magazine Historia (avril-juin 2019) vient de publier un hors-série dont le titre a, de prime abord, de quoi intriguer: «Game of Thrones, la série événement à la lumière de l’Histoire.» Le numéro est cosigné par une palette d’universitaires: deux spécialistes de littérature (ce qui n’a rien d’étonnant, puisque George R.R. Martin est un romancier); et douze spécialistes d'histoire –depuis la jeune post-doctorante jusqu'au professeur émérite. On y trouve une majorité de médiévistes, mais aussi des spécialistes de l’Antiquité et de l’époque moderne.

Bien sûr, les historien.nes n’étudient pas seulement des textes écrits avant eux par d’autres. Les universitaires peuvent aussi se pencher sur des œuvres littéraires, des objets artistiques, des films, etc. Dans ce sens, tout est historique, ou peut le devenir, dès lors qu’on l’aborde avec une certaine méthode et au travers de questionnements propres aux sciences humaines.

Il est ainsi possible d’étudier l’Iliade ou la Bible à la lumière de l’histoire, par exemple en tentant de faire la part entre ce qui s’est réellement passé il y a trois mille ans et ce qui a été inventé. Les spécialistes d'histoire y parviennent notamment par la confrontation des sources. C’est ainsi qu’on a vu le développement d’une archéologie biblique; ou encore de recherches sur l’Âge du bronze dans le monde égéen, initiées par Heinrich Schliemann, qui découvrit l’ancienne Troie, prouvant qu’il y avait bien un fond historique sous les récits épiques élaborés plus tard.

La Bible ou l’Iliade, qui ne sont pas des textes écrits dans une perspective historique, nous livrent donc de précieuses informations sur l’histoire des Hébreux ou des Grecs dans l’Antiquité.

Une série qui en dit plus sur notre époque que sur le passé

En revanche Game of Thrones ne nous dit rien du passé, du moins pas de manière directe, puisqu’il s’agit d’une œuvre contemporaine. Le premier tome du Trône de fer (A Song of Ice and Fire) a été publié par George R.R. Martin en 1996 et le premier épisode de la série a été diffusé par HBO en 2011.

Autant dire qu’au regard de l’histoire de l’humanité, ces œuvres littéraires ou filmées sont extrêmement récentes: l’auteur de la saga, les réalisateurs de la série (David Benioff et Daniel Brett Weiss) ou encore les acteurs et actrices sont tous parfaitement connus et identifiés. Rien à voir, donc, avec les incertitudes qui continuent de planer sur la réalité historique d'un personnage tel qu'Homère ou sur les personnes qui ont rédigé la Bible.

Game of Thrones est une œuvre qui nous parle d’abord d’aujourd’hui: de nous et du nombre que nous sommes à nous passionner pour la lecture de George R.R. Martin ces dernières années et des fans encore plus nombreux qui avons vu la série et en attendons la fin, avec une impatience grandissante, un peu partout sur notre planète.

Car Game of Thrones est un phénomène mondial, unique ou du moins premier en son genre (à n’en pas douter, d’autres œuvres prendront le relais). La série est de toute évidence la plus regardée de nos années 2010; elle a été diffusée dans plus de 170 pays, sans compter les visionnages illégaux, difficile à estimer. Le trailer de la saison 8, dont la diffusion commence ce lundi 15 avril, aurait été vu par quelque quatre-vingts millions de personnes en vingt-quatre heures à peine.

Ce succès traduit l’étonnante adéquation entre le show et les attentes d’un public international. Ce qui en fait assurément une source historique majeure pour les universitaires qui s’intéressent ou s’intéresseront plus tard à notre époque.

Des fantasmes vieux comme Hérode

Si la série Game of Thrones ne dit rien du Moyen Âge ni de l’Antiquité à proprement parler, elle nous révèle surtout que les fantasmes humains n’ont guère changé depuis des siècles –voire des millénaires. Les thèmes qui nous fascinent sont toujours les mêmes, qu’on le veuille ou non: luttes pour le pouvoir, meurtres, complots, trahisons, prostitution, viol, inceste, torture, etc.

«Game of Thrones» donne le sentiment d’une humanité qui a décidément bien du mal à évoluer.

À ces ingrédients, vieux comme le monde, s’ajoutent des thèmes en lien étroit avec les défis d’aujourd’hui. C’est pourquoi le succès de Game of Thrones dépasse largement le cercle des passionnés de fantasy. On y trouve des métaphores du dérèglement climatique et de la crise des migrants. Le long hiver qui menace l’humanité fait directement écho à des craintes liées aux changements du monde dans lequel nous vivons et à la peur de l’autre. Une angoisse matérialisée par le mur édifié par Brandon Stark dit «le Bâtisseur»: une fortification de glace, longue d’environ 480 kilomètres et haute de plus de 200 mètres. De quoi faire pâlir d’envie Donald Trump dont le projet de séparation bien réel à la frontière mexicaine oscille entre 5 et 9 mètres de haut. Une dimension tout de même importante su si l'on s'en réfère aux réalités historiques puisque la muraille qui inspira George R.R. Martin, édifiée au IIe siècle par l’empereur romain Hadrien, atteint au mieux 4,60 mètres.

 

Donald Trump examinant des prototypes de murs à San Diego le 13 mars 2018. | U.S. Customs and Border Protection via Wikimédia

Ni George R.R. Martin –qui imagina le Mur de Bandon, il y a plus de vingt ans déjà– ni les réalisateurs de la série ne pouvaient prévoir l’élection de Donald Trump. Il n'empêche que le livre et la série se révèlent d’une étonnante actualité: l’histoire semble rattraper la fiction. Game of Thrones pourrait bien nous offrir une représentation de ce que sera notre avenir.

Historia propose ainsi une comparaison entre les barrières de séparation depuis Hadrien jusqu’à celle de Trump (qui n'est pas encore construite) en passant par la muraille de Chine et le mur de Berlin. Une perspective qui n'est pas faite pour nous rassurer: en établissant un lien aussi direct, bien qu’involontaire, entre l’Empire romain et les États-Unis, Game of Thrones donne (du moins jusqu’à la saison 7) le sentiment d’une humanité qui a décidément bien du mal à évoluer et dont l’avenir fait écho à son passé. Comme un serpent qui se mord la queue.

Le jeu des ressemblances: pédagogique et ludique

De manière moins sombre, Game of Thrones offre aussi à l'ensemble des passionné.es d’histoire un vaste terrain d’entraînement, constitué de deux immenses continents et doté d’une longue histoire fantaisiste; car George R.R. Martin a non seulement créé des lieux et des personnages, mais aussi une chronologie qui voit se succéder les règnes, les invasions et les empires.

Missandei est une porte d’entrée qui permet d’aborder l’esclavage et l’affranchissement dans l’Antiquité.

Dès lors, il est tentant de chercher à identifier, sous la fiction, les nombreux emprunts qu’a pu faire l’auteur à l’histoire depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’à, par exemple, la guerre des Deux-Roses qui, au XVe siècle, opposa les York aux Lancastre, comme les Stark aux Lannister.

Chercher les ressemblances entre ces personnages de fiction et des figures historiques bien réelles peut offrir au corps enseignant, aux élèves ou aux étudiant.es une activité aussi passionnante que féconde. Game of Thrones est susceptible de servir de prétexte à l’étude de nombreux thèmes historiques. Missandei est une porte d’entrée qui permet d’aborder l’esclavage et l’affranchissement dans l’Antiquité. On pourra la comparer à la femme de Spartacus qui joua un rôle de conseillère auprès du célèbre chef des esclaves en révolte contre Rome, en 73-71 av. J.-C.

Missandei (Nathalie Emmanuelle) | Fandom

Les Fer-nés peuvent introduire un cours sur les Vikings; d’autant plus que l’analyse, en 2017, d’un squelette retrouvé dans une nécropole à Birka, en Suède, vient de prouver que des femmes cheffes ont parfois commandé les peuples du Nord, il y a environ mille ans. A la lumière de cette découverte, Asha (ou Yara dans la série) Greyjoy en devient encore plus crédible. Une bien fantastique invitation à explorer de l’histoire…

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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