Monde

Nicolas Diat, le très secret éditeur des réacs

Ses auteurs: Phillippe de Villiers, le général de Villiers et le cardinal Sarah. Portrait d'une figure de l’ombre aux multiples vies qui se dévoile pour la première fois.

Couverture du livre de Nicolas Diat, «Un temps pour mourir» | Fayard
Couverture du livre de Nicolas Diat, «Un temps pour mourir» | Fayard

Temps de lecture: 27 minutes

Le restaurant préféré de l'éditeur Nicolas Diat est le Marco Polo, à Saint-Germain-des-Prés. Une bonne adresse parisienne, généreusement située au carrefour de l'Odéon, mais plutôt onéreuse pour de simples plats de pâtes italiennes. La trattoria de luxe appartient au frère du socialiste Claude Bartolone, ce qui amuse Diat. Est-ce un moyen, pour lui, de brouiller les pistes?

Lors de trois déjeuners, nous nous y retrouvons. À chaque fois ponctuel, l'éditeur arrive, tantôt avec un chapeau de feutre qui lui donne une allure de personnage trouble de roman d'espionnage; tantôt dans des habits costumés qui évoquent une comédie du pouvoir du XIXe siècle; tantôt avec un livre à la main, comme pour s'offrir une contenance et effacer une timidité bien réelle. Ses opinions n'en sont pas moins tranchées: «Je suis de DROITE, ça oui», insiste-t-il lors d'une de nos rencontres, appuyant sur le mot «droite» comme s'il s'agissait d'une règle de vie. Ou d'un totem.

De la droite, Nicolas Diat cumule toutes les filiations à la fois: l'ancrage religieux, la passion nationale et la superstition des traditions (pour reprendre les éléments de l'historien François Furet). Ce cocktail conservateur, au demeurant classique, détonne pourtant chez lui. 

L'éditeur est plus complexe qu'il n'en a l'air, et bien malin celui qui peut décoder d'un simple mot ce personnage compliqué. Et lorsque je mentionne explicitement ces rumeurs, lors de notre troisième déjeuner, Nicolas Diat «fronce les sourcils comme à l'énoncé d'un problème difficile» (pour reprendre la belle formule de Bernanos dans son Journal d'un curé de campagne). Il ne prend même pas le soin de démentir. Tout juste se rembrunit-il, rejetant les médisances et les rumeurs sur son compte comme allant de pair avec le fait qu'il est devenu un éditeur à succès.

Conseiller spécial de Laurent Wauquiez

Il faut dire que si Nicolas Diat est l'éditeur le plus secret de Paris, il est aussi l'un des plus jalousés. Depuis qu'il enchaîne les best-sellers pour le compte des éditions Fayard, il suscite l'envie: J'ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu de Philippe de Villiers, Servir et Qu'est-ce qu'un chef ? du général Pierre de Villiers ou encore, tout récemment, Le soir approche et déjà le jour baisse du cardinal Robert Sarah. À chaque fois, Nicolas Diat a vu juste – quant aux ventes. Et peu importe que ses auteurs soient accusés de plagiat, d'extrémisme, de fake-news, de misogynie ou d'homophobie. Il les aime pour ce qu'ils sont et organise obsessionnellement, avec une précision d'horloger, la parution de leurs livres.

Depuis plus d'une année, j'enquête sur ses obsessions. J'ai rencontré une trentaine de ses amis –et quelques uns de ses plus virulents détracteurs. Dire qu'il est un éditeur «clivant» est un euphémisme. Dans Paris, ses partisans le prennent pour un saint et ses ennemis pour un réac; on me parle de lui comme un génie éditorial ou comme un grand manipulateur. Il est la coqueluche de l'extrême droite catholique et la hantise des cathos de gauche. Un «ultramontain» disent ses détracteurs, fort nombreux, qui lui reprochent d'être un homme de coups –et un homme de coups bas.

Nicolas Ursin Diat est né le 7 octobre 1975 à Saint-Amand-Montrond, une petite ville du Cher. Trouver ces renseignements banals est déjà une gageure car Diat a laissé peu de traces: il n'a ni page Wikipédia, ni notice dans le Who's Who. Il aime qu'on parle des livres qu'il édite mais redoute que l'on écrive sur lui. Et même lorsqu'il donne des interviews, toujours à la presse conservatrice, il bavarde mais ne se livre jamais.

De fait, on connaît peu de choses sur les premières vies de Nicolas Diat avant son arrivée au cabinet de Laurent Wauquiez. Certains l'auraient repéré dans l'entourage de Jack Lang et de l'Institut François Mitterrand, mais Dominique Bertinotti, qui en est l'une des responsables, ne se souvient pas de lui lorsque je la rencontre. Lorsque je l'interroge, Jack Lang ne se souvient pas non plus de Diat. Fausse piste. Une légende urbaine?

Si Lang et Bertinotti ne se souviennent pas de Diat, d'autres, au Parti socialiste, se remémorent très bien ce personnage inoubliable. Dans une première vie, au cours des années 1990, Nicolas Diat a penché à gauche dans l'écosystème singulier de ce qu'on pourrait appeler «le mitterrandisme culturel». A-t-il fait son mémoire de DEA sur Mitterrand, comme certains le supposent, tant il était fasciné par le parcours de cet homme, et notamment son passé trouble et de droite? A-t-il fait campagne pour le PS dans le IVe arrondissement de Paris et pour Jack Lang durant les municipales? A-t-il été proche de la Fondation Jean-Jaurès, succursale du PS, comme l'affirment plusieurs témoins? Ce qui est sûr: «le jeune homme alors chevelu» a eu sa période «mitterrandolâtre», comme le rappelle l'écrivain Marc Villemain, alors plume de Jack Lang au ministère de l'Éducation nationale et de la Culture. «Il avait un côté vieille France. Il était très obséquieux avec le pouvoir», poursuit Villemain.

Le politologue Laurent Bouvet se souvient également de Nicolas Diat dans les années 1990 qui aurait été, selon lui, le trésorier d'un club de gauche, Génération européenne, que présidait Gilles Finchelstein et où l'on retrouvait, outre Bouvet et Finchelstein, Raphaël Enthoven (qui se souvient très bien, lorsque je l'interroge, de Diat). Une tension financière aurait eu lieu, signant finalement le départ de Diat. On le retrouve par la suite à Regénérations, un autre club qu'anime Laurent Bouvet dans une approche générationnelle et de gauche. Cependant, Bouvet estime que Diat «n'avait aucune espèce d'armature idéologique».

«Un beau matin, il a disparu subitement»

Laurent Bouvet

De son côté, Raphaël Enthoven se souvient que Diat avait l'intention de créer une revue germanopratine, «mondaine mais profonde» –un projet qui n'a jamais vu le jour. La plupart des témoins se rappellent un jeune homme «mondain» instable, compliqué et plutôt «décalé».

Le futur éditeur de la droite extrême est également proche, à cette époque, de Pierre Bergé, l'ancien patron d'Yves Saint Laurent. 

Quels ont été les ressorts et les réseaux qui ont permis l'ascension rapide de Nicolas Diat dans la Mitterrandie finissante et quelles furent les raisons de son éloignement tout aussi fréquent? Nul ne sait. «Et puis, un beau matin, il a disparu subitement», se souvient Laurent Bouvet.

Sa première vie publique se passe dans l'entourage du ministre Wauquiez. Présenté tour à tour comme son conseiller spécial, une sorte de conseiller politique ou un simple conseiller presse lorsque Wauquiez était dans le gouvernement Fillon, ses attributions paraissaient plutôt opaques. Il semble aussi que leur relation fut à la fois passionnelle, chaotique, houleuse, avant de déboucher, finalement, sur un divorce (l'entourage de Wauquiez, interrogé, dément toute proximité actuelle avec Diat de même que toute brouille).

À cette époque déjà, le flottant Nicolas Diat évolue en eaux troubles, entre droite extrême et extrême droite. Il fut réputé proche de Patrick Buisson, l'ex-conseiller blanc-brun de Nicolas Sarkozy –mais, là encore, la brouille serait consommée. Du fait des enregistrements secrets avec l'ancien président? Ou de la publication de son livre La Cause du peuple? On ne sait.

Le conservatisme de Diat n'est pas feint. Il se nourrit notamment des idées et des réseaux de la Manif pour tous, le grand tournant, peut-être, de sa vie.

Lorsque j'interroge Alain Bauer, qui le connaît bien, l'ancien grand maître du Grand Orient de France ne tarit pas d'éloge sur le couple littéraire que Nicolas Diat forme avec le cardinal Robert Sarah. M'invitant à petit-déjeuner à l'hôtel Meurice, ce proche de l'ancien premier ministre Manuel Valls, s'amuse des idées ultramontaines de Sarah et de sa plume ultra Nicolas Diat. Il se pince en riant.

Diat est-il est un opportuniste sans idéologie, comme certains le pensent? Ou bien, au contraire, un idéologue avec ambition, comme certains le prétendent? En tout cas, le conservatisme de Diat n'est pas feint. Il se nourrit notamment des idées et des réseaux de la Manif pour tous, le grand tournant, peut-être, de sa vie. Lorsque je l'interroge sur cette organisation anti-gay et sur son émanation politique Sens Commun, Diat bascule dans un discours gay-friendly surjoué. Il me dit aimer la droite non homophobe. Avec d'autres, il dit plutôt l'inverse.

S'il n'a guère ou jamais manifesté derrière Frigide Barjot, Nicolas Diat est l'un de ceux qui a contribué aux rapprochements intellectuels entre les catholiques et le mouvement identitaire, une nouvelle droite ultra-conservatrice et très homophobe révélée par les succès de cette mobilisation anti-mariage. Aujourd'hui, avec ses livres des frères de Villiers ou ses entretiens avec le cardinal Robert Sarah, il poursuit ce combat; il fait objectivement le lit de la droite dure.

Aventurisme éditorial et communication impeccable

Après l'expérience avec Laurent Wauquiez, Nicolas Diat part pour Rome. Une nouvelle vie, une fois encore. A-t-il connu une conversion spectaculaire, comme Paul Claudel lisant Une saison en enfer à Notre-Dame de Paris? C'est peu probable. Depuis longtemps, Diat semble être un catholique «observant». Est-il «pratiquant»? L'éditeur Jean-François Colosimo, qui le connaît bien, le suggère et il se souvient de son retour de Rome. Selon lui, Diat était plutôt discret jusqu'à ses années romaines, dont il serait revenu transformé.

À partir des années 2000, Diat se met à publier et à éditer. Lui qui était une plume muette, sort de sa coquille. Son parcours auprès de Wauquiez, lui a permis de connaître des journalistes. Il a gardé leur 06. Au cœur du pouvoir de Nicolas Diat, il y a désormais les médias et la communication – son véritable métier, au fond. La seule société dont il semble avoir été le gérant s'appelle Nicolas Diat Conseil (NDC), et c'est une société de «conseil en relations publiques et communication», domiciliée à Paris.

Le livre de Philippe de Villiers dont Nicolas Diat est l'éditeur vigilant et personnel contient des fautes historiques graves, il est un «tissu de faux-semblants» et l'auteur a été accusé à la fois de plagiat, de falsification et de mensonge par des dizaines d'historiens; la famille de Jean Monnet a même menacé de porter plainte contre Fayard. D'autres éditeurs auraient été licenciés pour moins que ça. Mais Diat compense cet aventurisme éditorial par une communication impeccable. Il s'occupe avec minutie du lancement presse des livres de ses auteurs.

Ayant l'un des carnets d'adresses les mieux achalandés de Paris en matière de journalisme ultra, Diat se fait un point d'honneur à distiller à chacun d'eux un peu de ses exclusivités éditoriales et de ses scoops politiques. Toute la presse conservatrice est traitée et jusqu'à la fachosphère. Interrogés, les journalistes confirment qu'il les chérit, les nourrit constamment, les épuise par ses SMS à répétition ou l'envoi de captures d'écrans mystérieuses. Parfois, il se fâche abruptement avec l'un d'eux pour une incartade, et le place en quarantaine avant de se rabibocher avec lui dans un grand moment d'effusion. «Lorsque sa marionnette lui échappe, ça le rend dingue», me raconte une personne qui l'a beaucoup fréquenté.

À droite, il est proche de Laurent Dandrieu de Valeurs actuelles, son double politique et psychologique (il a organisé récemment pour lui un voyage à Rome afin d'interviewer le cardinal Sarah en exclusivité). Il a également ses entrées par la grande porte à Famille chrétienne, à L'Homme nouveau (il est proche du rédacteur en chef Philippe Maxence) et jusqu'au mensuel catholique ultra-conservateur La Nef (il est proche du fondateur et directeur Christophe Geffroy). Tous ceux qui comptent dans le journalisme extrême ont été mobilisés dans le grand «plan de com» pour promouvoir les livres de Sarah et des frères Villiers.

Par la petite porte, il a aussi ses entrées chez les modérés, brouillant sans cesse les pistes. Il fréquente Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication du site Atlantico, qui me dit l'apprécier. Ayant publié quelques articles pour Le Figaro Magazine avec Jean Sévillia (dont un dithyrambique portrait du cardinal français Dominique Mamberti, dont Diat est réputé proche, et un entretien plus élogieux encore avec le cardinal Tarcisio Bertone, le n°2 du Vatican sous Benoît XVI, qui a depuis connu la chute et un procès), il a désormais des réseaux jusque dans le grand quotidien de droite. Pour le dernier livre du cardinal Sarah, Sévillia s'est arrangé pour publier les bonnes pages malgré des réticences internes.

Deux femmes clés sont les artisanes des relations presse de Nicolas Diat: Isabelle Müller et Claudine Pons. Proche de l'Opus dei dont elle a géré la communication en France, et d'Eric Zemmour, dont elle s'occupe aussi, Isabelle Müller fut l'une des figures communicantes de La Manif pour tous: elle est aujourd'hui l'attachée de presse extérieure, imposée sur les contrats Fayard, de certains des auteurs de Nicolas Diat (dont Philippe de Villiers). Claudine Pons dirige, quant à elle, l'agence de communication de crise Les Rois Mages et elle s'est occupée pour Diat de Pierre de Villiers.

Ses amis plus modérés peinent toutefois à comprendre le tournant conservateur de Nicolas Diat. Le blogueur Koz Toujours, alias Erwan Le Morhedec, auteur d'un livre de rupture avec le catholicisme extrême, intitulé Identitaire, l'a longtemps fréquenté mais il me dit ne pas vraiment comprendre la logique de ses engagements aux côtés du cardinal Sarah et sa pente de plus en plus à droite. L'historien de l'Action française, François Huguenin, de son vrai nom François Maillot (ancien patron de la librairie catholique La Procure et aujourd'hui éditeur respecté chez Taillandier), continue à défendre l'homme Nicolas Diat mais il a rompu, lui aussi, avec ses idées trop conservatrices à ses yeux. D'ailleurs, Huguenin me dit regretter que Sarah se soit fait «noyauter par l'extrême droite».

Pour décrypter les doubles-vies de Nicolas Diat, il faut donc s'intéresser aux hommes qu'il publie, les frères de Villiers, bien sûr, le cardinal Sarah également. Il faut également s'attacher à ceux qu'il fréquente et visite, ou dont il publie des photos sur les réseaux sociaux: le pape Benoît XVI et son assistant personnel Georg Gänswein ou encore la princesse allemande Gloria von Thurn und Taxis. Une nébuleuse hétéroclite.

Facettes de la droite radicale

Remonter le temps et les «timelines» des comptes de Nicolas Diat sur Facebook (nicolas.diat), Twitter (ndiat1) ou Instagram (nicolas_diat1), c'est s'offrir une plongée dans les multiples facettes de la droite radicale française d'aujourd'hui. En suivant ses posts mais aussi, bien plus discrets, ses likes et ses retweets, Diat se révèle.

On le voit aimer des monarchistes légitimistes d'un autre temps, fréquenter les journalistes de L'Homme nouveau, embrasser les causes les plus sectaires, quasi lefebvristes sur la messe tradi ou retweeter l'association ultra SOS Chrétiens d'Orient (même s'il promeut aussi les auteurs qu'il édite, dont le plus modéré député de droite Pierre-Yves Bournazel). Sur Twitter, il s'affiche avec Benoît XVI lors d'une rencontre privée en novembre 2018 (une façon de prendre ses distances avec le pape François). Il publie également une lettre de Nicolas Sarkozy qui salue, dit-il, son livre Un temps pour mourir; sauf que ce type de réponse quasi-automatique, l'ancien président en envoie des dizaines par mois – et dans celle-ci il accuse essentiellement réception de l'envoi du livre de Diat…

Sur les réseaux sociaux, on le surprend aussi aux côtés de la princesse Gloria von Thurn und Taxis, une richissime royaliste allemande, à l'entourage d'autant plus gay friendly que ses idées sont homophobes. Lorsque je rencontre l'explosive «Gloria TNT» dans son château de Ratisbonne, elle me confirme y avoir invité Robert Sarah et Nicolas Diat pour faire connaître leur livre. Une photo immortalise d'ailleurs la réception mondaine, où l'on voit outre le cardinal et sa plume, le frère du pape Benoît XVI, le cardinal anti-gay Gerhard Ludwig Müller (depuis limogé par le pape François) et tout ce que ce réseau de Ratisbonne compte de personnages anachroniques.

Trilogie réactionnaire

Une nouvelle vie commence donc pour Nicolas Diat aux côtés du cardinal Robert Sarah. C'est un ambassadeur de France auprès du Vatican qui lui aurait présenté le prélat africain à Rome. Depuis, ils ne se quittent plus et l'histoire de cette amitié hors du commun entre un auteur et sa «plume» éclaire le parcours de l'éditeur à succès.

Plume? Le mot est ambigu. Nicolas Diat figure sur la couverture de la trilogie qu'a publié le cardinal Sarah chez Fayard. Lors de l'un de nos entretiens, le co-auteur me confirme qu'il a «écrit» les trois livres avec le cardinal sans que l'on sache trop s'il s'est contenté de poser les questions ou s'il a également réécrit certaines de ses réponses. Comme il me le confirme, il a passé cet automne plusieurs semaines à Rome pour interviewer Sarah et bien des idées politiques de son dernier opuscule, tout en contrôle, pourrait avoir été «harmonisées» par Diat. Elles lui ressemblent par leurs formulations subtiles plus qu'à celles du prélat mystique radicalisé souvent «brut de décoffrage».

Il faut dire que le cardinal Sarah est depuis quelques années sur une pente prononcée vers la droite de la droite. Ayant grandi dans une tribu coniaguie à quinze heures de taxi-brousse de la capitale guinéenne Conakry, l'Africain chef de tribu a une storytelling qui a tout de suite frappé l'imaginaire de Nicolas Diat. Dès leur première rencontre, c'est le coup de foudre intellectuel. Ambitieux pour deux, l'éditeur croit avoir identifié le premier «pape noir»: il l'imagine tout de go succéder à François.

Sa biographie est idoine. Courageux, Sarah fut un opposant impeccable au dictateur communisant de Guinée, Sékou Touré, lequel organisait la chasse aux catholiques. Quand l'archevêque de la ville est emprisonné, en 1979, Rome nomme à sa place Sarah qui devient ainsi le plus jeune évêque au monde. Bientôt, Jean-Paul II le repère et en 2001 l'appelle au Vatican: il est promu secrétaire de l'importante Congrégation pour l'évangélisation des peuples, le «ministère» qui s'occupe notamment de l'Afrique. À partir de ce parcours, Nicolas Diat calcule son storytelling. Il propose à Sarah d'écrire avec lui trois livres. «Le tryptique tradi», ironise un journaliste. «La trilogie réactionnaire», raille un autre de leurs détracteurs.

Partout, Nicolas Diat explique que Sarah sera «très certainement» élu pape: «le premier pape noir».

Peu importe que la pensée du Saint homme soit médiocre, ennuyeuse et peut-être farfelue. Nicolas Diat sait poser les bonnes questions et calmer le ton par trop radical des mauvaises réponses. Un influent universitaire et théologien français qui vit à Rome, et a publié de nombreux livres de référence sur le catholicisme, m'explique que «Sarah est un théologien bas de gamme. Sa théologie est très puérile: “Je prie donc je sais.” Il abuse d'arguments d'autorité.»

Nicolas Diat a trouvé son papabile et ne le quitte plus. Partout, il explique que Sarah sera «très certainement» élu pape: «le premier pape noir», confie-t-il, l'air entendu, comme s'il détenait un secret bien gardé. Une bonne technique pour vendre des livres, mais qui, en l'état des rapports de force dans le collège cardinalice, est aussi probable que de voir Marine Le Pen représenter la France à l'Eurovision.

Habilement, Diat vend aux journalistes français les plus candides Sarah comme «l'un des proches conseillers du pape». En fait, le cardinal africain est devenu l'un des pires opposants de François: sur la question de l'immigration, sur les chrétiens d'Orient, la théologie de la libération ou le communisme, sur le sida, l'homosexualité ou la famille, le pape argentin et le cardinal africain ont des visions diamétralement opposées (dans son livre récent, Sarah critique explicitement l'accueil des migrants, une attaque directe contre toute la politique de François).

Sarah n'hésite pas à qualifier le divorce de scandale et le remariage d'adultère! En 2015, il prononce même un discours hystérique où il dénonce la «bête de l'apocalypse», un animal à sept têtes et dix cornes envoyé par Satan pour détruire l'Église.

Et quelle est donc cette bête démoniaque qui menacerait l'Église? Son discours est explicite sur ce point: il s'agit de l'«idéologie du genre», des unions homosexuelles et du lobby gay. Et le cardinal de faire un pas de plus, en comparant cette menace LGBT… au terrorisme islamiste: ce sont les deux faces d'une même pièce, selon lui les «deux bêtes de l'apocalypse» (je le cite ici à partir de la transcription officielle que je me suis procurée).

En comparant les homosexuels à Daech, Sarah vient d'atteindre un point de non-retour. Pour la première fois, Nicolas Diat s'inquiète et fait tout pour que cette phrase disparaisse des portraits de son «pape noir», allant jusqu'à intervenir contre un journaliste qui a osé la rappeler.

Plus récemment, le cardinal s'est distingué par des propos qui ont été considérés par les théologiennes femmes comme étant d'une misogynie abyssale. Sarah: «Ordonner prêtres des femmes? Ceci n'arrivera jamais dans l'Église catholique même s'il n'y avait plus aucun prêtre dans le monde. Non par mépris des femmes, mais parce que cela n'est pas dans la volonté et le plan de Dieu.»

La célèbre théologienne Christine Pedotti a montré dans ses articles de Témoignage chrétien et dans d'importants ouvrages, tel Jésus l'homme qui préférait les femmes, que ce type de raisonnement est contredit par d'innombrables biblistes et théologiens à travers le monde et qu'ils sont surtout profondément archaïques et sexistes.

Lorsque je l'interroge sur les propos de Sarah, Pedotti ironise sur le sérieux de Sarah, contestes ses compétences religieuses et me dit: «Sur l'ordination des femmes, comment peut-on appuyer une argumentation sur un mensonge? Faire remonter à Jésus l'exclusion des femmes, c'est supposer que Jésus a choisi des prêtres, or c'est tout bonnement faux. Non seulement, il n'y pas le moindre prêtre dans tous les Évangiles, mais il n'y en a pas davantage dans tout le Nouveau Testament. Jésus s'est tout au contraire opposé au clergé de son époque et c'est probablement ce qui a causé sa condamnation. Les prêtres chrétiens sont une tradition de l'Église, certes très ancienne, vers la fin du IIe siècle de notre ère. Mais ce que l'Église fait, elle peut le défaire, c'est une règle millénaire. En 2019, écarter les femmes du sacerdoce en prétendant le faire au nom de Dieu c'est insulter tout à la fois Dieu, les femmes et l'intelligence.»

Le cardinal Sarah est d'autant plus violent contre les homosexuels et contre les femmes qu'il sait, comme tout le monde, que l'ordination des femmes se fera tôt ou tard dans l'Église catholique et que l'homosexualité –d'ailleurs si fréquente et si majoritaire au sein du collège cardinalice–, est elle-même en voie d'acceptation et de normalisation dans l'Église.

D'étranges chiffres de vente

Avec les journalistes, comme avec les éditeurs, Nicolas Diat a des sincérités successives. Mais s'il lui manque une certaine suite dans les idées et, d'abord, l'intelligence des rapports de force, il compense ces défauts par une capacité de travail hors du commun et une personnalité opaque et enchevêtrée, interdite, qui parfois inquiète et, d'autres fois, séduit.

Chez Fayard, éditeur de la gauche radicale comme de la droite extrême, les polémiques suscitées par ses livres n'effraient pas si elles nourrissent le tiroir caisse. Que Sarah tienne des propos homophobe et misogyne: on ferme les yeux. Sophie de Closets, la PDG de Fayard, a confié une collection à Geoffroy de Lagasnerie, la figure la plus à gauche de la maison, mais cela ne se traduit guère en best-sellers; elle fait son beurre grâce à Nicolas Diat.

Il y a quelques années, le mentor de Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon, avait claqué la porte des éditions Flammarion parce que celles-ci publiaient les livres homophobes du prêtre-psychanalyste Tony Anatrella. Eribon avait eu raison avant beaucoup d'autres; pourtant, aujourd'hui, il ne semble guère gêné que ses opus et ceux de son poulain Geoffroy de Lagasnerie voisinent ceux de Robert Sarah, l'homme de la comparaison subtile entre Daech et les homosexuels…

Il faut dire que le cardinal Sarah, réécrit par Nicolas Diat, rapporte gros. Mais moins qu'on ne le croit. Dans la presse, on a pu lire que l'un de leurs livres fut un «best seller inattendu vendu à 250.000 exemplaires». Le chiffre, bien sûr, a été distillé aux médias à la demande de Diat, comme j'ai pu le vérifier.

La réalité est moins probante. Le succès «inattendu» du cardinal est, au moins, une exagération. Dieu ou rien s'est vendu à 17 466 exemplaires en édition originale de grand format et La Force du silence à 32 320, en dépit d'une préface du pape retraité Benoît XVI (chiffres GfK, fin mars 2019). Ces succès sont réels, mais même avec les éditions de poche et les résultats étrangers, ils restent très en deça des «250 000 exemplaires» annoncés.

Comment expliquer ce hiatus? En enquêtant au sein de la maison d'édition française de Sarah, j'ai découvert le pot aux roses. Selon trois personnes qui ont eu connaissance de ces négociations délicates: plus d'une centaine de milliers d'exemplaires de ses livres auraient été achetés «en gros» par des mécènes et des fondations, puis distribués gratuitement, notamment en Afrique. Ces «bulk sales», ou ventes directes, ne sont pas rares dans l'édition. Contribuant artificiellement à amplifier les chiffres de vente classiques, elles plaisent aux éditeurs comme aux auteurs: elles assurent aux premiers des sources de profits significatifs, puisque distributeurs et libraires sont court-circuités; les auteurs en bénéficient plus encore puisqu'ils sont rémunérés au pourcentage (dans certains cas, des avenants aux contrats d'édition peuvent être signés pour renégocier les droits, si ces ventes parallèles n'avaient pas été initialement envisagées).

Qui soutient la campagne du cardinal Sarah et de Nicolas Diat et, le cas échéant, ces distributions de livres? Bénéficie-t-il d'appuis financiers européens ou américains?

De sources diplomatiques concordantes, il est confirmé que des exemplaires des livres de Sarah ont été distribués gratuitement en Afrique, par exemple au Bénin. J'ai moi-même vu dans un centre diplomatique culturel français, des piles de centaines de livres du cardinal sous plastique, prêts à être offerts.

Lorsque j'ai interrogé Sophie de Closets, la PDG de Fayard, sur ses achats en gros, elle les a démenti en riant, expliquant qu'elle aurait bien aimé en avoir. Il est vrai que ce type de «bulk sales» sont légales et qu'elle n'aurait pas à en rougir.

Qui soutient la campagne du cardinal Sarah et de Nicolas Diat et, le cas échéant, ces distributions de livres? Bénéficie-t-il d'appuis financiers européens ou américains? Ce qui est certain: Robert Sarah entretient des liens avec des associations ultraconservatrices catholiques, notamment le Dignitatis Humanæ Institute qui se situe dans la proximité de Steve Bannon, l'ancien mentor de Donald Trump (ce que me confirme Benjamin Harnwell, son directeur).

Aux États-Unis, Sarah a notamment des liens avec trois fondations: le Becket Fund for Religious Liberty, les Chevaliers de Colomb et le National Catholic Prayer Breakfast, devant lequel il a fait une conférence. En Europe, Robert Sarah a la même proximité avec l'association de Marguerite Peeters, une militante extrémiste belge, anti-gay et anti-féministe. Sarah a d'ailleurs préfacé un petit pamphlet de Peeters contre la théorie du genre, qui fut quasiment édité à compte d'auteur.

Il y écrit: «L'homosexualité est un non-sens à l'égard de la vie conjugale et familiale. Il est pour le moins pernicieux de la recommander au nom des droits de l'Homme. L'imposer est un crime contre l'humanité. Et il est inadmissible que les pays occidentaux et les agences onusiennes imposent aux pays non occidentaux l'homosexualité et toutes ses déviances morales… Promouvoir la diversité des “orientations sexuelles” jusqu'en terre africaine, asiatique, océanienne ou sud-américaine, c'est engager le monde vers une totale dérive anthropologique et morale: vers la décadence et la destruction de l'humanité!»

Certaines de ces organisations ont-elles acheté «en gros» des livres de Sarah? Au moins une association, les Chevaliers de Colomb, me confirme avoir réalisé de tels achats en masse: «En 2015, nous avons acheté [à Fayard] 10.000 de ses livres en français pour les distribuer en Afrique, le continent de naissance du cardinal», me précise par écrit le porte-parole des Chevaliers de Colomb aux États-Unis.

La bataille des ambassadeurs gays

Il reste un dernier mystère qu'il me faut tenter ici d'éclaircir. Le rôle supposé de Nicolas Diat et du cardinal Sarah dans le scandale Stéfanini. L'un des contacts réguliers du cardinal Sarah fut ces dernières années le nonce Luigi Ventura, l'ambassadeur du pape à Paris.

Plusieurs témoins confirment avoir été reçus par Sarah à la nonciature, où il logeait. En maître de cérémonie, il y recevait les invités et les journalistes comme s'il était le maître de maison emprunté aux mondanités du salon proustien des Verdurin. Pour y avoir été reçu, moi aussi, par le premier conseiller de la nonciature apostolique à Paris, Mgr Rubén Darío Ruiz Mainardi, je peux attester de l'apparat spectaculaire de l'ambassade du Vatican à Paris, avenue du président Wilson.

Le réseau Ventura est important car il est un point de ralliement, à Paris, d'une certaine droite ultra-conservatrice, homophobe et, pour une part, secrètement gay. Il y a bien des astres orphelins qui tournent autour de ce soleil désormais éteint. Car cette proximité diplomatique entre Sarah et le nonce italien s'est brutalement interrompue il y a quelques semaines. Privant le cardinal d'un pied à terre idéal.

À 74 ans, Luigi Ventura est en effet sous le coup de quatre plaintes pour agressions, attouchements ou abus sexuels sur de jeunes hommes (l'affaire a été révélée fin février par Ariane Chemin dans Le Monde). Récemment, la justice française a officiellement demandé officiellement la levée de son immunité diplomatique. En apparence, tout le monde fut surpris de tels actes et de l'audace désirante du nonce. Mais les penchants homosexuels de Luigi Ventura étaient en fait un secret de polichinelle et ses attouchements sexuels insistants avaient depuis longtemps fait le tour du petit monde des catholiques bien informés.

Auparavant, Ventura avait déjà fait partie du réseau homophile autour du premier secrétaire d'État de Jean-Paul II, Agostino Casaroli, puis fut un proche du très controversé Angelo Sodano, le second secrétaire d'État du pape polonais. C'est lui qui l'a nommé au Chili, où il s'est rapproché des courants les plus conservateurs de l'Église, a fréquenté les milieux d'extrême droite, et est devenu l'un des soutiens indéfectibles des Légionnaires du Christ au Chili, malgré – déjà – d'immenses scandales sexuels (affaire Karadima à Santiago et affaire Marcial Maciel au Mexique). Selon la presse et plusieurs sources que j'ai interrogées au Chili, le nonce Ventura aurait contribué à faire en sorte que ces scandales sexuels ne soient pas ébruités. Après avoir été nommé au Canada, où une plainte a également été déposée contre lui en 2008 pour agression sexuelle, il est exfiltré discrètement vers la France.

Nicolas Diat rêvait-il lui-même d'un poste comme conseiller auprès de l'ambassadeur de France au Vatican? En tout cas, la proposition de nomination figure bien dans un télégramme diplomatique du Quai d'Orsay.

À Paris, Ventura devient un acteur essentiel de la campagne lancée en 2015 contre le Français Laurent Stéfanini que le président de la République, François Hollande, veut nommer ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. Ce diplomate réputé, plutôt de droite, et discrètement homosexuel, fait l'objet d'une campagne de calomnie en raison de sa vie privée.

Selon mes informations et plus d'une dizaine de témoignages des ambassadeurs et des cardinaux qui ont eu connaissance du dossier, le nonce Ventura et le cardinal Sarah auraient contribué à faire connaître au Vatican l'homosexualité de Stéfanini. Le diplomate du Saint-Siège et le cardinal Sarah ont ensuite mobilisé leurs réseaux romains, notamment le cardinal Raymond Burke, «patron» de l'Ordre de Malte, pour faire capoter la candidature de Stéfanini.

Lorsque je l'interroge sur le dossier, Nicolas Diat s'emporte contre Stéfanini, et levant les yeux au ciel, m'assure que l'ambassadeur retoqué a été très imprudent et qu'il a mal géré sa candidature. L'erreur, selon lui, aurait été de la faire «fuiter» prématurément dans la presse. Selon mes sources, l'ambassadeur Bertrand Besancenot, proche de l'ordre de Malte, était lui aussi intéressé par le poste et se serait animé en coulisse pour critiquer la candidature Stéfanini.

De son côté, Nicolas Diat rêvait-il lui-même d'un poste comme conseiller auprès de l'ambassadeur de France au Vatican, si Besancenot avait été choisi? En tout cas, la proposition de nomination de Diat figure bien dans un télégramme diplomatique du ministère des Affaires étrangères. L'ancien ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, Bruno Joubert, que j'ai interrogé, m'indique également avec prudence qu'une telle hypothèse a pu exister. (L'ambassadeur Bertrand Besancenot me confirme pour sa part, lors de deux entretiens au Quai d'Orsay, son affection pour Diat et ses liens avec l'Ordre de Malte; l'ambassadeur Stéfanini, rencontré à trois reprises, confirme cette version des faits; cependant, un ambassadeur directeur d'administration centrale au ministère doute, quant à lui, qu'une telle candidature de Diat, dont il a entendu parler, aurait pu aboutir.)

La morale de l'histoire? Le pape François a refusé la candidature de Stéfanini comme ambassadeur auprès du Vatican parce qu'il était discrètement homosexuel alors que son ambassadeur à Paris, Luigi Ventura, fait aujourd'hui l'objet de poursuites pour quatre agressions homosexuelles.

Violente polémique

Faute d'être devenu un homme politique ou un diplomate, l'intriguant Nicolas Diat a donc choisi l'édition. Apporteur d'affaires pour Fayard, plus que salarié régulier, il poursuit son combat politique et religieux par d'autres moyens: les livres. Imagine-t-il faire de Fayard la maison de la droite conservatrice française, à la place d'Albin Michel? En tout cas, il a le soutien du directeur général de l'entreprise, Jérôme Laissus, qui contrôle les finances et se frotte les mains devant ses succès d'édition. Quant à l'éditrice Jeanne Champion, elle surveille ses livres et les passe au peigne fin, pour éviter les excès.

Reste Sophie de Closets, qui dirige le groupe, et qui regarde d'un bon œil, elle aussi, les chiffres GfK. Mais elle connaît les risques pour Fayard de basculer trop à droite et tente de rééquilibrer son catalogue par des contrats avec des auteurs qui penchent à gauche (Michelle Obama, Alain Badiou, Aurélie Filippetti etc.). Pourtant, la violente polémique récente sur le livre de Philippe de Villiers l'inquiète, selon une source interne, même si pour l'heure elle a défendu l'ouvrage dans le JDD. Le succès sera peut-être au rendez-vous, mais les accusations de plagiat et de faussaire pourraient durablement entacher la réputation de Fayard et lui coûter quelques auteurs.

Nicolas Diat n'a pas ce souci. Viscéralement de droite, il exècre la gauche germanopratine. Avec les ventes des deux frères de Villiers –Philippe, l'homme politique qui se prend pour un putschiste et, Pierre, le militaire qui se prend pour un homme politique– il est pour l'instant intouchable. Et désormais la «plume» écrit sous son vrai nom, et dans un silence religieux, ses propres opuscules.

Les clans du Vatican

Les livres de Nicolas Diat ne connaissent pas un succès aussi mirobolant. Ils ne sont pas exempts, non plus, d'erreurs historiques. Ainsi de L'homme qui ne voulait pas être pape (publié chez Albin Michel) et qui visait à raconter le pontificat de Benoît XVI. Sa lecture est partiale. J'ai rarement lu un livre aussi étrange et aussi codé.

La thèse de Nicolas Diat est que Benoît XVI ne voulait pas être pape et qu'il a été poussé vers la démission par un complot interne, animé notamment par une camarilla d' «homosexuels» (mais le récit qui ne mentionne pas cette clé de lecture reste naturellement opaque et illisible pour le profane). Le livre peut être compris comme la réponse d'un clan du Vatican contre un autre. Nicolas Diat a été l'interprète, manipulé ou consentant, de règlements de compte au sein de la curie romaine. Le livre compte des centaines d'allusions et de sous-entendus.

Lorsque je l'interroge, Nicolas Diat me confirme cette grille de lecture. Ce faisant, il me dit «être proche de Georg Gänswein, l'assistant personnel de Benoît XVI», révélant ainsi un agenda politique.

Son livre est bel et bien une défense intéressée de l'équipe du pape démissionnaire, informée par Gänswein et nourrit, selon ce que me dit Diat, par un certain Nicolas Thévenin, un nonce français aujourd'hui en poste au Guatemala, lequel fut assistant du cardinal Bertone et de Gänswein, le secrétaire particulier de Benoît XVI (Thévenin est remercié à la fin du livre).

L'homme qui ne voulait pas être pape a été durement critiqué par l'un des principaux acteurs du pontificat: Federico Lombardi, le porte-parole du pape Benoît XVI. Fait rare, Lombardi a signé un texte officiel contre le livre. «J'ai fait une recension très négative du livre sur Radio Vatican. Pour moi, c'est un livre qui ajoutait de la confusion, c'était comme si Vatileaks continuait», m'a-t-il expliqué lors d'un entretien à Rome. Dans son article, Lombardi écrit que le livre de Diat est «sérieusement critiquable», «sans fondement» et que ses accusations de trahison vont «au-delà du prouvé, du plausible et du légitime».

Au contact des moines bénédictins, trappistes, cisterciens, ou chartreux qu'il interroge, Nicolas Diat fait preuve de simplicité, de patience et d'humilité.

Pour se consoler, peut-être, des critiques venues de son propre camps, Nicolas Diat a misé, depuis quelques années, sur un nouveau cheval vaticanesque: le cardinal du Honduras Óscar Maradiaga, un proche de François. Il espère faire l'histoire du pontificat de François, me dit-il, avec Maradiaga, un peu comme il a fait celle du pontificat de Benoît XVI.

Malheureusement, son poulain, souvent moqué pour être «un évêque d'aéroport», vient de perdre toute légitimité. Son nom a été mêlé à une grave affaire de corruption financière, dont l'un des bénéficiaires serait son adjoint et un intime: cet évêque auxiliaire a été soupçonné par la presse de «sérieuses inconduites et connexions homosexuelles» – lequel a finalement présenté sa démission en 2018, entrainant dans sa chute le cardinal. Les médias ont sévèrement moqués sur cinq continents les frasques de Maradiaga.

Cette année, Nicolas Diat a eu plus de chance, et plus de succès, avec un beau récit sur la mort dans les monastères. Avec Un temps pour mourir, il raconte subtilement les fins de vie dans les lieux cloîtrés. Son style s'est adouci et le sujet, où la polémique et les allusions n'ont plus leur place, lui permet de signer son meilleur livre. Au contact des moines bénédictins, trappistes, cisterciens, ou chartreux qu'il interroge, l'auteur, à rebours de ses autres ouvrages, y fait preuve de simplicité, de patience et d'humilité. Et cela est touchant.

Grâce à une forme de sincérité retrouvée et à un lobby efficace, Diat vient même d'obtenir pour ce livre l'un des prix de l'Académie française. Il faut dire qu'il s'est dépensé sans compter pour ce prix nommé d'après le cardinal Lustiger. La secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d'Encausse, qui publie chez Fayard, fut sa championne. Et la campagne a payé: il a été récompensé de l'un des soixante-douze prix de l'année attribué par l'Académie.

Un témoin qui a assisté pour moi à la cérémonie fastidieuse, le 9 décembre 2018, me l'a décrite. Au moment où on a prononcé son nom, pour lui remettre son prix, Nicolas Diat s'est levé comme le veut la tradition. Large cravate bleue sur costume bleu impeccable, droit comme un cierge, émerveillé d'être ainsi debout, seul au milieu de tant d'yeux centenaires et réactionnaires, l'éditeur semblait sincèrement heureux et fier de son parcours. Cette reconnaissance «sous la Coupole», en cet instant, vengeait toutes les peines et soignait royalement un orgueil blessé. Mais c'était encore une comédie du pouvoir du XIXe siècle.

* Pour écrire cet article, j'ai lu les ouvrages suivants : Nicolas Diat, L'homme qui ne voulait pas être pape – Histoire secrète d'un règne (Albin Michel, 2014). Nicolas Diat, Un temps pour mourir – Derniers jours de la vie des moines (Fayard, 2018). Erwan Le Morhedec, Identitaire – Le Mauvais génie du christianisme (Cerf, 2017). Christine Pedotti, Qu'avez-vous fait de Jésus? (Albin Michel, 2019). Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique – Aux origines de La Manif pour tous (Seuil, 2019). Sur Robert Sarah, Luigi Ventura et Nicolas Diat, je reprends également quelques courts passages de mon livre récent Sodoma – Enquête au cœur du Vatican (Robert Laffont, 2019).

 

Cet article a été mis à jour le 12 juin 2019: ajout de cinq paragraphes (Si Lang et Bertinotti ne se souviennent pas de Diat [...] «Et puis, un beau matin, il a disparu subitement», se souvient Laurent Bouvet.) à propos du parcours à gauche de Nicolas Diat.

cover
-
/
cover

Liste de lecture