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La Turquie ne s'est pas résignée à l'autocratie

Les élections municipales du 31 mars qui ont infligé un sérieux revers au président Erdogan prouvent que la population turque croit encore en la démocratie. Et c'est déjà beaucoup.

Célébration de la victoire du Parti républicain du peuple (CHP) à Ankara, le 31 mars 2019 | Adem Altan / AFP
Célébration de la victoire du Parti républicain du peuple (CHP) à Ankara, le 31 mars 2019 | Adem Altan / AFP

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Les dérives autoritaires et tendances dictatoriales de Recep Tayyip Erdogan et de son entourage laissaient craindre la disparition de la démocratie en Turquie. Le résultat du scrutin de ce dimanche 31 mars 2019 amènerait-t-il à nuancer ce jugement?

La victoire de l'opposition dans plusieurs grandes villes, à commencer par Ankara, en est le signe principal. Sa reprise de la mairie d’Istanbul, ville totem du président Erdogan, qui en fut maire de 1994 à 1998, complète le tableau.

Comme lors des législatives de juin 2015, le mythe de l’invicibilité du numéro 1 turc et de son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-nationaliste), formidable machine à gagner les élections, est ébranlé. Dans la psyché collective turque, c’est important.

De même, malgré la très forte implication personnelle du président de la République-chef de parti dans ce scrutin qui n'est que local, malgré les diverses manipulations électorales et l'utilisation massive des moyens de l'État en sa faveur, la coalition gouvernementale n'obtient qu'un modeste score de 51,7% des voix. Avec 44% des suffrages, l'AKP ne fait que maintenir à peu de choses près son résultat habituel depuis quinze ans (42% en 2004, 38% en 2009, 43% en 2014).

De son côté, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche nationaliste et souverainiste), le principal parti d'opposition, progresse de plus de quatre points avec 37% des voix, tandis que l'extrême droite ultra-nationaliste divisée entre la coalition gouvernementale et l'opposition dépasse les 15%. Le Parti démocratique des peuples (HDP, gauche prokurde) remporte quant à lui un score de 4% au niveau national et conserve une forte implantation dans la zone kurde.

Bref, la mécanique électorale a ronronné as usual. L’arbre d’Ankara et d’Istanbul ne doit pas cacher la forêt: c’est un revers pour le parti au pouvoir, une claque pour son chef, mais pas un échec absolu. L'AKP conserve la plupart des arrondissements de ces deux villes; il est toujours le premier parti du pays et sa coalition est majoritaire. Parler de défaite complète serait une erreur. 

Confiance dans les élections

Le résultat de ces élections témoigne en revanche de l’enracinement de la démocratie dans ce pays. En vérité, celle-ci n’a jamais été aux abonnés absents. Cela se voit, à certains égards, dans le comportement de Recep Tayyip Erdogan lui-même: bien qu'il ait détourné les institutions en faveur de son pouvoir dominant et instauré une véritable autocratie en modifiant profondément la Constitution, en s’asseyant sur la séparation des pouvoirs et en inféodant la justice, il considère toujours que la base de sa légitimité réside dans l'appui majoritaire de sa population exprimé dans les urnes, selon un processus électoral pas trop ouvertement faussé.

Mais cela se voit aussi et surtout dans le comportement de l'électorat. La forte participation électorale (il est vrai que le vote est obligatoire, mais cette obligation n'est pas vraiment sanctionnée), le maintien voire l'augmentation des suffrages accordés à l'opposition témoignent d'une confiance populaire renouvelée dans l'importance du mécanisme fondamentalement démocratique des élections.

Des deux principales racines de la démocratie, l'élection des responsables politiques et l'État de droit, la première semble encore vivace en Turquie, même si le second n’est plus que l’ombre de lui-même.

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