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Pédophilie: la tolérance zéro selon Benoît XVI

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Alors qu'un nouveau scandale vient d'éclater en Allemagne, le pape a convoqué à Rome tous les évêques irlandais coupables de silence dans les affaires de prêtres pédophiles. Benoît XVI se montre plus intransigeant que ses prédécesseurs.

La sévérité que manifeste le pape Benoît XVI dans le traitement des affaires de pédophilie qui touchent le clergé catholique est plutôt rassurante. Après le règne du silence, voire du mépris, qui a longtemps entouré ces scandales, leur prise en charge au plus haut niveau de l'Eglise montre que celle-ci a enfin décidé de sévir et d'employer les grands moyens de la prévention et de la répression.

Prise en compte des victimes

Il était plus que temps. Juste avant d'être élu pape le 19 avril 2005, Joseph Ratzinger avait déjà dénoncé les «souillures» dont se rendait régulièrement coupable l'Eglise catholique. Depuis le début de son pontificat, il a eu des mots et des gestes souvent justes à l'égard des victimes d'abus sexuels de prêtres et il n'a pas hésité à mettre en cause collectivement les épiscopats des pays concernés.

Ainsi vient-il de convoquer au Vatican de manière extraordinaire les vingt-quatre évêques que compte un pays aussi catholique que l'Irlande. Deux rapports officiels avaient accusé ces évêques d'avoir couvert des actes pédophiles commis par des prêtres. En mai 2009, le rapport du juge Sean Ryan avait révélé que des centaines d'enfants avaient été touchés et violés, à partir des années 1940, dans les institutions religieuses du pays. Les chiffres sont ahurissants. Sur près de 35.000 enfants placés dans des réseaux d'écoles catholiques, ateliers, écoles professionnelles, maisons de correction ou autres institutions pour handicapés, plus de 2.000 avaient déclaré à la commission Ryan avoir souffert d'abus physiques et sexuels perpétrés par des éducateurs, en particulier des prêtres.

Le deuxième rapport de novembre 2009 est l'œuvre de la juge Yvonne Murphy qui travaillait, depuis 2006, sur les violences commises par des prêtres dans le seul diocèse de Dublin, pour la période allant de 1975 à 2004. Ce rapport mettait en cause, de manière accablante, une hiérarchie catholique accusée d'avoir caché, couvert, étouffé, pendant trente ans, la plupart des abus sexuels. Jusqu'à ces dernières années, aucune mesure de vigilance, ni de répression n'avait été prise pour prévenir de tels méfaits.

Le scandale est contagieux

Depuis la publication de ces deux rapports, la tempête est énorme en Irlande. La réputation de la toute puissante Eglise y est durablement atteinte. Trois évêques ont été acculés à la démission, avant que le pape, choqué, ne se saisisse de l'affaire, entre autres à des fins d'exemplarité. Car le scandale est contagieux. De nouveaux cas de pédophilie viennent d'être révélés dans le clergé en Allemagne et au Canada. A travers le cas irlandais, Benoît XVI veut faire comprendre à l'ensemble de son Eglise que la seule politique possible est la tolérance zéro. Au cours du «sommet» de l'épiscopat irlandais qui s'est tenu les 15 et 16 février 2010 au Vatican, il a répété que la pédophilie était «un crime atroce», ainsi qu'un «péché grave qui offense Dieu et blesse la dignité de la personne humaine». Il a invité ses hôtes à prendre avec «honnêteté et courage» les mesures nécessaires pour réparer la faute, guérir ceux qui ont été abusés, coopérer avec la justice et rétablir la crédibilité morale de l'Eglise.

De leur côté, les évêques irlandais n'ont pas opposé de résistance et ont reconnu l'ampleur du désastre. Ils ont admis que la gestion des affaires de pédophilie dans les rangs de leur clergé avait été un lamentable échec. Ils ont transmis au pape et à son entourage les sentiments de «douleur et de colère, de trahison et de honte» qui ont été exprimés par les associations de victimes de prêtres pédophiles. «Il n'y a pas de doute, ont-ils reconnu dans le communiqué final de cette rencontre, que des erreurs de jugement et des omissions ont été commis et sont au cœur de la crise». Ils ont assuré que des «mesures significatives » seront prises cette fois pour garantir la sécurité des enfants. Pour cela, ils s'engagent sans réserve à coopérer avec les autorités judiciaires de leur pays, «afin de garantir que les normes, les politiques et les procédures de l'Eglise correspondent aux meilleures pratiques possibles dans ce domaine».

Des mots forts, mais que des mots

Malgré ces résolutions, cette réunion des évêques irlandais autour de Benoît XVI a en partie déçu les associations de victimes qui attendaient des annonces et des mesures plus concrètes. «Les mots semblent très forts et c'est exactement ce dont nous avons besoin, mais ce ne sont que des mots», a déclaré John Kelly, fondateur de l'association Irish Survivors of Child Abuse group, dans une déclaration citée par La Croix du 17 février. Le pape doit adresser dans les jours prochains une lettre à tous les fidèles de l'Eglise d'Irlande.

La rencontre de Benoît XVI avec les évêques d'Irlande était une première. A Rome, on sort enfin ces affaires de la clandestinité. En avril 2002, le pape Jean Paul II avait bien convoqué les cardinaux américains affrontés à une tempête identique: aux Etats-Unis, 3.000 prêtres sur 42.000 ont fait l'objet de poursuites judiciaires pour abus sexuels. Mais c'est la première fois avec l'Irlande qu'un épiscopat a été convoqué dans son entier. Benoît XVI se montre plus intransigeant que ses prédécesseurs et il l'a manifesté à plusieurs reprises depuis le début de son pontificat. Lors de ses deux déplacements successifs aux Etats-Unis et en Australie, en avril et en juillet 2008, il avait déjà fortement condamné les actes pédophiles et rencontré en privé des victimes de prêtres prédateurs.

«Profondément désolé»

A bord de l'avion qui le menait à Washington, le 15 avril 2008, Benoît XVI s'était dit particulièrement «honteux». «Un pédophile ne peut pas être prêtre», avait-il ajouté avant de souhaiter que l'Eglise puisse venir davantage en aide aux victimes. Au cours de son séjour aux Etats-Unis, le pape avait rencontré plusieurs victimes de prêtres à la nonciature de Washington, ce qui ne figurait pas au programme initial du voyage. Trois mois plus tard, en Australie, il s'était à nouveau déclaré «profondément désolé» après la révélation de plusieurs cas de pédophilie à l'intérieur du clergé catholique. Avant de quitter le pays, il avait célébré la messe, en privé, en présence d'hommes et de femmes victimes d'abus sexuels commis par des hommes d'Eglise.

Paroles suivies d'effet. En Australie, aux Etats-Unis, partout où des scandales similaires ont éclaté, l'Eglise a demandé pardon, s'est engagée à indemniser généreusement les victimes, à mieux former son personnel, à faire preuve de plus grande transparence et à ne plus tolérer le moindre dérapage. Dans l'Eglise américaine, au nom de la «tolérance zéro», une seule plainte suffit désormais pour renvoyer un prêtre. Comme en Irlande, une collaboration totale avec la police et la justice a été exigée et mise en place. A titre préventif, des enquêtes approfondies sont menées auprès de religieux, de prêtres, de laïcs, d'employés de l'Eglise travaillant au contact direct des enfants.

Et en Allemagne...

Cette intransigeance du pape Benoît XVI est bienvenue alors qu'en Allemagne, son pays, un nouveau scandale du même type vient d'éclater. Il implique des religieux jésuites et prend chaque jour de l'ampleur. Fin janvier, le recteur du prestigieux collège Canisius de Berlin, qui a formé des membres de l'élite économique et politique du pays, a reconnu que des élèves avaient été victimes d'abus sexuels de la part d'au moins deux professeurs dans les années 1970 et 1980. Plus d'une centaine d'anciens élèves seraient concernés, vient de déclarer le Père Klaus Mertes, recteur de cet établissement, au quotidien Berliner Zeitung. D'autres collèges jésuites en Allemagne auraient été touchés. La justice et l'opinion sont en alerte. On comprend mieux l'attitude du pape face à l'extension d'un scandale qui n'en finit pas, s'étend, ruine l'image de l'Eglise et défie l'imagination.

Henri Tincq

Image de une: Benoît XVI, le 17 février au Vatican. REUTERS/Alessia Pierdomenico


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