Société

Boris Le Lay, itinéraire d’un multirécidiviste de la haine raciale

Son activité sur internet est tentaculaire. Condamné à de multiples reprises pour provocation à la haine raciale en Bretagne, le blogueur continue de sévir depuis le Japon en toute impunité.

Boris Le Lay dans l'une de ses vidéos, datée du 11 janvier 2019 | Capture d'écran via YouTube
Boris Le Lay dans l'une de ses vidéos, datée du 11 janvier 2019 | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 16 minutes

«Bientôt, vous ne rirez plus.» En octobre dernier, l’association quimpéroise Dizale, spécialisée dans le doublage de fictions et de documentaires en breton, reçoit cette phrase en objet d’un mail anonyme. Le studio a récemment publié une annonce de casting dans les médias locaux, à la recherche de jeunes voix masculines pour le doublage du film d’animation Azur et Asmar de Michel Ocelot, le réalisateur du célèbre Kirikou et la sorcière. La suite se passe de commentaire.

«Votre clique de communistes fragiles utilise donc l'argent des Blancs pour promouvoir, à travers ces films merdiques, l'invasion de la Bretagne, de la France et de l'Europe par des hordes de nègres et de bougnoules. La France et l'Europe, bientôt délivrées de l'occupation judéo-bolchevique, n'auront plus à supporter les parasites que vous êtes, fossoyeurs des peuples Blancs. Lorsque ce jour arrivera, vous devrez rendre des comptes. Je n'aimerais vraiment pas être à votre place.» Le mail, signé d’une croix gammée, renvoie à un article du site Breiz Atao, propriété d’un dénommé Boris Le Lay. Un frisson parcourt les équipes de Dizale. Faut-il annuler le casting par mesure de sécurité? Porter plainte? L’association décide finalement de laisser couler. Et le casting connaît un franc succès.

Ces menaces peuvent paraître délirantes par le ton et le vocabulaire utilisés. Elles sont toutefois courantes en Bretagne. Toutes portent la marque du blogueur nationaliste Boris Le Lay, réfugié au Japon depuis cinq ans, mais qui garde un œil attentif sur l’actualité de sa région natale.

Fiché S, porteur de plusieurs mandats de recherche et d’une notice rouge Interpol, le Breton âgé de 37 ans cumule déjà plus de dix ans de condamnations à de la prison ferme, principalement pour provocation à la haine raciale. Toujours en ligne, dans des articles ou en vidéo. La quasi-totalité de ces condamnations ont été prononcées en Bretagne et accueillies par l’homme au Japon, d’où il ne peut être extradé.

Capture d'écran via Twitter (décembre 2018)

Son activité sur internet est tentaculaire. Plus de 200.000 abonnés –cumulés sur Facebook, Twitter et YouTube– suivent quotidiennement le personnage. Il est l’administrateur de plusieurs sites. Son phare breton: Breiz Atao. Mais pas seulement. Il est aussi soupçonné d’être le créateur de Démocratie Participative, portail ultra-raciste qui a récemment fait l’objet d’un blocage par la justice. L’homme est un blogueur, vidéaste, podcasteur influent au sein de la fachosphère.

Dans un contexte général de libéralisation de la parole raciste et antisémite, Boris Le Lay incarne aujourd’hui ce qui se fait de pire. Sa radicalisation demeure un mystère. Principalement parce qu’elle a eu lieu à l’abri des regards, devant un écran d’ordinateur installé dans une chambre d’adolescent, au fin fond de la Bretagne, à l’aube des réseaux sociaux.

L’héritier de Breiz Atao

Boris Le Lay est né à Quimper, dans le Finistère, en 1981. Il grandit à quelques kilomètres de là, entre deux communes limitrophes, Elliant et Rosporden. Sa maman, Odile, à l'époque employée dans une station-service, décrite par des locaux comme fantasque et causante, l’élève seule. Le père, Marcel, un maçon consciencieux, vit non loin. Le garçon fréquente l’école primaire d’Elliant, puis le collège de Pensivy, à Rosporden.

Au sein de cet établissement, il tisse des liens avec son conseiller principal d’éducation, Skiold Basclet, qui se souvient très bien de lui: «J’ai toujours été attentif aux différences, aux fêlures. J’ai décelé en lui une fragilité. C’était un gamin qui n’allait pas bien». Ses notes s’en ressentent: il décrit un élève «très moyen». Skiold pense que son socle familial n’a pas aidé. «C’était un milieu rural. Les familles étaient très structurées. Les gamins avaient des oncles, des tantes, une famille comme boussole. Boris était isolé. Il était seul avec sa mère. Il avait besoin d’une figure paternelle et je jouais un peu ce rôle», confie-t-il.

Dix ans plus tard, aux alentours de 2005, un jeune homme d’environ un mètre quatre-vingt frappe à sa porte pour lui demander un poste de surveillant à mi-temps. Skiold Basclet travaille désormais au lycée Chaptal à Quimper. Il reconnaît tout de suite les longs cheveux blonds, le sourire charmeur et les traits fins de Boris –qu’il décide d’embaucher.

«On le sous-estimait. On n’était pas du tout au fait de ce qu’il se passait sur le web à l’époque»

Un journaliste du Télégramme

Deux nuits par semaine, en parallèle à des études d’histoire, le jeune homme toque à la porte des internes, s’assure que tout va bien. Le reste du temps, il vit chez sa mère, «qu’il ne supporte plus». Les premiers dérapages surviennent: «Des élèves m’ont rapporté qu’il tenait des propos ambigus sur l’Holocauste ou sur le rôle du Troisième Reich. Je me demande s’il n’écoutait pas des chants nazis dans sa chambre de pion», se rappelle Skiold Basclet. Le CPE le recadre et l’affaire en reste là. «Il a ensuite quitté l’orbite quimpéroise et vite défrayé la chronique dans les milieux bretonnants. J’étais tellement déçu par cette trajectoire que je l’ai sorti de mes pensées.»

En parallèle, Boris Le Lay effectue un court passage au sein du mouvement d'extrême droite breton Adsav. Toujours prêt à en découdre, idéalisant la Bretagne jusqu’au bout des ongles, en désaccord avec la direction: le jeune homme y restera moins de deux ans, entre 2004 et 2006. Un ancien membre l’a côtoyé durant ces années. Il décrit un militant «très investi pour la Bretagne, attaché aux siens, à sa terre. Une terre bretonne un peu idéalisée comme tous les militants l'idéalisent d'ailleurs». Un peu zélé, mais pas méchant.

À compter de 2007, le nationaliste préfère agir seul, derrière son ordinateur. Un article gentillet lui est consacré dans le quotidien Le Télégramme, intitulé: «Il met la France en vente sur internet». L’objet: un canular, monté par Boris Le Lay, consistant à «vendre» la France sur eBay pour dénoncer la dette abyssale contractée par le pays. En illustration du papier, le jeune homme pose dans sa chambre, chez sa maman, à Rosporden, et arbore un grand sourire sur fond de papier peint rempli de dinosaures. «On le sous-estimait. On n’était pas du tout au fait de ce qu’il se passait sur le web à l’époque», regrette aujourd'hui l’auteur de l'article.

«L'héritage de Breiz Atao est revendiqué, et sur les bases racistes, antisémites, antirépublicaines, antidémocratiques, machistes, obscurantistes, qui ont fait du mouvement breton l'auxiliaire des nazis»

Françoise Morvan, essayiste

Un an plus tard, le ton change radicalement. Il ouvre un site ouvertement antisémite: leprojetjuif.info, où écrira également le négationniste Hervé Ryssen. Les auteurs y proposent notamment l’instauration d’un statut pour les juifs en France. Le site passe un temps sous les radars de la justice. Après un signalement, Boris Le Lay est convoqué par la gendarmerie, mais refuse de répondre. Ses propos sont perçus comme étant trop incohérents pour être pris au sérieux. Il poursuit sa route.

L’année 2010 marque un tournant dans sa vie. Il crée le support de sa pensée extrémiste: le site Breiz Atao, qui lui vaut aujourd’hui la majorité de ses condamnations. Le nom n’a pas été choisi par hasard. Il s’inspire des revues et du mouvement régionaliste du même nom, nés en 1919.

Françoise Morvan est l’autrice de Le monde comme si (2002), un essai sur la dérive nationaliste bretonne. Elle analyse: «Pour la première fois depuis la Libération, l'héritage de Breiz Atao est non seulement assumé mais revendiqué, en pleine cohérence, et sur les bases racistes, antisémites, antirépublicaines, antidémocratiques, machistes, obscurantistes, qui ont fait du mouvement breton l'auxiliaire des nazis». Plus que le personnage de Boris Le Lay, «c’est la mouvance qui le porte, son histoire et son idéologie qui devraient être l'objet de la plus grande attention en tant que symptômes d'une maladie en train de se répandre», estime l’essayiste.

«Il n’y a pas de Celtes noirs»

Cette maladie évoquée par Françoise Morvan porte un nom: le nationalisme. Et le racisme qui en découle. Ce dernier s’exprime par des phrases maladroites, des regards de biais, des menaces, qui surgissent par à-coups. Dans le salon de ses parents à Lorient, le musicien Yannick Martin en parle avec précaution, en évitant soigneusement de prononcer les mots qui fâchent, les mots tabous. Adopté par une famille bretonne à l’âge de 6 mois, ce Colombien d’origine grandit dans l’ambiance joyeuse des festoù-noz finistériens. Le garçon prend comme modèle les grands noms de la musique celte. Il s’esquinte les doigts sur sa bombarde pour rejoindre les formations de musique bretonne les plus renommées: le Bagad Kemper puis le Bagad Cap Caval. Le Real Madrid et le FC Barcelone de la musique celte.

Le trentenaire est aujourd’hui un musicien accompli. Malgré lui, il incarne un modèle d’intégration: un Noir dans la tradition celte. Boris Le Lay ne pouvait que s’attaquer à lui. C’était une question de temps.

Le blogueur passe à l’offensive dans une vidéo en 2011, peu de temps après que Yannick Martin soulève son premier titre de champion de Bretagne de cornemuse-bombarde, au championnat de Gourin, une commune du Morbihan. Dans celle-ci, le nationaliste appelle à la sauvegarde de la pureté de la race bretonne. Il écrit aussi un billet sur Breiz Atao, où il affirme qu’«il n’y a pas de Celtes noirs».

«Moi le Colombien d’origine, j’ai joué avec le Libanais Ibrahim Maalouf. On a tourné au Zénith de Nantes, au Liberté à Rennes, au Quartz à Brest ou encore au festival des Vieilles Charrues. On a terminé par Bercy»

Yannick Martin, sonneur

À Brest, 750 sonneurs arborent au revers de leur veston un double ruban noir et blanc, en signe de soutien à Yannick Martin. «Maintenant tu es un emblème de la Bretagne. On ne touche pas aux emblèmes de la Bretagne. Si tu as un problème, tu m’appelles», lui glisse Jean-Yves Le Drian, alors président du Conseil régional de Bretagne, au cours d’une cérémonie. Mais le Breton d’adoption plonge malgré tout. «J’ai été détruit. Je n’avais plus envie de jouer, je n’avais plus goût à rien.»

Yannick Martin porte plainte. Boris Le Lay est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, une peine confirmée en appel en 2013. Le nationaliste monte une nouvelle vidéo où il réitère ses propos. Une autre plainte est immédiatement déposée mais la procédure traîne en longueur.

Entre-temps, le musicien a retrouvé sa «grinta». Il répond à Boris Le Lay sur son terrain. «Moi le Colombien d’origine, élevé dans la culture bretonne, j’ai joué avec le Libanais Ibrahim Maalouf. On a tourné au Zénith de Nantes, au Liberté à Rennes, au Quartz à Brest ou encore au festival des Vieilles Charrues. On a terminé par Bercy. C’était la meilleure réponse à lui apporter.»

Après des années de procédure et plusieurs attaques au fil des années, Yannick Martin a été la première personne à avoir fait condamner le blogueur à un an de prison ferme, en mai 2015. Boris Le Lay ne passera pas une minute derrière les barreaux. Il s’est déjà envolé vers Tokyo.

L’exil est une suite logique pour Françoise Morvan: «Le mouvement nationaliste breton était entré dans une nouvelle phase: ces militants n'étaient plus accessibles à la sanction, ils avaient grâce à internet le moyen de toucher un grand nombre de lecteurs et surtout ils étaient en relation avec des groupes identitaires dans le monde entier».

L’épée de Damoclès

À l’autre bout du monde, hors de portée de la justice, Boris Le Lay passe la vitesse supérieure. Sur Breiz Atao, il insulte, menace, harcèle, diffame de nombreux élus, des personnes de couleur, des immigrés, des associations de défense des droits humains. Chaque histoire est singulière et charrie avec elle son lot de questions, de craintes et d’incompréhension.

Pascale Tamalet est correspondante de presse au quotidien Le Télégramme à Concarneau, dans le Finistère. En décembre 2014, elle écrit «un des plus beaux articles de [sa] vie»: le portrait d’un jeune Malien, Bourama, dingue de football, embauché comme apprenti dans une boulangerie du coin après une douloureuse traversée de la Méditerranée. Le papier n’échappe pas à la veille de Boris Le Lay. «À vos emails, téléphones, Facebook: Breiz Atao lance la campagne pour la remigration de Bourama», réagit-il sur son site. Il consacre, pendant un mois, de nombreux articles à ce feuilleton. Quant à Pascale Tamalet, le blogueur déniche une photo d’elle, qu’il met en ligne, et lui envoie des menaces en privé sur Facebook –«Regarde autour de toi quand tu sors».

Dans les rues de Concarneau, l’ancienne patronne de boîte de nuit se fait interpeller: «Pourquoi tu parles de Maliens, alors que tu pourrais parler des Français?». Comme beaucoup de victimes de Boris Le Lay, elle a depuis opéré un grand nettoyage numérique pour ne plus laisser filtrer d’informations personnelles. Mais sa photo est toujours en ligne sur Breiz Atao.

«C’était assez virulent, il y avait des hommes, des femmes, des gens de l’extérieur, des vacanciers, beaucoup d’appels masqués, ça fusait, ça venait de tous horizons»

Une employée municipale de Trégunc

Marie-Andrée Jérôme-Clovis, 65 ans, a été candidate écologiste lors de la campagne politique départementale de 2015, dans la région de Concarneau. Les mots utilisés par Boris Le Lay à l'encontre de cette femme née en Guyane –la présentant comme une «extra-européenne», une «allogène», en charge de «promouvoir l’éradication raciale du peuple breton dans le secteur»– ont réveillé des peurs anciennes. «Dans les années 1960, j’ai passé mon CM2 à Provins, en Seine-et-Marne. Je n’avais pas le droit de marcher sur les mêmes trottoirs que les Blancs», se remémore-t-elle. L’ancienne institutrice raconte l’accueil froid de la police concarnoise au moment de sa plainte, le manque d’empathie des avocats, son sentiment de solitude. La peur d’être attaquée en pleine rue. Marie-Andrée n’a pas hésité à raconter son calvaire à la barre lors d’un procès à Quimper, en 2017.

D’autres Bretons prennent les attaques de Boris Le Lay avec davantage de détachement.

Qualifié d’«apprenti apparatchik socialiste» par le blogueur, le maire de Rosporden, Michel Loussouarn, avocat de profession, estime que c’est «le lot commun de la vie publique». Le journaliste Thierry Charpentier, ancien fait-diversier, assimilé pour sa part à un «membre du Grand Orient de France», assure en avoir vu d’autres. Eux n’ont pas porté plainte. Un militant antifasciste quimpérois s’est même félicité d’avoir été fiché sur Breiz Atao.

Boris Le Lay agit seul. Mais son influence se mesure aussi à la réactivité de ses sbires. Le 23 septembre 2016, un premier coup de téléphone résonne dans la mairie de Trégunc (Finistère). Interloqué, le personnel s’entend proférer des insultes et des menaces. Puis le standard téléphonique s’emballe. «C’était assez virulent, il y avait des hommes, des femmes, des gens de l’extérieur, des vacanciers, beaucoup d’appels masqués, ça fusait, ça venait de tous horizons», décrit une employée municipale.

Dans un article de Breiz Atao, mis en ligne quelques heures plus tôt, Boris Le Lay dévoile que la commune prépare secrètement la venue de cinquante migrantes et migrants. Son lectorat découvre –scandalisé– que des sympathisants islamistes vont loger dans de luxueux domaines, à deux pas des écoles publiques. Le blogueur conclut en communiquant le téléphone et l’e-mail de la mairie sur son site, les incitant à réagir.

«Les enfants ont intégré l’école publique. C’était un moment fort»

Olivier Bellec, maire de Trégunc

Le maire Olivier Bellec est impuissant. Il a vaguement entendu dire que sa commune pourrait accueillir des migrants dans le cadre du démantèlement de la «jungle» de Calais, mais il ne dispose pas d’informations précises. Comment rassurer sa propre population, si lui-même n’a pas les clés en main? «Les appels et les e-mails ont duré plusieurs semaines. Certains ciblaient ma famille. Une manifestation anti-migrants a même réuni une centaine de personnes devant la mairie. On a ressenti tellement de haine, qu’à un moment on s’est dit: et si finalement tout le monde pensait de cette manière?»

La situation retombe comme un soufflet à l’arrivée des familles migrantes, au début du mois de novembre. Ils sont une trentaine, dont douze femmes et seize enfants de moins de 10 ans. Les messages de soutien pleuvent. Des dizaines de locaux s’investissent. «Les enfants ont intégré l’école publique. C’était un moment fort. Certains sont repartis dès le mois de janvier. En mars, il n’y avait plus personne», conclut-il.

Les victimes citées plus haut ont accepté de nous raconter cette épreuve. Mais toutes ne souhaitent pas le faire, ce qui en dit long sur le traumatisme que peuvent provoquer les mots et les attaques en ligne menées par le blogueur.

Sur Démocratie Participative, portail ultra-raciste et antisémite créé en 2017 que Boris Le Lay est très fortement soupçonné d’administrer, les victimes s’appellent Huguette Tiegna, députée qualifiée de «grosse négresse macroniste», Marc Knobel, directeur des études au Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), épinglé sur le site avec une étoile jaune, ou encore Aurélien Enthoven, «petit youtre» et «fils de la pute à juifs» Carla Bruni. La liste n’est pas exhaustive.

La traque

Un mot revient dans la bouche des victimes: impunité. La justice française n’aurait pas bien fait son travail. La preuve: Boris Le Lay continue à propager librement ses idées. Il serait aussi tranquille que Napoléon sur l’île d’Elbe.

La réalité est plus complexe. Le droit français ne peut empêcher le blogueur de publier ses articles, étant donné qu’il héberge ses sites aux États-Unis. Ses propos sont donc protégés par le premier amendement de la constitution américaine, lui garantissant la liberté de parole la plus totale.

La justice française s’est toutefois adressée aux États-Unis et à son géant Google pour tenter de limiter son audience. En 2017, la plupart de ses vidéos YouTube ont été supprimées et son site Breiz Atao a été en partie déréférencé. En novembre dernier, Démocratie Participative a également fait l’objet d’un blocage. Mais le site, par un facile tour de passe-passe numérique, continue d’émettre.

Du reste, aucun accord politique d’extradition n’existe entre les gouvernements français et japonais.

«Hitler a commencé dans des brasseries, avec une centaine de personnes. Ce n’est pas lui qui a tué, mais c’est lui qui a mis en pratique les idées»

Thierry Lescouarc’h, procureur de la République de Quimper

Un homme est cependant bien décidé à ramener Boris Le Lay en France les menottes aux poignets. Thierry Lescouarc’h est le procureur de la République de Quimper depuis septembre 2014. Au moment de sa prise de poste, le blogueur se résume à un épais dossier posé en haut de la pile de son bureau. Au terme d’un long procès à l’été 2017, le tribunal de Quimper lui inflige sa plus lourde peine: deux ans et demi de prison ferme. Le procureur en avait requis quatre.

Boris n’était pas présent à cette audience judiciaire. Pas plus qu’à toutes les autres qui ont jalonné son parcours. La justice ne dispose que de peu d’informations sur lui. En octobre 2011, une perquisition a eu lieu chez sa mère, à Rosporden, où il vivait. Les policiers n’y ont découvert qu’un ordinateur avec un accès internet crypté, et de quoi affirmer qu’il est bien l’administrateur du site Breiz Atao. Pas d’arme, aucun élément ne le rattachant à une ratonnade.

Mais pour Thierry Lescouarc’h, il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’homme est dangereux. Les multiples récits des victimes l’en ont convaincu. Ainsi que sa manière de porter ses discours. «Hitler a commencé dans des brasseries, avec une centaine de personnes. Ce n’est pas lui qui a tué, mais c’est lui qui a mis en pratique les idées», compare-t-il. Dans certaines de ses vidéos, la gueule d’ange arbore un masque glaçant. «Il transpire la haine», souffle le procureur, qui lui reconnaît néanmoins «des capacités d’orateur qui peuvent le rendre convaincant aux yeux de certains».

Son arrestation le conduirait en prison. Mais ce serait le début d’un marathon judiciaire. Le nationaliste pourrait faire appel des jugements pour lesquels il ne s’est pas présenté physiquement à l’audience. En résumé: presque tous. Dans quelques cas de figures, les procès seraient à refaire intégralement en présence du prévenu. L’impact médiatique serait retentissant. Le blogueur est un expert dans l’art de se faire passer pour une victime. «Dès lors que l'on est condamné pour nier l'existence supposée de “Celtes noirs”, ne cherchez plus: on fera tout ce qu'on veut», expose-t-il régulièrement sur les réseaux.

Capture d'écran via Twitter (janvier 2019)

Yann Vallerie, rédacteur du média Breizh-Info, résume la pensée d’une branche de l’extrême droite. Il s’étonne que Boris Le Lay puisse croupir un jour en prison «aux côtés de gens qui ont trafiqué de la drogue, tué, violé. [...] N’importe quelle personne attachée à la liberté d’expression dans ce pays devrait être outrée des condamnations à de la prison ferme qu’un homme accumule, pour de simples écrits, aussi horribles soient-ils».

Son exil au Japon, le blogueur prétend le subir. En vérité, c’est un amoureux de longue date de l’archipel. Un pays de traditions. Avec des histoires de samouraïs, des plats ancestraux, des rues jalonnées de sanctuaires et de temples. Des choses simples qui perdurent depuis des siècles. Tout ce qu’il affectionne, au Japon ou ailleurs. Il s’y est rendu plusieurs fois avant son exil en 2014. Il y a même travaillé un temps comme cuisinier, au sein d’un établissement du chef multi-étoilé, récemment décédé, Joël Robuchon.

Mais sa vie sur place demeure opaque. On ne connaît de lui qu’un seul décor: le mur blanc dénudé qui apparaît en fond de ses nombreuses vidéos. Travaille-t-il encore comme cuisinier? Est-il marié à une ressortissante japonaise? Imperméable voire fantomatique, l’homme ne semble exister qu’à travers ses activités en ligne.

Retour en terre bretonne

Dans les bars d’Elliant, on évite de prononcer le nom du blogueur multi-condamné, dont on suit les péripéties dans le journal. «Allez plutôt voir à Rosporden», lance un moustachu soucieux de l’image de sa commune. Attablés autour d’une bière ou d’un verre de rosé, les habitués font toute de même allusion au père, à la mère ou même à la grand-mère de Boris: «Elle habite dans ma rue», «Il a retapé ma maison», «Elle ramassait des légumes dans le jardin de mes parents». Ce sont «des gens bien». Des gens du cru qui n’ont jamais fait de vagues. Pas comme leur progéniture.

Derrière son bureau surplombant une partie de la commune, le maire René Le Baron, poigne solide et parler franc, conserve une colère intacte envers l’exilé. Par sa faute, il s’est retrouvé dans une position épineuse, au début de son mandat. Il a dû gérer une école publique en crise. Un personnel enseignant traumatisé. La venue d’un inspecteur d’académie. La cause? Boris Le Lay s’en est pris à son ancienne école primaire.

«S’il remet les pieds ici un jour, c’est le goudron et les plumes qui l’attendent»

René Le Baron, maire d'Elliant

Au printemps 2015, la directrice de l’école primaire de la commune profite de la présence d’un enfant syrien dans ses bancs pour mener un projet éducatif quadrilingue. Un parent d’élève mécontent partage en ligne une photo d’un panneau, sur lequel le mot «toilettes» est écrit en français, en breton, en arabe et en calligraphie arabe. Un affront pour Boris Le Lay. Un symbole. Celui de l'islamisation de la Bretagne, jusque dans l’école de son enfance. Le blogueur réagit comme à son habitude: il écrit un texte grandiloquent sur Breiz Atao, publie les coordonnées de l’école et de la mairie d’Elliant, tient des propos virulents dans une vidéo. Un mot d’ordre à ses lecteurs: réagissez.

Comme à Trégunc, les harcèlements durent des mois. Encore choqués par cette vague de violence, les personnels enseignants refusent catégoriquement d’en parler. René Le Baron n’oubliera jamais cette rude période. «Cette histoire nous a soudés. On a bien sûr continué le projet de signalétique, en ajoutant du géorgien et d’autres langues.» Quant à Boris Le Lay, «s’il remet les pieds ici un jour, c’est le goudron et les plumes qui l’attendent».

Il n’a plus de raison de le faire. L’été dernier, sa grand-mère maternelle est décédée. Désirée Bohan vivait à la Cité des Jardins, à Elliant. Elle était l’une des dernières personnes à le rattacher à cette commune. Le 27 juin, le jour des funérailles, le blogueur était présent, mais par écrit, à distance. Rien de répréhensible cette fois. Boris Le Lay lui avait simplement laissé une lettre d’amour.

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