Santé / Sciences

Grâce aux nez électroniques, le diagnostic médical deviendra automatique

Longtemps ignorées des médecins, les capacités olfactives des animaux ont finalement montré la voie: de nouveaux outils sensitifs bioélectroniques identifient des maladies à partir de l’haleine.

Les chiens sont capables d’identifier dans l’haleine les composés organiques volatils spécifiques à certaines maladies. | Patrick Tomasso via <a href="https://unsplash.com/photos/IrPTc2KYqzQ">Unsplash</a>
Les chiens sont capables d’identifier dans l’haleine les composés organiques volatils spécifiques à certaines maladies. | Patrick Tomasso via Unsplash

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Il y a trente ans, des médecins rapportaient une curieuse observation dans les prestigieuses colonnes du Lancet: le Pr Hywel Williams, spécialiste de dermatologie à l’Université de Nottingham expliquait avoir pris en charge une patiente présentant un grain de beauté sur la jambe dont elle ne faisait pas grand cas –du moins jusqu’à ce que son chien se mette à le renifler frénétiquement. Diagnostic: mélanome. D’autres observations similaires suivirent dans The Lancet. Des cas certes anecdotiques mais qui commencèrent à intéresser, puis à passionner certains esprits curieux.

C’est ainsi que l’on commença à parler de chiens auxiliaires du corps médical, d’animaux dressés pour identifier non pas des substances illicites mais bien des lésions pathologiques. Un chapitre qui a aujourd’hui dépassé le stade de l’anecdotique comme en témoignent, en France, deux projets dans deux champs médicaux bien différents.

Diabète, cancers, tuberculose

Le projet Acadia consiste à éduquer des chiens d’alerte à la détection de l’acétone dans l’haleine de personnes souffrant de diabète de type 1. En complément des traitements et du suivi médical, cette détection constitue une prévention efficace contre les hypo/hyperglycémies et améliore la vie quotidienne des enfants diabétiques et de leurs familles.

L’association entend notamment développer des travaux dans deux domaines. D’une part, la capacité de détection des hypoglycémies et hyperglycémies par des chiens entraînés; d’autre part, l'évaluation de l’impact d’un chien d’assistance pour diabétique sur l’équilibre glycémique et la qualité de vie à travers l’amélioration du schéma thérapeutique et le bien-être du patient ou de la patiente.

Le programme KDOG concerne le cancer du sein. Soutenu par l’Institut Curie de Paris, il a permis de mener une étude préliminaire avec deux bergers malinois flairant la sueur de 130 femmes, avec une réussite supérieure à celle de la mammographie. Les résultats ont été présentés devant l’Académie nationale de médecine et ont permis d’affirmer que le cancer du sein avait bien une «odeur» et que les composés organiques volatils (COV) impliqués traversaient la barrière cutanée.

Une étude clinique en cours vise à valider la fiabilité et la sensibilité du test KDOG en le reproduisant à grande échelle. Plusieurs chiens, de différentes races et répartis sur différents sites d’exploration cynophile, seront mobilisés. Facile et peu onéreux, ce dépistage pourrait permettre de réduire l’exposition aux radiations ionisantes lors des mammographies de dépistage.

Publiée en 2012, une étude allemande a pu démontrer que les chiens étaient capables d’identifier dans l’haleine des patients, un ensemble de COV spécifique au cancer du poumon. Et à travers le monde, plusieurs équipes poursuivent des projets similaires de détection de cancers par des chiens formés.

Quant à la tuberculose, il faut compter avec le programme APOPO développé dans des pays où cette maladie demeure une cause majeure de décès prématurés. Ce sont ici des rats de Gambie qui sont spécifiquement entraînés à déceler, dans des expectorations, les COV émis par le bacille de la tuberculose pour un premier dépistage. Là encore, les résultats obtenus sont prometteurs.

Des nez portables et connectés

«Les résultats obtenus avec les animaux, même si certaines études présentent des défauts méthodologiques et reposent sur de faibles échantillons, confirment que les odeurs caractéristiques émises dans certaines pathologies peuvent aider à un diagnostic précoce, à une prise en charge rapide, un traitement plus efficace, et au suivi d’éventuelles rechutes», résume Édith Pajot-Augy (neurobiologie de l’olfaction, Institut national français de la recherche agronomique, Université Paris-Saclay) dans le dernier numéro de la revue Médecine/Sciences.

«Cependant, les animaux nécessitent d’être formés spécifiquement, ce qui demande parfois plusieurs mois pour les chiens. Ils doivent également s’entraîner régulièrement, et leurs performances être évaluées. L’ennui, la fatigue, la faim et les distractions externes peuvent diminuer ces performances. De plus, la présence des animaux en centres de soins n’est pas conventionnelle et peut être jugée inadaptée.»

Et c’est ici qu’apparaît, après les animaux, l’espoir des nez électroniques –des systèmes pouvant être miniaturisés, portables et connectés pleinement en phase avec les possibilités et les objectifs de la télémédecine. Édith Pajot-Augy les décrit ainsi:

«Les nez électroniques (ou e-nose) sont constitués de réseaux miniaturisés de capteurs chimiques à large spectre, avec des surfaces sensibles très variées (des polymères conducteurs, des polymères à empreinte moléculaire, des semiconducteurs à oxydes métalliques [MOS, metal oxide semiconductor], des nanotubes de carbone, des monocouches auto-assemblées fonctionnalisées, etc.), dont certaines propriétés sont modifiées en présence de COV. Elles sont couplées à un transducteur (électrochimique, optique, électrique, gravimétrique, etc.) qui génère, après traitement du signal, une signature, ou empreinte, caractéristique de l’environnement odorant.»

De nombreuses études sont menées depuis une décennie pour développer et commercialiser les premiers nez électroniques capables de détecter des maladies à partir de la simple analyse de l’haleine du patient. Plusieurs équipes cherchent également à décrypter les mécanismes biologiques sous-jacents: pourquoi telle ou telle affection est-elle associée à tel ou tel composé organique volatil?

Des techniques efficaces et peu coûteuses

Dans Médecine/Sciences toujours, Édith Pajot-Augy dresse un premier bilan de ce qui est d’ores et déjà possible.

La tuberculose: les travaux de la firme Aeonose sur des nez électroniques à oxydes métalliques portatifs utilisables dans des zones reculées sans appareillage de collecte constituent une technique peu coûteuse et facile à utiliser pour un diagnostic à partir de l’air expiré. Ces dispositifs permettent de différencier de manière efficace les personnes en bonne santé de celles atteintes de tuberculose, et ce sans avoir recours à des prélèvements biologiques.

Les affections cancéreuses: de nombreuses études utilisant des nez électroniques pour l’analyse des composés organiques volatils dans l’haleine ont fourni des résultats prometteurs dans la détection différentielle de plusieurs cancers. Des performances très intéressantes sont atteintes en termes de sensibilité et de spécificité, et permettent des suivis de réponse à des thérapies.

Le Na-Nose (nanoscale artificial nose) constitué d’un réseau de quatorze nanosenseurs est capable de différencier, par l’analyse de leur haleine, des individus sains et des personnes atteintes de l’un des quatre cancers primaires les plus fréquents (poumon, sein, côlon, prostate). Le SniffPhone combine quant à lui Na-Nose et smartphone. «Il détecte un cancer aux stades précoces (I et II) et affiche directement un diagnostic à l’écran. Une commercialisation est envisagée pour la détection du cancer de l’estomac, souvent tardivement diagnostiqué», assure Édith Pajot-Augy. Elle pourrait être étendue à d’autres cancers.

Les maladies neurodégénératives: là encore, des résultats préliminaires suggèrent des applications potentielles qui permettraient des diagnostics précoces, rapides et peu coûteux, notamment pour ce qui concerne la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson. Un e-nose commercial (le Cyranose 320) constitué de différents capteurs parvient à différencier, à partir d’échantillons d’air expiré et de façon significative, des personnes saines et des patients déjà diagnostiqués pour l’une ou l’autre de ces affections. D’autres systèmes pourraient fournir des outils de dépistage efficace, plusieurs années avant le diagnostic de la maladie.

«Chez des patients diagnostiqués pour une sclérose en plaques, maladie neurologique chronique la plus fréquente chez les jeunes adultes, des biomarqueurs volatils ont été mis en évidence dans l’air expiré, explique encore Édith Pajot-Augy. En parallèle, la réponse à ces échantillons d’haleine d’un réseau de nanocapteurs fondés sur des nanoparticules d’or ou des nanotubes de carbone fonctionnalisés, a été analysée par des réseaux neuronaux artificiels. Cette technique pourrait, à un coût abordable, remplacer l’IRM (imagerie par résonance magnétique) et l’examen des liquides céphalo-rachidiens pour le diagnostic et le suivi des différents stades de la maladie (maladie traitée, en rémission, contrôlée, ou en rechute).»

Une nouvelle voie originale de progrès

D’autres affections pourraient être rapidement concernées par cette nouvelle approche diagnostique comme la mucoviscidose, les sinusites bactériennes, les rhinosinusites chroniques ou les infections fongiques. On peut aussi d’ores et déjà envisager des dispositifs permettant la détection de plusieurs pathologies; ainsi que des dispositifs connectés à un smartphone, qui pourraient associer profils d’haleine et intelligence artificielle, dans le cloud, pour la surveillance non invasive de l’état de santé des patientes et des patients –comme le Rubix Wear de la société Rubix Senses & Instrumentation.

Et ce n’est là qu’une étape dans un chemin qui pourrait conduire aux nez «bioélectroniques». Sur la base de l’efficacité animale dans la détection des odeurs, il s’agirait d’utiliser les capacités intrinsèques de leur système olfactif pour développer des dispositifs hybrides «bio-inspirés». En d’autres termes, remplacer les surfaces sensibles des nez électroniques par des protéines olfactives, des récepteurs olfactifs dont la fonction naturelle est précisément de discriminer et de lier des composés organiques volatils à très faible concentration.

Le futur développement de ces dispositifs hybrides constitue d’ores et déjà une nouvelle voie originale de progrès pour le diagnostic médical par analyse de l’haleine, et ce au-delà des utilisations déjà validées des nez électroniques. De nombreuses difficultés techniques restent à surmonter –de même que bien des obstacles médico-légaux et éthiques. Pour autant, on distingue déjà l’émergence d’une médecine qui bénéficiera d’une approche radicalement nouvelle. Soit, après la vision du corps du patient ou de la patiente, sa palpation et son auscultation, la radiographie, l’endoscopie et les multiples analyses biologiques de ses composants, l’avènement du décryptage à des fins diagnostiques de ses émanations odorantes pathologiques.

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