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Orbán divise la droite européenne pour mieux régner sur l’Europe

Heurté par la campagne contre Jean-Claude Juncker en Hongrie, le Parti populaire européen menace d’exclure le Fidesz de ses rangs tandis que Budapest accentue son impact idéologique sur le continent.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán à Budapest le 10 février dernier. | Attila Kisbenedek / AFP
Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán à Budapest le 10 février dernier. | Attila Kisbenedek / AFP

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En janvier 2000, plusieurs formations de la droite européenne dont l’UDF époque Bayrou réclamaient l’exclusion du Parti populaire autrichien (ÖVP) ayant pactisé avec le tribun pronazi Jörg Haider. Un mois plus tard, l’Union adopta des sanctions drastiques contre Vienne et sa coalition bleue-noire redevenue d’actualité avec le tandem Sebastian Kurz-Heinz Christian Sträche aujourd’hui aux manettes du pouvoir. L’ÖVP appartient toujours au Parti populaire européen (PPE) mais le Fidesz d’Orbán risque d’en être chassé si la CDU et la CSU allemandes lâchent leur allié magyar ulcérant douze partis du groupe chrétien-démocrate continental. La rupture n’arrangerait ni Budapest ni les entreprises germaniques largement implantées en Hongrie. 

Le PPE s’est montré jusqu’ici conciliant avec les nombreuses entorses d’Orbán aux fondements de l’état de droit, de l’indépendance de la justice, du pluralisme des médias ou de la liberté académique. Mieux valait canaliser le frondeur eurocritique dans la famille où Helmut Kohl l’avait invité plutôt que de le précipiter vers l’extrême droite admirant sa fermeté anti-migrants et son discours anti-Bruxelles. La campagne hongroise du moment visant Jean-Claude Juncker et George Soros, accusés d’encourager l’immigration illégale, aura été la bravade de trop conduisant le PPE à envisager l’expulsion du Fidesz. Son destin sera arbitré le 20 mars lors d’une réunion de l’assemblée politique programmée à Bruxelles. 

Chrétienté et compromis

Le concile chargé d’écouter la défense orbániste et de décider du sort du parti régnant sans partage ni alternative suffisamment solide, unie et sérieuse sur la Hongrie depuis le printemps 2010 réunira la présidence du PPE, la direction du groupe parlementaire et un représentant de chaque parti-membre. Les Républicains (LR) de Laurent Wauquiez soutenant mordicus le dirigeant magyar et de Nadine Morano adepte des selfies avec le leader danubien insoumis refusent de s’associer au flot de critiques internes. La tête de liste LR François-Xavier Bellamy tacle lui aussi la procédure d’exclusion bien qu’il juge la campagne anti-Juncker «pas à la hauteur» et regrette la «stratégie de tension» employée par Orbán. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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«Les forces politiques anti-immigration prennent de l’ampleur partout en Europe et le nombre d’alliés de la Hongrie pourrait croître à l’avenir. La question des rapports de force au sein du Parti populaire européen est tout aussi cruciale car l’un des objectifs-clés de Viktor Orbán est de ramener le PPE vers ses racines chrétiennes d’origne», dixit le politologue Dániel Deák proche de l’exécutif conservateur. «Si le Fidesz confirme sa popularité nationale de ces dix dernières années consolidée ces derniers mois et obtient les quatorze sièges sur vingt-et-un prédits par certains sondages aux élections de fin-mai, Orbán aurait une très bonne chance d’influer sur la ligne du PPE après le scrutin», poursuit l’analyste.

«Berlin plombe Athènes en six mois tout en appuyant la Hongrie depuis plus de huit ans.»

Péter Techet

Les récents mouvements contre la loi travail «esclavagiste» et la reprise en main politique de l’Académie des sciences n’ont en rien affaibli Orbán capitalisant sur son rôle de rempart contre l’Ouest décadent, la crise démographique européenne et la «submersion» migratoire chère à Marine Le Pen. Roi de l’équilibrisme diplomatique, le chef de file des «illibéraux» courtise Poutine, Salvini, Bolsonaro et Erdogan tout en saluant la lettre d’Emmanuel Macron appelant à une réforme de l’UE ou en arrondissant adroitement les angles avec l’Allemagne d’Angela Merkel afin d’éviter la correctionnelle. Audi, Opel, Bosch et les autres paquebots germaniques en Hongrie méritent bien quelques compromis. 

«Lorsque que Syriza est arrivé aux responsabilités en Grèce début-2015, la CDU et Berlin n’ont pas tergiversé ou tracé de lignes rouges constamment franchies mais bel et bien mis au tapis en un semestre un gouvernement démocratiquement élu», pointe le chroniqueur Péter Techet sur le portail Azonnali. «Le crime d’Athènes n’était pas d’avoir déconstruit l’état de droit ou la démocratie libérale mais blessé l’orgueil de leurs créanciers allemands et français. Orbán, Salvini ou le président serbe Alexander Vucic représentent des piliers utiles déplaçant la colère anti-système vers les migrants et les plus fragiles. Berlin plombe Athènes en six mois tout en appuyant la Hongrie depuis plus de huit ans», insiste Téchet. 

Zéro plan B hors du PPE 

Les récriminations du président du PPE (Joseph Daul) et l’ultimatum du meneur des parlementaires (Manfred Weber) candidat à la présidence de la Commission assumée par Juncker ne bousculent guère Budapest. Orbán s’est néanmoins assuré d’envoyer deux émissaires éteindre l’incendie provoqué par la campagne anti-Juncker auprès de la nouvelle patronne de la CDU (Annegret Kramp-Karrenbauer) et de réaffirmer son appui envers Manfred Weber dans une interview accordée au quotidien Die Welt. Exiler le Fidesz coûterait douze sièges au PPE susceptibles de peser dans la course aux eurodéputés et la droite continentale amputée des troupes orbánistes perdrait son troisième contingent à Bruxelles. 

«Arrêter la campagne comme Manfred Weber le demande en guise de condition du maintien du Fidesz serait un suicide politique alors qu’Orbán s’est démené pour convaincre ses concitoyens que Juncker menace la sécurité de la Hongrie», remarque Politico. «Les divergences sur les quotas de migrants avec Salvini compliquent une entrée au groupe Europe des Nations et des Libertés et celles sur la Russie une éventuelle alliance avec les polonais de Droit et Justice dominant la fraction des Conservateurs et Réformistes. La proximité du scrutin complexifie la création d’une nouvelle coalition eurosceptique et le Fidesz perdrait énormément d’argent et d’influence sur la législature hors du PPE», décrypte l’article.

Vu le contexte, logique qu’Orbán et les figures du Fidesz réfutent l’existence d’un supposé plan B. L’appartenance au PPE offre une tribune de choix au Fidesz pour droitiser la ligne du groupe en crise. Les affiches anti-Juncker seront retirées le 15 mars mais Budapest s’est déjà choisi une prochaine cible nommée Frans Timmermans, numéro deux du président luxembourgeois de la Commission et aspirant social-démocrate à sa succession labellisé «candidat officiel de Soros» selon le camp Orbán. Si le PPE épargne Orbán, la droite européenne risque la fracture. S’il l’écarte, la Hongrie hurlera au complot de Bruxelles et aimantera les populistes radicaux. Dans les deux cas, le chaos en perspective.

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