Société

Pédophilie: la maladie n'est pas l'infraction

Les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs ne sont pas condamnés parce qu’ils sont pédophiles, mais parce qu'ils sont passés à l'acte.

Pour tout savoir du traitement judiciaire de la pédophilie. | CQF-avocat via <a href="https://pixabay.com/photos/justice-right-legal-lawyer-word-2755765/">Pixabay</a>
Pour tout savoir du traitement judiciaire de la pédophilie. | CQF-avocat via Pixabay

Temps de lecture: 4 minutes

«Coupable de pédophilie, le cardinal Pell est en prison et renvoyé du Vatican», «Australie: condamné pour pédophilie, le cardinal Pell placé en détention», «Australie: le cardinal Pell, numéro trois du Vatican, reconnu coupable de pédophilie».

Par esprit de simplification peut-être, par nécessité d’inscrire la condamnation du Cardinal Pell dans un contexte médiatique tourné vers les dérives pédophiles de l’Église, par une métonymie de facilité, on fait de la maladie l’infraction. Il serait pourtant plus juste de titrer, à l’instar de l’Obs dernièrement: «Condamné pour viol sur mineur, le cardinal Pell est placé en détention».

Le 11 décembre 2018, le Cardinal Pell a été reconnu coupable d’agression sexuelle («sexually penetrating a child under the age of 16», soit un viol sur mineur en droit français) et attentat à la pudeur («indecent act with a child under the age of 16», soit agression sexuelle sur mineur) entre 1996 et 1997. Le Cardinal aurait ainsi contraint deux mineurs de 13 ans à pratiquer des fellations sur sa personne, se serait masturbé devant eux et les aurait lui-même masturbés. Il aurait encore saisi les parties génitales d’une des victimes. 

Du trouble au passage à l'acte

Si l’utilisation d’un terme pour un autre est aisée, il convient de préciser, comme le fait justement Claude Askolovitch, que le Cardinal n’a pas été condamné pour pédophilie mais pour des comportements délictuels et criminels.

La pédophilie est un trouble, caractérisé par des pulsions et des fantasmes. L’Académie de médecine la définit comme une «déviation du choix de l'objet sexuel, avec préférence pour des enfants le plus souvent prépubères ou en début de puberté». On retrouve encore une définition dans le Journal of American Medical Association qui définit le pédophile comme un «individu attiré sexuellement ou partiellement par des mineurs prépubères».

L’attirance seule envers les enfants n’est pas passible de condamnation pénale. Les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs ne sont pas condamnés parce qu’ils sont pédophiles, ils le sont du fait de leur passage à l’acte. On retrouve ainsi, dans les actes pouvant être commis par des personnes attirées par les enfants:

 

  • le viol sur mineur
  • l’agression sexuelle sur mineur
  • la corruption de mineur
  • la diffusion d’images pédopornographiques 
  • l’atteinte sexuelle (toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans, en l’absence de contrainte)
  • le fait de faire des propositions sexuelles par un moyen de communication électronique

De fait, pédophilie et infractions sexuelles sur mineurs ne correspondent pas toujours, pour plusieurs raisons:

 

  • Une personne attirée par les enfants peut ne jamais passer à l’acte
  • Une personne condamnée pour agression sexuelle sur mineur, peut ne ressentir aucune attirance envers les enfants: par exemple en cas d’agression sur un mineur de 17 ans.

Par ailleurs, la qualification de «pédophile» révèle en réalité un éventail de profils divers, allant de l’immaturité à la perversion. «Alors que la pédophilie peut se limiter aux fantasmes et pulsions, les comportements pédophiles sont la première source de préoccupation de la santé mentale et des juridictions criminelles», peut-on encore lire dans le Journal of American Medical Association.

De la condamnation

Il convient donc de distinguer le danger, qui peut être détecté en amont et justifier d’écarter un individu de la fréquentation de mineurs, et la condamnation, qui ne se justifie qu’en cas de passage à l’acte. À titre d’exemple, si l’utilisation intensive de pornographie juvénile est nécessairement un indice fiable du trouble qui atteint l’auteur, elle ne devient délictueuse qu’en cas d’importation, diffusion de ces images.

«Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique» et le fait «d'offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l'importer ou de l'exporter, de la faire importer ou de la faire exporter » (article 227-23 du code pénal).

Cette infraction présente les difficultés suivantes: il appartient au parquet de démontrer que la personne en scène sur la photo est visiblement mineure, et que ladite photo présente un caractère pornographique. Le but est d’aller rechercher celle et ceux qui entretiennent ces réseaux, par la diffusion, la transmission de photographies et vidéos. Ceci étant précisé que la simple consultation de sites n’est pas passible de condamnation (Crim., 5 janvier 2005, n° 04-82.524).

Le judiciaire et le disciplinaire

Il y a également dans la corruption de mineur (anciennement appelée «excitation de mineur à la débauche») une appréciation particulièrement subjective de l’intention de l’auteur, le juge devant caractériser la volonté de pervertir la sexualité du mineur. Ainsi, le simple fait de tenter de séduire un mineur ou la satisfaction de ses «propres passions» ne tombent pas sous ce délit. En revanche, le fait d’accomplir des «actes de lubricité» devant un mineur en vue de l’initier à la débauche ou le fait pour des parents de laisser leurs enfants assister à leurs relations sexuelles est punissable. 

On s’écarte alors ici encore quelque peu de la pédophilie à proprement parler, en tant qu’attirance envers les jeunes mineurs, puisque l’auteur peut parfaitement ne pas être attiré par la victime mais pour autant vouloir pervertir sa sexualité. Par ailleurs, il faut distinguer ce qui relève, d’un côté, du traitement judiciaire, de ce qui relève du traitement purement disciplinaire. A pu ainsi être sanctionné un salarié pourtant relaxé par le tribunal correctionnel, mais qui téléchargeait des images pédophiles (CA Pau, 6 décembre 2012, n° 11/00456).

Une différence de traitement

Un établissement scolaire, ou encore de culte, serait parfaitement fondé à faire en sorte qu’un individu ne travaille plus avec des enfants, en présence d’indices sérieux de troubles pédophiles. Par exemple, le fait de retrouver, dans l’historique de consultation (et non dans les fichiers téléchargés) des centaines de vidéos pédopornographiques ne permet pas de condamner pénalement un individu. En revanche, cela interrogerait nécessairement son ou sa responsable hiérarchique sur sa capacité à exercer ses fonctions, dans le cas où ce dernier serait amené à fréquenter des enfants. Ainsi, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse soupçonné de détenir des images pédophiles a été suspendu de son poste, et ce en amont de toute condamnation pénale (CAA Douai, 18 fev 2010).

Il existe donc un monde entre le traitement social, religieux, médical qui est fait de la pédophilie, et le traitement judiciaire des comportements pédophiles. En amont du passage à l’acte, le trouble ne peut se réguler que par une adhésion de l’individu aux soins et à un suivi. Si passage à l’acte il y a, la juridiction prononcera nécessairement, outre la peine de privation de liberté éventuelle, une inscription au FIJAIS (fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles) et un suivi thérapeutique; ce suivi prendra en compte la diversité de profils existants en la matière, de l’auteur traditionnellement attiré par les adultes mais va néanmoins passer à l’acte avec un mineur dans le cadre intra-familial, à l’auteur malade qu’il conviendra de traiter jusqu’à la fin de sa vie. 

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